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C HAPITRE 1 U NE LECTURE THÉORIQUE À PLUSIEURS NIVEAU

2.3. Analyse des tensions et gestion des contradictions

Le cadre d'analyse précédemment présenté a été enrichi par plusieurs pistes de réflexion, mais il en est une qui est essentielle dans la vie de toute organisation, celle des tensions et contradictions.

Il ne faut pas croire que les tensions n'apparaissent qu'en cas de changement ou au moment des transitions menant d'un état à un autre. Elles sont présentes en permanence dans l'organisation.

L'élaboration de stratégie et la prise en compte des intérêts à la fois organisationnels et individuels sont confrontées à des contradictions évidentes qui génèrent des tensions255. Ces tensions et contradictions sont inévitables (presque naturelles) et font partie du fonctionnement de l'organisation. C'est pourquoi la gestion de ces contradictions occupe une place importante dans la compréhension de l'organisation et des différentes fonctions qui la composent. Pourtant, peu nombreux sont les chercheurs s'attardant sur ces aspects de la vie organisationnelle, mais Louart (1993, 1995) y consacre une part importante de ses travaux. Ainsi, il identifie au niveau de la GRH, huit dilemmes ou tensions contradictoires, qui sont : universalité / contingence, individualisation / globalisation, organisation décentralisée / développement du contrôle, flexibilité / planification, implication / exclusion, niveau éducatif / types d'emplois offerts, détention de diplômes / attentes des entreprises en termes de compétences, GRH de croissance / GRH de crise.

255 Defelix (1999) dans un papier de recherche du CERAG, souligne relativement à la FRH : « lorsqu'un DRH

doit à la fois stimuler les individus par un système de rémunération variable et garantir la cohésion sociale interne, il joue sur des registres antinomiques et en partie contradictoires ».

D'où la nécessité d'une prise en considération réelle des conflits et des contradictions dans l'entreprise.

2.3.1. La gestion des conflits

Rondeau (1990)256 donne la définition suivante du conflit :

« On dira qu'il existe un conflit au sein d'une organisation lorsqu'une partie (un individu ou un groupe) en percevra une autre comme un obstacle à la satisfaction de ses préoccupations, ce qui entraînera chez elle un sentiment de frustration, et qui pourra l'amener ultérieurement à réagir face à l'autre partie ».

Et rajoute que :

« le conflit est un phénomène relationnel où chaque partie a besoin de l'autre et, en même temps, possède un certain pouvoir sur l'autre, ce qui lui permet d'exercer certaines contraintes sur elle où d'en restreindre l'action ».

« En général, on reconnaît que les principaux enjeux d'un conflit sont liés soit à la maîtrise de ressources rares, entraînant un conflit d'intérêt entre les parties, soit à l'existence d'un obstacle à la satisfaction des préoccupations d'une partie, entraînant des prises de position divergentes entre différents protagonistes ».

Toute organisation, dans le sens où elle réunit en son sein plusieurs personnes, voit des conflits se faire jour. Conflits étant inévitables dès lors qu'un fonctionnement collectif est envisagé.

Cette notion de conflit a intéressé de nombreux auteurs qui ont contribué à façonner la compréhension de l'organisation et de ses processus de fonctionnement.

Nous allons revenir ici sur quelques-uns d'entre eux, en nous attardant sur certains courants de pensée ayant proposé des modèles relatifs à la notion de conflit organisationnel.

Le modèle rationnel

Les premiers théoriciens des organisations se sont employés à rationaliser l'organisation du travail, et concluaient implicitement des effets néfastes du conflit. Pour cela, il fallait parvenir à un équilibre limitant les possibilités de conflit, en mettant en place un ensemble de mécanismes, comme par exemple la définition des tâches, des règles et des méthodes, la réduction des interfaces entre les tâches, la concentration du pouvoir.

Après la seconde guerre mondiale, quelques auteurs (Drucker, 1954 ; March et Simon, 1958, Odiorne, 1965) arrivent à la conclusion que le conflit est inévitable, et que c'est son caractère émotif et subjectif qui nuit à l'organisation et non le conflit en tant que tel dans sa globalité.

256 Rondeau A. (1990), « La gestion des conflits dans les organisations », in Chanlat J.F. L'individu dans

Pour palier ces inconvénients et réduire le niveau de conflit, ils proposent une augmentation de la participation au processus de décision et l'engagement dans les objectifs de l'organisation.

Cette logique peut être complétée par les travaux constitutifs du modèle des relations humaines.

Le modèle des relations humaines

Dans cette approche, le conflit nait de la divergence entre intérêts individuels et organisationnels. Cette école part de la considération que le comportement humain au travail ne procède pas seulement d'une logique économico-rationnelle, mais que la dimension psychosociale du travail impose, elle aussi, ses propres lois aux rapports organisationnels257. Dans cette perspective, il est également considéré comme néfaste dans le sens où il nuit aux exigences de collaboration qui sont le propre du fonctionnement individuel dans un ensemble organisé.

Les premiers auteurs fondateurs de ce modèle envisageaient comme nécessaire la réduction des conflits par la mise en place de mécanismes visant à améliorer les relations en prenant en compte les besoins des travailleurs et améliorer la communication dans l'organisation.

Par la suite, d'autres auteurs rattachés à ce modèle privilégient la mise en place de mécanismes favorisant l'adhésion et l'identification des individus au système de valeur et à la culture de l'organisation.

En bref, le conflit se réduira lorsque l'organisation mettra en place des mécanismes permettant à chacun de véhiculer ses préoccupations et d'influencer les décisions le concernant. C'est à ce niveau qu'apparaît la nécessité de comprendre le caractère politique inhérent à toute forme d'action collective.

Le modèle politique

C'est grâce à ce modèle et aux travaux de Blau (1964)258, Crozier (1963)259 ou Etzioni (1961)260 que l'on commence à concevoir la nature stratégique des rapports entre les groupes composant l'organisation.

Le conflit devient dans ce courant une dimension naturelle naissant du fait que chaque groupe va tenter de maîtriser et d'augmenter ses zones d'influence en exigeant des règles et en obligeant l'autre à les respecter, tout en conservant ses marges de manœuvre et son autonomie. Les mécanismes prônés ici sont des mécanismes de gestion de conflits permanents ou des formules d'arbitrage pour résoudre les questions litigieuses.

Ce modèle se situe aux fondements de travaux auxquels nous avons déjà fait allusion et que nous avons développés dans le dernier chapitre de la première partie, à savoir ceux relatifs au

257 Les expériences menées à la Western Electric, ont permis d'affiner certains aspects de la gestion des conflits dans les organisations.

258 Blau P. (1964), Exchange and power in social life, New York, Wiley. 259 Crozier M. (1963), Le phénomène bureaucratique, Paris, Le Seuil.

paradigme politique et du modèle de l'arbitrage managérial. Ce caractère politique est à prendre en considération à tous les niveaux de l'organisation, et ramène donc tout naturellement au modèle systémique.

Le modèle systémique

Chaque système (et sous-système) dépend pour sa survie de son échange avec son environnement. Il doit aussi à la fois se différencier des autres systèmes par sa contribution distinctive tout en réussissant à l'intégrer à l'environnement (Lawrence et Lorsch, 1967)261. Dans cette perspective, le conflit apparaît à la fois comme inévitable et fonctionnel dans le sens où l'organisation est soumise à un processus constant d'adaptation. Les mécanismes de gestion des conflits seront efficaces s'ils sont liés aux situations auxquelles cette organisation est confrontée.

On voit bien là que les perceptions du conflit dans l’organisation sont différentes selon les modèles. Certains le voient comme destructeur, alors que d'autres le considèrent comme une dimension naturelle.

En réalité, le conflit organisationnel est réellement inévitable. Mais l'objectif est moins de chercher à l'annihiler qu’à lui accorder le pouvoir de stimuler les membres de l'organisation et permettre ainsi l'aboutissement à des résultats positifs.

Quels qu'en soient les enjeux et les aboutissements, le conflit organisationnel est soumis à la fois aux individus ou groupes d'individus de l'organisation, mais également au contexte qui occupe une place très forte dans l'émergence ou non du conflit. Plus que les individus eux- mêmes, c'est le contexte qui détermine fortement l’émergence et le déroulement du conflit262. Ce contexte entend tous les aspects d'ordre implicite et explicite. Il s'agit en réalité des règles, normes, pratiques des différents acteurs263.

Il n'empêche que derrière tout conflit sont générées des dimensions cognitives et affectives, dont la compréhension et la prise en compte permettront une résolution satisfaisante.

Selon les enjeux sociologiques sous-jacents à la situation de conflit, les réactions des acteurs peuvent être bien différentes.

Thomas en 1976, propose un schéma faisant apparaître les styles de comportement en situation de conflit.

261 Lawrence P.R., Lorsch J.W. (1967), Organization and environment : managing differenciation and

integration, Graduate School of Business Administration, Harvard University, Boston. Trad. : Adapter les structures de l'entreprise, (rééd.1989), Paris, Editions d'Organisation.

262 Pour Rondeau (1990), « les exigences imposées par la situation conflictuelle semblent avoir un effet plus

déterminant sur le déroulement du conflit que les caractéristiques personnelles de l'acteur principal et ce, d'autant plus que la situation est critique ».

263 Rondeau (1990) : « Le cadre de référence d'un conflit, c'est l'ensemble des éléments à caractère normatif qui

Figure 3. Styles de comportement en situation de conflit

Cette figure fait donc apparaître les différents comportements pouvant être adoptés face à un conflit.

Ces comportements sont influencés par les acteurs eux-mêmes, le contexte d'action, mais aussi par la perception que se font chacune des parties de la situation. Ainsi, le conflit apparaît comme un phénomène perceptuel bâtit sur de la réciprocité. Autrement dit, les parties réagiront relativement à la perception qu'ils se font de l'autre mais aussi de la réaction de l'autre face à la situation. Ceci peut se retrouver à tous les niveaux hiérarchiques de l'organisation, et amener certains managers à construire leurs actions autour de la gestion des contradictions.

2.3.2. La gestion des contradictions

Comme nous l'avons précisé plus haut, la gestion des contradictions est un sujet que peu de chercheurs ont exploré, mais il n'en demeure pas moins comme faisant partie intégrante de la vie des entreprises.

Le fonctionnement de toute organisation est basée sur la recherche d'un équilibre. Mais il s'agit d'un équilibre conflictuel, celui de la gestion des contradictions, celui des compromis entre les forces en présence.

+

Coopération (cooperativeness)

(Intérêt à satisfaire les besoins d'autrui)

Compétition contrainte domination Collaboration solution de problème intégration Evitement retrait apathie Accommodation apaisement obligeance Compromis partage échange

+

Af fi rm

ation de soi (assertiveness)

(Intérê

t à satisf

aire ses

Cet équilibre est fort difficile à acquérir, quelle que soit la structure observée. Mais ce que l'on peut voir, c'est un renvoi quasi-systématique de cette gestion des contradictions (avec les difficultés correspondantes) du niveau central vers la périphérie.

A ce niveau, il est inévitable de constater que la GRH est aux prises avec les impératifs qui lui sont soumis, et c'est à elle (relativement à la position qu'elle occupe dans la structure) de mener à bien cette tâche inévitable.

C'est alors qu'elle doit parvenir à concilier aux mieux les intérêts et objectifs organisationnels autant qu'individuels. A ce niveau, de nombreuses contradictions se font jour, et plus l'organisation sera complexe, et plus cette gestion, cette recherche d'équilibre sera difficile. La conciliation entre objectifs humains et sociaux d'un côté, et managériaux et financiers de l'autre est compliquée, tout autant que la recherche d'une harmonie satisfaisante entre les attentes des différentes personnes concernées ou encore d'une cohérence interne et d'une adaptation externe.

Il est alors légitime de penser que cette gestion des contradictions est impossible à conduire. Pourtant, selon les propos de Louart (1995)264 :

« Le paradoxe est que c'est possible en acceptant à la fois les contrastes, les déséquilibres relatifs et l'instabilité. Toute GRH est toujours en crise, car elle change à tout moment de contextes, de problèmes et de caractéristiques d'acteurs. Elle ne peut équilibrer son déséquilibre qu'à travers le mouvement. Elle ne peut connaître et dynamiser ses acteurs que par les pratiques organisationnelles où elles s'expriment. Techniquement, elle doit accepter ses conflits, ses contradictions et ses choix toujours incertains […]. L'important est de mettre l'accent sur trois composantes essentielles, autour desquelles s'agenceront sans fin les variantes nécessaires et conflictuelles du contexte d'action :

- les hommes ont besoin de trouver une orientation collective qui les mobilise au sein de leur organisation, à travers des valeurs sociales et des objectifs opérationnels ;

- ils ont besoin de règles et de management appropriés, pour pouvoir agir ensemble sans gaspiller leur implication, et pour se sentir solidaires ;

- ils ont besoin d'un contrat qui les respecte et qui réponde à leurs contributions par des contreparties satisfaisantes. »

La gestion des contradictions constitue, en conséquence, une variable organisationnelle, dont l'efficacité est complexe à trouver, et elle doit être menée par des personnes ayant des compétences spécifiques (principalement situées au niveau de la fonction ressources humaines), tant au niveau organisationnel qu'individuel, tant au niveau sociopolitique que technico-économique, etc. Ceci peut exiger des aménagements dans le contenu, mais aussi dans la manière dont va se structurer l'organisation.

A cet égard, un détour par la théorie de la structuration va nous aider à affiner la compréhension du phénomène étudié et les fondements de notre modèle d'analyse.

264 Louart P. (1995), Succès de l'Intervention en Gestion des Ressources Humaines, Rueil-Malmaison (France), Editions Liaisons, Pp.115-116.