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L'organisation : un lieu de rencontre de flux contradictoires 1 Les structures comme dispositifs provisoires

C HAPITRE 3 T ERMINOLOGIE DE LA RECHERCHE

2.4. L'organisation : un lieu de rencontre de flux contradictoires 1 Les structures comme dispositifs provisoires

Pour Weick (1979)175, les structures organisationnelles n'existent qu'au travers du sens qu’en donnent les acteurs. Ce sens est un produit historique, perpétuellement reconstruit et modifié sous le poids d'acteurs dominants mais aussi de l'environnement qui structure les significations (Beaucourt, 1996176).

« A chaque moment de l'action, le passé sert de référence et nourrit les pratiques. Il laisse des traces structurantes. On sait, par exemple, combien les choix technologiques produisent des irréversibilités qui déterminent les comportements futurs. D'un côté, il y a des contextes d'action aux traits structurels et culturels prégnants et de l'autre, il y a des acteurs qui les utilisent ou tâchent de les modifier. » (Beaucourt, 1996, p. 123)

Tout processus de changement modifie les modes de répartition du travail ainsi que les mécanismes de coordination puisqu’ils entraînent une déconstruction – reconstruction de

174 Cornet A. (1998), Le reengineering face à ses contradictions. Intégrer l'humain au centre du processus. Thèse de Doctorat, Université de Liège.

175 Weick K.E. (1979), The Social Psychology of Organizations, Reading (MA), Addisson-Wesley.

l’organisation qui remet en cause l’agencement mis en place progressivement dans le temps par les acteurs.

Ces structures sont traversées par des flux multiples et contradictoires et les dispositifs mis en place oscillent perpétuellement entre des zones de tensions dialectiques.

« Les formes d'organisation sociale sont le produit d'objectivités et subjectivités qui se sont tissées au travers des pratiques. Dès que les liens se fragilisent ou que les significations changent, de nouvelles configurations apparaissent. Elles expriment de nouveaux équilibres construits à partir de convergences, mais aussi à travers les conflits et les contradictions du réel. » (Beaucourt, 1996, p. 123)

Les relations de l'entreprise avec l'environnement et son contexte sont aussi bousculées. A ce niveau là aussi, les acteurs jouent un rôle décisif puisqu’ils vont influer sur l’environnement pour en construire le sens et les effets sur l'organisation (Pettigrew, 1985, 1987; Louart, 1996).

Ainsi, si l'importance des évolutions technologiques sur les modes de structuration des organisations est indéniable, la façon dont ces technologies vont être absorbées, transformées et assimilées par l'organisation, dépend avant tout de la représentation que les acteurs s’en font et des usages qu'ils lui attribuent (voir notamment l'article de Davenport, 1994).

La remise en cause du mode de fonctionnement de l’organisation, du fait d’un bouleversement de l’environnement ou d’une variable environnementale, sera conditionnée par le comportement des acteurs face à ces évolutions.

Toutefois, l'impact concret de ces tendances lourdes sur chaque organisation sera spécifique et parce que tout processus de changement est soumis à une forte contextualisation.

Les conséquences positives ou négatives du changement dépendront à la fois du contexte organisationnel, mais aussi et surtout de la force des acteurs en présence. Elles dépendront aussi fortement de la société dans laquelle se trouve l’organisation. Selon Brabet (1993) il y a une interdépendance entre les champs sociétal et organisationnel. Les formes structurelles ne peuvent s'analyser et se comprendre sans une mise en perspective des contextes socio- économiques, politiques et réglementaires qui leur donnent sens, qui construisent leur légitimité.

L'important est de dégager le sens que les acteurs donnent aux structures en place, le poids de l 'histoire et la façon dont le contexte est mobilisé dans cette opération de création de sens. Il s'agira aussi de voir comment les acteurs composent avec les multiples contradictions qui traversent l'organisation. La fragilité des équilibres et les éléments qui les perturbent retiendront également l'attention.

2.4.2. Les régulations dans l’organisation

L'organisation est un lieu de rencontre de régulations et de conventions entre les membres de l'entreprise. Ces régulations et conventions vont permettre aux acteurs certains arrangements, coordinations, accords, etc., et vont permettre un fonctionnement et une structuration spécifique canalisant les actions de chacun.

Dans une organisation, l’activité de régulation peut avoir beaucoup d’objets : elle porte sur les méthodes de travail, mais aussi sur l’accès aux postes, la promotion, les salaires ; ou encore sur l’adoption d’une technique nouvelle et le partage des responsabilités qu’elle entraîne (Reynaud, 1988)177.

La mise en place, souvent implicite, de ces régulations va correspondre, par ailleurs, à une réduction des marges de manœuvre des salariés ; ce qui sous-entend une omniprésence perpétuelle du contrôle derrière des apparences masquées d'autonomie.

Les dispositifs de contrôle mis en place par l’organisation, permettent une évaluation de ce que l’on veut réaliser. Ils sont liés à la pertinence attendue, que l’on teste avec des critères variés : rapports entre coûts et profits, mesures de production, appréciation des comportements ou validation des savoir-faire acquis.

Ils ont des effets de vérification ou de sanction face aux résultats et aux types de tâches effectués par ceux qui contribuent aux changements, ils montrent l’efficacité relative de ce qui a été réalisé, en particulier la progression vers les objectifs. Ils indiquent des normes, des standards, des formes de sanction qui, comme tels canalisent l’action.

Et pour finir, ils ont aussi une double valeur d’incitation dans la mesure où tout contrôle clarifie les exigences finales et leur mesure et par là même ils conditionnent l’orientation des acteurs qui sont sensibles aux rétributions internes et donc aux récompenses escomptées. Et de plus, ils font pression par leur présence, leur visibilité opérationnelle et les délais qu’ils imposent de façon précise (Louart, 1995)178.

Dupuy et Kechidi (1996)179 précisent que le sens d'une règle se construit dans son application, ce qui appuie l'argument selon lequel toute action dans l'organisation est fortement contextualisée.

Les régulations autonomes

Les règles vont permettre aux acteurs organisationnels de mettre en œuvre leurs actions, décisions et comportements dans l'organisation. Elles ne vont rien déterminer mais plutôt constituer un cadre interprétatif de l'action (Dupuy et Kechidi, 1996).

Lors d'un changement organisationnel, il y a redéfinition des règles préexistantes, et mises en œuvre de règles nouvelles qui vont constituer un mode d'ajustement nécessaire à la mise en place de ce changement. De Terssac (1992)180 considère décisif le fait d’autoriser une marge de décision et d'autonomie aux salariés dans le processus de changement.

Le respect de cette régulation autonome va permettre, en cas de mauvais fonctionnement de la structure formelle, un ajustement satisfaisant. D'ailleurs Alter (1990)181 montre la nécessité

177 Reynaud J.D. (1988), « Les régulations dans les organisations : régulation de contrôle et régulation autonome », Revue Française de Sociologie, janvier-mars, XXXIX-1, Pp.5-18.

178 Louart P., Succès de l’intervention en Gestion des Ressources Humaines, Editions Liaisons 1995 (deuxième partie : chapitre IV).

179 Dupuy C., Kechidi. (1996), « Interprétabilité des règles et confiance dans la dynamique des organisations »,

Sciences de la Société, n°39, octobre.

180 De Terssac G. (1992), Autonomie dans le travail, Paris, PUF.

d'accorder, concrètement, une certaine autonomie pour favoriser la réussite du projet ou du moins en limiter l'échec.

De nombreux autres auteurs se positionnent dans le même axe de réflexion pour arriver à la conclusion que les acteurs organisationnels ont besoin pour asseoir leurs actions de marges de manœuvre leur permettant d'échapper au cadre établi, relativement rigide. Il y a un besoin manifeste de sortir de la structure formelle pour s'affirmer, et construire individuellement ou collectivement une structure parallèle faite de règles autonomes. Mais au-delà de ces régulations autonomes se dessinent les régulations de contrôle.

Les régulations de contrôle

Reynaud (1988)182 définit la régulation de contrôle comme étant une régulation pas toujours exprimée de manière adéquate dans la réglementation officielle, mais qui est définit par son orientation stratégique, c'est-à-dire peser de l'extérieur sur la régulation d'un groupe social. De son côté Alter (1995)183, entend que l'organisation consiste à définir des procédures, des étapes et des modalités de coordination et qu'elle a pour finalité de programmer, planifier et standardiser les activités de travail menées collectivement. Pour lui, cette régulation de contrôle recherche la réduction de l'incertitude par la programmation.

En fait, l'organisation a pour but de prévoir et d'optimiser les ressources disponibles à un moment donné, et élabore pour ce faire un programme rationnel, qui d'une part va réellement diminuer les incertitudes, mais d'un autre côté va également réduire les marges de manœuvre des salariés.

Un exemple de nouvelles régulations dans l’entreprise-réseau

Nous venons de passer sommairement en revue les modes de régulation qu’il est possible d’observer dans la sphère organisationnelle. Régulations, qui sont en perpétuelle redéfinition entre les acteurs organisationnels et qui ne demeurent nullement figées ; même si en période d’inertie organisationnelle elles sont moins visibles qu’au moment d’un changement.

En guise d’illustration, nous avons souhaité fournir un exemple de nouvelles formes de régulation dans une organisation qualifiée de NFO : l’entreprise-réseau.

Cette forme d’entreprise, qui tend à se multiplier est qualifiée par Veltz (1999)184 comme un modèle basé sur :

- la répartition des activités en unités dotées d’une autonomie relative pilotée à travers la formulation d’objectifs et de contrôle des résultats ;

- les relations entre les unités et avec leurs prescripteurs – contrôleurs s’opèrent sur le mode de contrats ;

182 Reynaud J.D. (1988), « Les régulations dans les organisations : régulation de contrôle et régulation autonome », Revue Française de Sociologie, janvier-mars, XXXIX, pp.5-18.

183 Alter N. (1995), « Peut-on programmer l'innovation? » Revue Française de Gestion, mars-avril-mai, Pp.78- 86.

184 Veltz P. (1999), Les organisations cellulaires en réseau : portée et limites d’une mutation, Paris, L’Harmattan.

- les unités intégrant des savoirs professionnels et techniques multiples requièrent une coopération et une coordination qui accompagnent la décentralisation des responsabilités. Et il semble que de telles nouvelles formes d’organisation du travail requièrent de nouvelles formes de régulation.

Et à Warnotte (2001)185 de préciser que :

« La légitimité managériale dans l’entreprise réseau tendrait à être fondée sur la dualité menaces / acceptation qui confère aux instruments de gestion un rôle de plus en plus important dans le contrôle des actions individuelles. Preuve en est la profusion d’instruments de plus en plus sophistiqués pour mesurer la performance des personnes et des projets dans lesquels ils sont impliqués avec d’autres via diverses formes nouvelles formes d’évaluation : appréciation à « 360° », « benchmarking », « balance scorecards », bilan des compétences dont le projet commun est de contrôler toujours davantage la « valeur ajoutée » des ressources humaines. »

On voit bien là que l’existence et la prolifération de NFO engendre de nouvelles formes de régulations, tout autant que de nouvelles formes de partage de pouvoir. Les caractéristiques de ces NFO impliquent effectivement de forts changements en termes de variables politiques. 2.4.3. Mécanismes de coordination et variables politiques

Les mécanismes de coordination au sein de l’entreprise ainsi que les modes de départementalisation, influencent fortement les variables politiques à l’œuvre dans l’organisation.

Ainsi, en se basant sur le modèle de Mintzberg, et adapté par Nizet et Pichault (2001)186 qui schématisent la conception de la structure de la manière suivante, il est possible d’analyser la structure du pouvoir dans l’organisation, et d’avoir ainsi une meilleure visibilité de sa localisation dans la structure de manière à pouvoir proposer une typologie des variables politiques en fonction des mécanismes de coordination ou des modes de départementalisation.

185 Warnotte G ., 2001, « Théorie de la structuration sociale, mondialisation et processus émergents de contrôle des ressources humaines dans les entreprises », in Autissier D. et Wacheux F., Structuration et management des

organisations, Gestion de l’action et du changement dans les entreprises, L’Harmattan, p.291.

Figure 31. Conception de la structuration adaptée par Nizet et Pichault

Les auteurs proposent deux tableaux dans lesquels ils font apparaître les liens entre mécanismes de coordination et variables politiques, ainsi que les liens entre formes de départementalisation et variables politiques187.

Tableau 19. Liens entre mécanismes de coordination et variables politiques

Mécanismes de coordination Localisation du pouvoir Systèmes de distribution du

pouvoir

Supervision directe Centralisation au sommet hiérarchique

Contrôle personnel Standardisation des procédés /

résultats Centralisation au sommet hiérarchique et éventuellement chez les propriétaires

Décentralisation relative chez les analystes

Décentralisation relative chez les associations d’employés

Contrôle bureaucratique

Standardisation des valeurs Centralisation au sommet hiérarchique

Décentralisation relative chez les analystes

Contrôle idéologique

Standardisation des qualifications

Ajustement mutuel Décentralisation chez les opérateurs qualifiés Compétences spécialisées

187 Nizet J. et Pichault F. (2001, p.64 et 66). Propriétaires Sommet stratégique Ligne hiérarchique Centre opérationnel Associations d’employés Analystes de la

Tableau 20. Liens entre formes de départementalisation et variables politiques

Forme de départementalisation

Différenciation entre les unités

Conflits dominants Mécanismes de gestion des conflits

Par input Verticale forte Sommet stratégique – ligne stratégique Analystes – ligne hiérarchique Court-circuit de la hiérarchie Aplatissement de la structure

Par output Horizontale forte Entre départements Département d’intégration Groupes de projets Mobilisation idéologique

Ces deux tableaux sont très explicites et montrent bien que les jeux des acteurs dans l’organisation occupent une place très importante dans le bon fonctionnement de l’entreprise. Ils montrent également que tout est lié en termes de mécanismes de coordination, de formes de départementalisation, de gestion des conflits, de mise en œuvre de règles, etc.

Tout ceci est d’autant mis en évidence lors d’un changement organisationnel, technologique ou social au sein de l’organisation.

A ce sujet, il semble que ces aspects doivent impérativement être pris en considération par les managers, notamment lors de l’implantation de nouvelles technologies affectant ces modes de structuration et de fonctionnement.