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Les enseignements de la littérature : la faiblesse des éléments institutionnels

Du système complexe de télémédecine à la forme de l’intervention de l’État

Chapitre 1 Construction d’un cadre analytique des systèmes de télémédecine 21Construction d’un cadre analytique des systèmes de télémédecine21

2. Caractérisation des éléments du système de télémédecine

2.2. Les enseignements de la littérature : la faiblesse des éléments institutionnels

Notre objectif final est de caractériser les systèmes de télémédecine. Forte des enseignements de la théorie de la régulation nous recensons dans la littérature les éléments permettant de réaliser cet exercice. Nous détaillons dans un premier temps la méthodologie de la revue de la littérature que nous avons appliquée (2.2.1), puis nous présentons les principaux résultats obtenus à l’issue de l’analyse de cette littérature (2.2.2).

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2.2.1. Méthodologie de la revue de la littérature économique

Afin de réaliser une revue de la littérature relative à la caractérisation de la télémédecine en tant que pratique institutionnalisée, nous avons consulté les principales bases de données électroniques de revues en économie27 : Science Direct, Scopus, Sage, J-Stor et Cairn en mettant un filtre de champ disciplinaire et en considérant la période 2000-2015 (Sage ne permettant pas de faire une recherche disciplinaire, le filtre a été opéré ex-post à partir du nom des revues). Une recherche par spectre large, en interrogeant les bases par 12 mots-clés relatifs à la télémédecine a été effectuée (Cf. tableau 1).

Tableau 1 - Nombre d’articles identifiés par mot-clé

Mot-clé Nombre d’articles par base interrogée Nombre

d’articles

pour le

mot-clé

Nombre d’articles

après suppression des doublons pour un même mot-clé Sciences

Direct Scopus Sage J-Stor Cairn

eHealth 0 9 3 46 0 58 58 e-Health 7 23 14 169 0 213 202 telecare 1 4 0 32 0 37 37 tele-care 0 0 0 3 0 3 3 telehealth 5 9 1 48 0 63 61 tele-health 0 1 0 8 0 9 9 telemedicine 9 66 18 165 1 258 257 télémédecine 0 1 0 2 4 7 6 télésanté 0 0 0 0 4 4 4 télé-santé 0 0 0 0 0 0 0 tele-healthcare 0 0 0 0 0 0 0 telehealthcare 0 3 3 0 0 3 3 Total 22 116 39 473 9 659 640

L’agrégation des 640 résultats de recherche par mot-clé a permis d’identifier 96 doublons, ce qui indique que, comme nous l’avons pointé dans la section précédente, les mots clés mobilisés sont fréquemment utilisés comme synonymes. Les 544 références restantes ont ensuite été triées à partir du titre afin de dégager les articles pertinents au regard de la question de la caractérisation de la télémédecine en tant que pratique institutionnalisée. 161 articles ont été retenus après cette étape, ils ont été classés par type d’analyse et par type de problématique (Cf. tableau 2 infra). Le nombre d’articles non-retenu est important, mais cela s’explique facilement. Malgré nos critères de recherche relativement stricts, il persistait un

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nombre conséquent de travaux publiés dans des revues ne relevant clairement pas du champ de l’économie (ex : Scientific American, Indian Journal of Science and Technologies).

Tableau 2 - Classement des articles par type d’analyse et de problématique Classement des articles par type d’analyse

Étude de cas

particulier Étude par pays Perspective globale Comparaisons internationales Total

62 19 67 13 161

38% 12% 42% 8% 100%

Classement des articles par problématique Aspect

technologique ou médical strict

Ethique /

réglementaire Perception du patient / du médecin

Évaluation Prospective Autre Total

51 11 25 35 18 21 161

32% 7% 15% 22% 11% 13% 100%

Dans la littérature recensée, 42 % des articles cherchent à avoir une perspective globale (internationale), 12 % proposent une étude à l’échelle d’un pays et 8 % ont pour problématique la comparaison internationale. Ces résultats laissent donc entendre une présentation de la télémédecine dans son environnement institutionnel. En effet, qu’il s’agisse de la présentation de cas par pays, d’études à perspective globale ou de comparaisons internationales cela sous-entend que ces articles proposent avant toute analyse, de caractériser l’environnement de leur objet d’étude qu’est la télémédecine. Toutefois, il s’avère après lecture de ces articles que la question institutionnelle n’est la problématique générale d’aucun article. La caractérisation de la télémédecine ne passe pas par la caractérisation de son environnement institutionnel. Tout au plus, pour seulement 7 % d’entre eux, les questions éthiques et réglementaires apparaissent comme la problématique générale de l’article. Toutefois, ces articles discutent davantage la définition de la responsabilité juridique du médecin que son rôle dans l’organisation de la pratique. Ces résultats sont à relier au nombre conséquent d’articles ayant un aspect strictement médical ou technologique malgré le tri effectué. Ces résultats traduisent le fait que la télémédecine reste un champ émergent de la littérature économique.

Pour construire notre base finale, dont l’objectif est d’éclairer l’institutionnalisation des pratiques de la télémédecine, nous avons retenu 54 articles. Lors de la lecture de ces articles, 7 ont étés identifiés comme ne parlant finalement pas de pratique médicale à distance et ont été exclus ex post. Notre revue de littérature porte donc sur 47 articles. Il convient de présenter les enseignements tirés de cette littérature.

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2.2.2. L’efficience, seule caractéristique institutionnelle considérée dans la littérature Parmi les 47 articles retenus, la majorité se focalise sur l’évaluation de la performance de la télémédecine comparativement à la pratique traditionnelle de la médecine. Dans cette littérature, seule la question de l’efficience est abordée sous l’angle institutionnel (Le Goff-Pronost et Sicotte, 2010 ; May, et al., 2003 ; Sicotte, et al., 2003 ; Turchetti et Geisler, 2009). La performance de la télémédecine est donc entendue comme un arbitrage coût-avantage ou coût-efficacité. Les institutions sont considérées dans ces analyses comme des organisations dont l’objectif est de pallier les défaillances de marché et doivent donc être analysées en termes d’efficience. Dans cette littérature, l’organisation de la télémédecine est exclusivement analysée à travers sa capacité à produire de l’efficience en termes performatifs. Si l’organisation n’est pas efficiente, alors elle n’a pas lieu d’être puisqu’elle ne fait pas mieux que le marché. Peu importe dans ce cas l’environnement dans lequel sont introduites les nouvelles modalités organisationnelles et les adaptations nécessaires, seuls les résultats de l’analyse de la performance sont retenus comme indicateurs d’efficience de la pratique. La mise en évidence de ces résultats traduit dès lors la suprématie du cadre d’analyse standard dans la littérature recensée. Ainsi, cela va dans le sens de l’analyse de Robert Boyer (2003) de la considération faite des institutions au sein de la littérature économique dite standard : « on

constate que, pour la plupart des théories économiques standards, l’inertie se situe du côté des institutions, le changement du côté des marchés et la concurrence qu’ils organisent. Dans ces conditions, c’est le retard des institutions par rapport à la dynamique de l’innovation technologique et organisationnelle privée qui est mis en avant » (p.168).

D’après la littérature recensée, la télémédecine est une innovation technologique et les institutions, toute chose égale par ailleurs, doivent s’adapter à l’innovation et non l’inverse. Cela laisse donc entendre, dans ce cadre analytique particulier, la possibilité de créer un modèle universel de télémédecine. Si ce sont aux institutions de s’adapter à la télémédecine, il n’y a donc pas d’intérêt à analyser les configurations institutionnelles.

Dans ce référentiel précis, l’efficience en termes comptable apparaît comme le seul élément institutionnel objectif. La présentation de Stefan Felder et Harald Tauchmann (2013) illustre le phénomène. Les auteurs mettent en évidence, à l’aide d’un modèle économétrique, des différences d’efficience de la télémédecine au sein des états allemands. La dépendance au sentier en termes institutionnels est abordée mais est analysée comme la variable à faire évoluer. Si les institutions sont un frein à la télémédecine, alors il devient nécessaire de les

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modifier. Les interdépendances institutionnelles avec l’environnement de l’organisation de la télémédecine sont dès lors inexistantes dans cette littérature.

Ici encore, cela rejoint l’analyse faite par Robert Boyer (2003) : « à partir de la théorie

néoclassique (…) seule la perfection de la réponse au contexte de chaque institution serait garante de la viabilité de la performance d’une économie. (…) On comprend dès lors qu’il soit difficile de faire ressortir par des travaux économétriques standards le rôle par exemple des institutions du travail sur le chômage, la croissance, les créations d’emplois. La réponse négative donnée par les tests économétriques tiendrait moins à l’inimportance des institutions qu’à l’inadéquation de leur conception générale » (p. 184). Ainsi, dans la littérature recensée,

chaque institution doit s’adapter afin d’être performante, cela suppose alors un postulat fort qui consiste à considérer les institutions comme indépendantes et complètement désencastrées.

Au-delà de la considération des institutions et de leur rôle, la littérature recensée permet également d’éclairer la façon dont sont menées les mesures de l’efficience et les enseignements qui en sont tirés. Le document le plus abouti que nous avons recensé est la recherche dont est issu le manuel MAST (Model for ASsement of Telemidicine) qui est une adaptation du document Health Technology Assesment (HTA) (Kidholm, et al., 2012). Le HTA propose une méthodologie d’évaluation de la performance des technologies du numérique utilisées dans le cadre de l’amélioration de la santé. Ainsi, le HTA évalue l’outil technologique et le MAST évalue l’organisation de la pratique médicale qui y est associée. Le manuel MAST permet alors de jauger l’efficience de projets de télémédecine. La majorité des évaluations de la performance de la télémédecine, y compris en France s’inspire du manuel MAST (HAS, 2013a). Cependant, le niveau d’analyse est celui du cas microéconomique, ce qui ne permet pas de renseigner l’efficience à un niveau régional ou national de la télémédecine. En effet, pour avoir du sens, l’analyse doit être développée à un niveau macrosectoriel afin d’être en mesure de couvrir les territoires nationaux (du Tertre, 2002 (1995)). Ce n’est pas parce qu’il est possible de mesurer l’efficience microéconomique de la télémédecine via des dispositifs tels que celui présenté par le modèle MAST que la pratique est nécessairement efficiente à l’échelle plus globale. Il est tout à fait possible d’envisager des configurations où des cas microéconomiques qualifiés de non-efficients contribuent néanmoins à une efficience au niveau global grâce à un phénomène de compensation en renforçant par exemple l’équité dans l’accès aux soins, critère de performance du système de santé.

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C’est donc bien en étudiant la configuration institutionnelle dans son ensemble que l’analyse de la télémédecine prend sens. Toutefois, si le système de télémédecine est étudié indépendamment du système de santé, les potentielles retombées transversales ne sont pas prises en considération. Lorsque des études sont menées pour qualifier l’efficience du système de santé, il ne s’agit pas de déterminer si le système est efficient au regard d’une pathologie, d’une spécialité ou d’un type de patientèle. Dès lors, en quoi serait-ce le cas de la télémédecine ? En quoi l’efficience microéconomique des projets de télémédecine permettrait-elle de tirer des conclusions sur la performance globale de la pratique ? Compte tenu des limites de la littérature recensée, nous proposerons par la suite une méthode alternative de caractérisation.

Enfin, la littérature académique recensée offre également différentes études de cas de

success story de pays ou de projets particuliers desquels il serait possible de tirer des

enseignements performatifs (Duran-Arenas et Coburn, 2005 ; OCDE, 2010 ; OMS, 2010b ; Syntec Numerique, 2011). Les success stories sont reprises dans la littérature grise gouvernementale des pays considérés comme en retard dans le déploiement de la télémédecine. En France, nombre de rapports sont construits autour des enseignements tirés de ces success stories (DGOS, 2012d ; Lasbordes, 2009 ; Martin et Rivoiron, 2012a, b ; Syntec Numerique, 2011). Dans ce cas, l’analyse apparaît incomplète dans la mesure où le périmètre d’action en termes de pathologies, de spécialités et d’acteurs concernés n’est pas défini. La littérature recensée nous enseigne que la télémédecine est considérée comme une pratique associée uniquement à l’espace du soin et renvoie a priori exclusivement à l’acte médical. Son environnement n’est pas caractérisé et les interactions institutionnelles ne sont pas considérées. Toutefois, les théories institutionnelles hétérodoxes suggèrent qu’il est nécessaire de caractériser la configuration institutionnelle de tout modèle organisationnel afin d’en comprendre le fonctionnement (Boyer, 2003). Dès lors, nous considérons que la pratique de la télémédecine renvoie à une organisation qui doit être reliée à son environnement et en premier lieu au système de santé. La télémédecine devient alors une forme de production de soins qui fait partie du système de santé, et contribue potentiellement, comme le suggère l’OMS, à sa performance. La télémédecine serait alors un sous-système du système de santé dont il faudrait caractériser l’environnement, ici, le système de santé. La littérature recensée est riche d’enseignements pour comprendre les supports théoriques sur lesquels reposent les stratégies de développement et l’orientation néo-libérale de l’organisation. Toutefois, elle n’est absolument pas opérante pour réaliser la caractérisation que nous souhaitons réaliser.

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Nous nous tournons alors vers les travaux effectués sur les différentes modalités de caractérisation du système de santé afin de mettre en évidence leurs enseignements, pour la caractérisation de la configuration institutionnelle de la télémédecine.