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Le New public management, un mouvement sans ancrage théorique ?

analyse des trajectoires de l’action publique

Chapitre 3 Le New public management, système productif hybride de l’action publique Le New public management, système productif hybride de l’action publique

2. Les théories économiques au fondement du New public management

2.1. Le New public management, un mouvement sans ancrage théorique ?

Les partisans du New public management affirment que la réussite et l’adaptation de l’action publique menée dans le cadre du référentiel de marché sont liées à l’avènement du

free to manage (2.1.1). Toutefois, la littérature met en évidence que les principes du

management public relèvent avant tout d’une application de principes issus de trois théories économiques néo-libérales (2.1.2).

2.1.1. Le New public management, avènement du free to manage…

L’émergence du New public management est généralement attribuée à la montée en puissance d’idéologies managériales. L’idée partagée dans le référentiel de marché est que les responsables gestionnaires, et donc les managers ont un rôle majeur à jouer dans le processus

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de changement. Peter F. Drucker (1954), désigné par ses pairs comme le fondateur théorique du management, met en évidence que ce sont les managers et le management qui font que les institutions réussissent. Le mouvement dit de libération du management dans le secteur public, qui prend forme au début des années 1990, prône l’idée que les managers n’ont pas à suivre de théorie particulière dans leur activité. Le slogan free to manage en est la démonstration (Hood, 1991). D’après ses promoteurs, tout ce dont a besoin l’administration publique est de laisser faire les managers (Drucker, 1974). En laissant les managers libres de gérer leurs unités, en leur donnant davantage de pouvoir, de responsabilité et de marge de manœuvre, l’inefficacité des administrations publiques disparaîtra.

L’esprit du New public management semble donc reposer sur la liberté de gestion. La logique des résultats prévaut alors sur la logique de moyens. Les politiques doivent se cantonner à la détermination d’objectifs à atteindre et les managers doivent être libres de choisir les moyens pour y parvenir. Ils sont donc censés être les nouveaux concepteurs de dispositifs d’encadrement de l’action publique. Le rôle des experts du managérialisme semble alors primer sur les travaux académiques proposant des méthodes de gestion en fonction des objectifs à atteindre. L’intervention publique, en cherchant à orienter les moyens d’action, risque alors de réduire l’atteinte d’un optimum au sens de Pareto.

Toutefois, la littérature met en évidence le fait que, si le New public management est effectivement ancré dans l’application du managérialisme, ses fondements n’en sont pas moins issus de la littérature économique. Ainsi, Christopher Hood (1991) précise que le New

public management est un mariage entre deux opposés : « One way of interpreting NPM's origins is as a marriage of two different streams of ideas. One partner was the 'new institutional economies'. It was built on the now very familiar story of the post-World War II development of public choice, transactions cost theory and principal-agent theory .(…)The other partner in the 'marriage' was the latest of a set of successive waves of business-type 'managerialism' in the public sector, in the tradition of the international scientific management movement » (p. 6).

De la même manière, Linda Kaboolian (1998) réitèrera cette idée que le New public

management puise ses origines conceptuelles dans les théories économiques néo-libérales :

« The institutional reforms of the New Public Management are heavily influenced by the

assumptions of the public choice approach, principal-agent theory, and transaction coast economics » (P. 190).

Dans la littérature française, Philippe Bezes (2005c) met également en évidence que le

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théorie du Public Choice (William Niskanen), celle des coûts de transaction (Oliver E. Williamson) ou celle de l’agence (M. Jensen et W. Meckling) font partie des corpus scientifiques mobilisés pour élaborer de nouvelles recommandations et de nouvelles pratiques

» (p. 27).

Si le managérialisme a joué un rôle important dans le mouvement de réforme de l’action publique, les théories économiques se rattachant au modèle de fonctionnement des marchés n’en sont pas moins les dénominateurs communs dans les différents pays d’application du New public management. Il convient alors de présenter ces trois théories économiques et leur lien avec la conceptualisation du New public management.

2.1.2. … sous l’influence de l’économie institutionnelle néo-libérale

Le New public management repose sur un ensemble de concepts théoriques dont l’origine peut être associée à l’économie institutionnelle néo-libérale. En effet, l’analyse du rôle et de la place des institutions est prépondérante dans le référentiel du New public

management et cette analyse repose sur des postulats néoclassiques (Gow et Dufour, 2000 ;

Hood et Peters, 2004). Ces théories au fondement du New public management sont la théorie du choix public, la théorie des coûts de transaction et la théorie de l’agence. Au sein du référentiel marchand, ces théories s’accordent toutes pour questionner l’efficacité absolue du marché comme forme unique d’allocation des ressources, mais proposent une analyse différenciée des dispositifs alternatifs à cette modalité des échanges. Ces trois courants, tout en étant affiliés à la pensée néo-libérale, ont donc pour point commun de questionner l’équilibre de marché à travers l’étude de l’environnement institutionnel (les règles du jeu) et des arrangements institutionnels (l’utilisation des règles du jeu) (North, 1990) qui interagissent dans les modalités de l’échange entre agents économiques.

Le rôle des relations contractuelles et les différents types de contrats permettant d’optimiser les modalités de l’échange sont analysés par ces trois théories. La mise en évidence de l’incomplétude des contrats entraîne l’analyse des actions collectives menées pour y remédier (Arrow, 1963). Il convient alors de définir si les institutions sont des situations de substitution au marché qui ne permettent alors d’atteindre qu’un optimum de second rang au sens de Pareto, ou si le marché est une institution parmi d’autres et le choix de l’organisation la plus à même d’encadrer l’échange dépend des modalités mêmes de cet échange. Il convient alors de préciser que la définition d’institution représente une réelle nébuleuse au sein même du courant institutionnaliste libéral (Ménard, 2012).

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Des trois théories supports du New public management, la plus grande différence repose sur la qualification du comportement de l’agent économique. En effet, alors que l’école du Public choice et la théorie de l’agence59 s’inscrivent dans les préceptes de la théorie du choix rationnel avec pour définition de l’agent économique celle de l’homo œconomicus, la théorie des coûts de transaction pose l’hypothèse d’une rationalité limitée. Ainsi, Herbert Simon (1976) introduit la différence entre la rationalité substantive et la rationalité limitée. Le postulat de départ de la rationalité parfaite, ou substantive est qu’il est possible de faire « comme si » tout agent était capable de probabiliser toutes les issues possibles et de déterminer le choix optimal de chaque situation (Friedman, 1953).

Au contraire, la rationalité limitée est une forme de rationalité imparfaite, autrement dit, les capacités cognitives, les connaissances de leur environnement, ne permettent pas aux agents de posséder une information parfaite. L’analyse de la rationalité imparfaite ne se limite pas aux seuls travaux sur la rationalité limitée issus de la théorie standard étendue. Elle s’inscrit alors dans un ensemble plus vaste de terminologies dont certaines semblent éloignées les unes des autres puisqu’étant rattachées pour certaines au théories économiques orthodoxes et pour d’autres aux théories hétérodoxes. Il est alors possible de retrouver dans la littérature les notions de rationalité cognitive (Walliser, 1989), de rationalité interactive (Ponssard, 1998), de rationalité située (Orléan, 1994), de rationalité procédurale (Favereau, 1989), ou de rationalité interprétative (Batifoulier, 2001 ; Buttard, 2008c).

Toutefois, dans les théories supports du référentiel du New public management, si ces approches diffèrent en termes de postulats de rationalité des agents, elles reposent sur les mêmes hypothèses en matière de motivations humaines. Tout agent économique cherche à maximiser son bien-être personnel. La satisfaction des intérêts privés prime sur l’intérêt collectif et la maximisation du bien-être trouve, en contre-partie, la minimisation des peines. La lutte contre l’opportunisme et l’égoïsme devient alors le fer de lance de ces trois théories et la mise en place d’incitations est alors une question centrale. Il convient alors de corriger ces motivations par un encadrement institutionnel collectif, qu’il s’agisse du marché ou non, qui incarne l’intérêt général. Nous proposons à présent de détailler chacune de ces théories et de définir en quoi elles ont influencé le cadre idéologique du référentiel de marché auquel se rattache l’organisation de la production de l’action publique.

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