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Théorie des choix publics et rôle de l’État dans l’action publique

analyse des trajectoires de l’action publique

Chapitre 3 Le New public management, système productif hybride de l’action publique Le New public management, système productif hybride de l’action publique

2. Les théories économiques au fondement du New public management

2.2. Théorie des choix publics et rôle de l’État dans l’action publique

Deux postulats de l’école des choix publics doivent être mis en évidence pour comprendre le rôle que ce courant de pensée a eu dans la mise en place du New public

management. Le premier porte sur le questionnement de l’efficacité de l’intervention

publique. En effet, si les défaillances de marchés sont reconnues, pour autant, les théoriciens du choix public s’interrogent sur l’efficacité de l’intervention publique comme alternative au marché (2.2.1). Le second postulat porte sur la rationalité de l’homo politicus et le lien entre les choix publics et l’efficacité de la bureaucratie (2.2.2).

2.2.1. Les raisons de l’intervention publique dans le champ de la santé et leurs limites Nous venons de mettre en évidence dans la section précédente que le point commun entre les trois théories économiques supports du New public management est qu’elles questionnent toutes l’efficacité absolue du marché. Le point de départ est donc la reconnaissance de défaillances de marché. Dès lors, les théoriciens du choix public s’interrogent sur les justifications de l’intervention publique comme alternative efficace aux défaillances de marché (Buchanan et Tullock, 1962). Toutefois, avant de présenter les travaux qui portent sur l’analyse de l’efficacité de l’intervention publique, il convient de présenter les raisons pour lesquelles la puissance publique intervient, notamment dans le champ de la santé. Kenneth Arrow (1963) est considéré comme le premier auteur à avoir mis en évidence des imperfections du marché de la santé. Le marché de la santé est, en effet, couramment présenté comme un marché défaillant, c’est à dire qui ne permet pas d’atteindre l’optimum au sens de Pareto. Traditionnellement, l’intervention publique dans la sphère économique est délimitée aux fonctions régaliennes : justice, défense et sécurité de la nation afin de ne pas entraver les échanges de biens et services sur les différents marchés. L’État n’intervient que dans la production de biens possédant les propriétés de non-exclusion et de non-rivalité pour lesquels il n’existe pas de marché, il est alors question de biens publics purs par opposition aux biens privés. La mise en place d’un État social a élargi les compétences d’action de la puissance publique dans la sphère économique, notamment dans la mesure où l’État devient légitime pour gérer les imperfections du marché (Cf. encadré ci-dessous).

Chapitre 3 - Le New public management, système productif hybride de l’action publique

190 Encadré 9 – Les défaillances du marché en santé

À la suite de Kenneth Arrow l’activité médicale s’étudie à l’aide du schéma classique de l’offre et de la demande laissant penser qu’il est naturel d’étudier la santé à l’aide des concepts de marché et de concurrence parfaite, bien qu’il soit systématiquement rappelé dans la littérature que la santé n’est pas un bien comme un autre. La concurrence parfaite est alors la norme et tout écart à la norme représente une imperfection.

La première imperfection est due au non-respect du principe de l’information parfaite et de la complétude des contrats. Il existe une asymétrie d’information entre le médecin et son patient et entre le médecin et la tutelle. Cette situation entraîne alors l’existence d’incertitude sur le marché de la santé. L’existence d’un pouvoir de marché des producteurs-médecin est la deuxième imperfection de marché de la santé (Ellis et McGuire, 1990). Les médecins sont en situation de monopole concurrentiel et peuvent donc décider de fixer leur tarif à un prix supérieur au coût marginal. C’est pourquoi l’intervention de la tutelle permet de limiter la réduction du bien-être collectif. Toutefois, selon les modalités de rémunération du médecin, un ajustement par les quantités peut être réalisé par le médecin afin de maximiser son profit. Par ailleurs, il n’existe pas non plus d’homogénéité de la production médicale. En effet, il n’est pas aisé de définir l’output de la production médicale puisqu’il s’agit d’une co-production avec le patient (Gadrey, 1994a) et qu’il existe une distinction entre l’output et l’outcom. Enfin, d’autres imperfections sont même le résultat de l’intervention d’institutions sociales pour garantir un niveau de qualité minimum de la production de soin. Il s’agit des barrières à l’entrée (études, spécialisation).

Au-delà de ces imperfections en rapport direct avec l’organisation des échanges, d’autres se matérialisent de façon indirecte. Il s’agit alors d’externalités positives ou négatives (Pigou, 1952). En effet, entre les biens publics purs et les biens privés il existe un ensemble d’autres biens et services pour lesquels la production peut entrainer des effets secondaires positifs ou négatifs sur les agents économiques sans que ces externalités ne puissent être prises en considération au sein de la formation du prix de ces biens et services dans la mesure où, en présence d’externalité, les contrats sont nécessairement incomplets. Ces effets externes peuvent émaner soit de la production soit de la consommation de ces biens et services. En ce sens, l’amélioration de l’état de santé d’une population est une externalité positive issue de la production de soins. L’intervention de la puissance publique est alors justifiée par l’incapacité du marché à prendre en considération ces effets externes dans la formation des prix des biens et services. L’intervention publique n’est pas nécessairement synonyme de production publique. C’est le cas pour de nombreux systèmes de santé, dont le système français. Un ensemble d’arrangements institutionnels est mis en place entre les producteurs de soins et les institutions de financement de la protection sociale.

Par ailleurs, dans le cas de la santé, les individus peuvent sous-estimer les bénéfices tirés de la consommation de biens et services médicaux ou au contraire surestimer le besoin de cette consommation ou encore sous-estimer les effets néfastes de certains comportements nuisant au niveau de bonne santé. Dans ce cas, la puissance publique se substitue à l’individu pour déterminer le niveau optimal de leur consommation (campagne de prévention médicale, de dépistage de pathologie, mise en place d’un parcours de soins coordonné, …).

Les imperfections de marché et la présence d’externalités sont les deux premières justifications de l’intervention de la puissance publique dans l’allocation des ressources. La recherche d’équité en est une troisième. En effet, lorsque le fonctionnement d’un marché est libre, l’allocation des ressources n’a a priori aucune raison d’être juste ou équitable. La puissance publique peut alors intervenir dans l’objectif d’entretenir une justice sociale entre les individus. C’est le cas pour l’accès à la santé. L’intervention de la puissance publique est alors jugée nécessaire pour prévenir une crise sociale.

Dès lors, au-delà de l’équité, d’après l’économie du bien-être, au sein d’une économie de propriété privée, l’allocation optimale des ressources à travers un système de prix concurrentiels peut nécessiter une redistribution des richesses. Cette redistribution est socialement couteuse puisqu’il s’agit d’une redistribution de second rang (Chambaretaud et Hartmann, 2004). La mise en place de missions de services publics de santé peut alors être présentée comme une alternative efficace. La fourniture de service de santé par le biais de

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transferts financiers réalisés par les services de l’État permet alors un processus de redistribution plus efficace de par les mécanismes de marché.

Suite à la mise en évidence de ces défaillances de marché et des mécanismes de l’intervention publique pour les corriger, toute une littérature se constitue sur l’analyse de la rationalité de l’intervention publique. En effet, après que les défaillances de marché aient été mises en évidence, les théoriciens du choix public vont questionner les limites de l’intervention publique pour les corriger, il est alors question de discuter les State failures.

D’après la théorie du choix public, suite à la mise en évidence de ces imperfections un ensemble de justifications validant l’intervention publique comme alternative efficace doit être apporté. Les questionnements des théoriciens du choix public peuvent alors être résumés comme suit : Comment garantir que l’État fait le meilleur usage des instruments qu’il a en sa possession ? Comment garantir l’efficacité de l’intervention publique ? Comment vérifier l’adéquation entre la forme de l’intervention publique et la structure des préférences de la collectivité ? Comment garantir que les résultats de l’action publique sont conformes aux intentions du législateur ?

D’après l’école du choix public, l’action publique est un construit social et son efficacité est donc dépendante des agents qui en impulsent les initiatives. Dès lors, l’intervention publique, pour pallier les défaillances de marché, est le résultat de croyances idéologiques. Les théoriciens du public choice vont alors s’intéresser au processus de prise de décision dans le cadre des politiques publiques. Cela les amène alors à questionner le fonctionnement politique des démocraties occidentales.

2.2.2. Public choice et New public management : croisade contre l’inefficience

bureaucratique

Les questionnements des théoriciens du choix public font partie du référentiel idéologique sur lequel est fondé le New public management. Dès lors, la mise en œuvre de la production de l’action publique, au sens du référentiel de marché, doit permettre d’atténuer différents government failures issus du fonctionnement bureaucratique. En effet, d’après l’école du Public choice l’action de l’État ne serait pas toujours aussi efficace qu’elle pourrait l’être théoriquement (Tullock, 1972) (Cf. encadré ci-dessous).

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Encadré 10 – Les postulats de l’école des choix publics : Homo œconomicus, homo

politicus et rationalité des électeurs

Dans ses fondements, le Public choice peut-être résumé en trois présupposés : l’individualisme méthodologique, le choix rationnel et la vision d’une politique comme échange. Les travaux fondateurs de James Buchanan et Gordon Tullock (1962) ont pour but de formaliser une théorie des choix publics qui doit mettre en lumière les processus politiques et institutionnels qui aboutissent à l’action publique.

Dans leur ouvrage fondateur James Buchanan et Gordon Tullock (1962) proposent d’analyser comment se construisent et comment sont prises les décisions collectives. L’objectif est de chercher à comprendre par quels mécanismes les agents économiques acceptent de céder une part de leur souveraineté, et donc une part de leur décision à une entité publique. Autrement dit, comment se formalise le consentement des agents économiques à céder une part de pouvoir à la puissance publique. La question est alors de comprendre le processus de formation des politiques publiques.

La théorie moderne des marchés repose sur la figure de L'Homo œconomicus dont la motivation principale est la recherche de la satisfaction de l’intérêt privé (Von Neumann et Morgenstern, 1953). Non pas qu’il soit un être volontairement égoïste, mais parce que, lorsqu’il est confronté à un choix entre plusieurs alternatives dont les issues ont des conséquences différentes sur son bien-être, il choisira la solution qui lui apportera la plus grande satisfaction, quelles que soient les conséquences sur le bien-être collectif. L’agent économique réalise donc un calcul coût-avantage. Lorsqu’il prend cette décision un ensemble de contraintes pèse sur son choix : le système de sanctions et de récompenses déterminé par son environnement. Le rôle de ce cadre incitatif introduit par l’environnement est de canaliser le comportement de l’agent économique afin de l’orienter vers l’adoption de comportements favorables aux intérêts collectifs. D’après les premières théories libérales, dans la lignée de Adam Smith (1776), intérêt individuel et intérêt collectif tendent naturellement vers les mêmes objectifs aboutissant à un optimum social.

L’école du Public choice a développé un modèle analogue pour décrire le mécanisme des décisions dans la répartition des biens publics. Il s’agit alors de chercher à expliquer comment la puissance publique choisit la structure de son budget, le montant et la forme des impôts, ou encore la forme de l’intervention publique. Pour cela il est nécessaire de tenir compte des motivations et des intérêts particuliers des différents agents économiques concernés : les citoyens à qui sont destinés ces produits et qui expriment leur intérêt personnel à travers les élections politiques et les représentants politiques qui, eux aussi, ont un ensemble d’intérêts individuels qui se manifeste par l’utilité escomptée de renouveler ou gagner un mandat électoral (Tullock, 1972).

L’école du choix public cherche ainsi à mettre en évidence les différentes fonctions d’utilité des agents concernés et des contraintes qui pèsent sur le choix qu’ils opèrent lorsqu’ils prennent une décision. Ainsi, de la même façon que l’Homo œconomicus cherche à poursuivre un intérêt individuel, l’homme politique cherche également à satisfaire ses intérêts privés. Les théoriciens du public choice expliquent les comportements empiriquement observés des décideurs par une analyse rationnelle des motivations et des contraintes qui déterminent leurs comportements et leurs choix.

Les travaux de Gordon Tullock (1965), de William Niskanen (1971) et de Thomas Borcherding et Robert Deacon (1972) vont alors porter sur la modélisation des comportements et des attitudes des agents économiques face à des choix non marchands. Le point de départ est de considérer que tout individu, quel que soit son statut, est animé par les mêmes objectifs : la satisfaction de l’intérêt privé. Gordon Tullock (1965) met alors en évidence que dans les organisations publiques, le degré d’autonomie des agents est beaucoup plus élevé que dans les entreprises privées. Dans les entreprises privées, les actes individuels, toutes choses égales par ailleurs, ont le plus de chances de coïncider avec l’intérêt général. Au contraire, dans les organisations publiques, les agents ont plus de possibilités de laisser libre cours à la maximation de leurs intérêts individuels et celui-ci ne converge pas nécessairement avec l’intérêt collectif.

D’autres travaux tels que ceux d’Anthony Downs (1957) et de William Riker (1962) vont présenter l’homme politique comme un political entrepreneur. L’homo politicus est considéré comme un agent économique semblable à tout autre. Il cherche à maximiser le nombre de ses électeurs en leur offrant le panier de consommations collectives qu’ils désirent. Le marché électoral possède des caractéristiques propres mais qui

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jouent le même rôle que le marché économique, c’est-à-dire adapter l’offre de biens publics à la demande des citoyens.

Selon ces auteurs, les institutions politiques sont semblables à un marché composé de relations contractuelles et dont le fonctionnement repose sur des calculs de coûts-avantages individuels. Le comportement du citoyen, lors d’un vote électoral, est comparable au comportement du consommateur et toutes choses égales par ailleurs, il votera davantage pour le représentant politique dont il espère que l’action maximisera son utilité personnelle que pour celui dont le programme lui apportera une désutilité, c’est à dire une hausse relative des taxe comparativement aux services et biens publics consommés. James Buchanan et Gordon Tullock (1962) étudient dans ce sens les raisons rationnelles du mauvais fonctionnement du système national de santé britannique. Il montre que 1’électeur anglais ne donne pas les moyens financiers qui permettent de produire en termes qualitatifs et quantitatifs les prestations que ce même électeur demande au

National Health Service, cette fois-ci en tant que client consommateur de soins de santé. En France, ce

référentiel a eu une incidence directe sur les réformes des modalités de financement des établissements hospitaliers depuis les années 1980 (Launois, 1981 ; Mougeot, 1998, 2000). La répartition du budget discrétionnaire serait le résultat de jeux de pouvoir et ne permettrait pas d’atteindre un optimum social collectif. L’influence de groupes sociaux sur la gouvernance hospitalière est alors jugée par les partisans des réformes libérales comme nuisible à la pérennité du fonctionnement hospitalier (Domin, 2015).

La mise en évidence des postulats de l’école des choix publics permet de comprendre pourquoi les partisans du New public management cherchent à séparer les tâches administratives publiques de la prise de décision de la sphère politique. La construction de toute forme hybride du New public management s’imprègne des postulats de l’école des choix publics. Or, cette théorie présuppose que le fonctionnement des organisations publiques est, toutes choses égales par ailleurs, moins efficaces que le recours au marché et cela pour trois raisons (Tullock, 1965). La première est l’absence de concurrence dans les bureaucraties qui aboutirait à la maximisation des intérêts privés des agents de l’État. Les fonctionnaires ne subiraient pas de pression à la minimisation de leurs coûts de production.

La deuxième raison est la surproduction supposée des services publics. Pour satisfaire l’électorat ou pour atteindre des objectifs de production, les monopoles publics auraient tendance à produire davantage que ce qu’une allocation des ressources par le marché aurait été. Cela privilégierait une catégorie de la population au détriment des autres. Les représentants politiques sont alors, au sens de ce cadre théorique, incapables de gérer de façon optimale la production des organisations publiques. Cette situation serait par ailleurs renforcée par la capacité des groupes d’intérêt, les classes moyennes, à faire fonctionner l’État en leur faveur en s’octroyant des rentes de situation. C’est alors sur les postulats de ce référentiel qu’a été pensée la réforme de la tarification à l’activité dans le Plan hôpital 2007.

Enfin, si les agents de l’État sont soumis à différents types de contrôles hiérarchiques, ces derniers seraient inefficaces puisqu’il n’existe pas de transfert d’information parfaite au sein du fonctionnement bureaucratique. Les responsables administratifs sont alors jugés

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incapables d’opérer des choix rationnels dans un fonctionnement bureaucratique, les flux d’informations délivrés par les niveaux hiérarchiques inférieurs étant trop importants pour pouvoir les gérer de façon optimale. Les agents auront tendance à avoir une attitude qui coïncide avec les intérêts de l’administration, sans pour autant que ces intérêts soient ceux partagés par la collectivité. Au sein des administrations publiques, les responsables des différents services chercheraient en effet à maximiser leur propre intérêt et fonderaient les différents contrôles des échelons inférieurs sur l’atteinte d’objectifs qui leurs sont favorables.

Selon William Niskanen (1971), si les responsables bureaucratiques se comportent ainsi c’est en partie en raison de l’absence de rémunération élevée et notamment par l’absence de rémunération flexible. Le responsable bureaucrate type, à l’image de la direction d’un hôpital, chercherait alors inévitablement à maximiser la taille des budgets de son espace administratif afin d’en retirer différents avantages en nature. Faute d’augmenter son revenu il cherche à augmenter son prestige. L’augmentation du pouvoir et de la zone d’intervention participent alors davantage à la maximisation de son utilité que la résolution des problèmes pour lesquelles son administration ou organisation a été créée. L’État social est ainsi, d’après le cadre théorique de ce référentiel, détourné de ses buts premiers et la justification des dépenses publiques ne serait pas contrôlée faute de modalités d’évaluation de leur performance. Le phénomène d’agencification proposé dans le cadre du New public

management permettrait alors d’encadrer et de recadrer les zones de compétences des acteurs

en charge du pouvoir central. Nous analyserons ce point en détail dans le chapitre suivant en présentant le rôle des ARS. Il convient à présent de détailler la façon dont la théorie des coûts de transaction a influencé la construction des formes hybrides du New public management.

2.3. La théorie des coûts de transaction et l’homo contractus : le choix du contrat