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L’hybridation dans l’environnement institutionnel français : confrontation des

analyse des trajectoires de l’action publique

Chapitre 3 Le New public management, système productif hybride de l’action publique Le New public management, système productif hybride de l’action publique

1.3. L’hybridation dans l’environnement institutionnel français : confrontation des

points de vues

En France, c’est la Loi organique relative aux lois de finance (LOLF) votée en 2001 qui marque un tournant dans l’application des principes du New public management dans la production de l’action publique. Le mode de gestion des organisations publiques est alors dominé par un pilotage par la performance. La LOLF, initialement présentée comme la mise en place d’indicateurs de processus, permettant d’étudier les moyens, est en réalité un outil d’évaluation des pratiques individuelles et collectives (Jany-Catrice, 2012a). L’objectif affiché est alors de responsabiliser les agents de l’État dont le comportement peut être, dans certaines situations, jugé non efficace et opportuniste par les partisans des réformes (Jany-Catrice et Méda, 2013). La création d’indicateurs de performance devient une nouvelle forme de gestion du personnel. Le principal outil de gestion est alors la rémunération à la performance.

Suite à l’introduction des modalités de paiement liées à la performance par la LOLF, c’est une révision de l’ensemble des modalités de fourniture des services publics qui est mis en place en 2007 par le biais de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Il s’agit alors d’évaluer de façon globale tout service public. Dans la lignée du New public

management, la généralisation du paiement à la performance à tout fournisseur de service

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l’efficacité de ces services. La modernisation des services publics est alors présentée comme la mise en place d’une plus grande transparence vis-à-vis du citoyen contribuable et usager et serait donc une forme d’approfondissement de la démocratie.

Dès lors, le New public management est, selon la formule utilisée par Philippe Bezes (2009), avant tout un puzzle doctrinal plutôt qu’un modèle théorique unifié. Cela corrobore alors l’idée d’une forme productive hybride. Son application repose sur des technologies issues de principes managériaux conçus par des gestionnaires (audits, évaluations, indicateurs de performance, benchmarks, classement, encouragement à la réussite, mise en compétition des acteurs, rémunération sur objectifs). Afin d’illustrer la difficulté à délimiter les contours du modèle productif de l’action publique au sein d’un même environnement institutionnel, celui de la France, nous proposons de détailler deux approches différentes. Celle des sociologues (1.3.1) et celle des gestionnaires (1.3.2). Si ces deux approches comportent un certain nombre de points communs, elles ne mettent pas l’accent sur les mêmes particularités du New public management. Il ressort de cette double analyse que le modèle français est une forme organisationnelle elle-même issue de deux hybrides, la Bureaucratie publique et le

Gros embouteillage institutionnel (1.3.3).

1.3.1. Le point de vue sociologique : le paradoxe du moins d’État, mais plus de règles Philippe Bezes et Didier Demazière (2011) notent que malgré l’hétérogénéité de la conceptualisation du New public management cinq grands principes managériaux et organisationnels se retrouvent dans les différentes configurations conceptuelles du modèle français. Le premier est la séparation entre d’une part les fonctions de stratégies, de pilotages et de contrôle et d’autre part celles opérationnelles de mise en œuvre. La deuxième est la fragmentation des bureaucraties verticales par le biais de la création d’unités administratives indépendantes. La troisième est le recours systématique aux mécanismes de marché. La quatrième correspond à la mise en place d’incitations et particulièrement des formes d’incitations individuelles. La cinquième correspond à la gestion des résultats fondée sur une évaluation des performances et cela passe notamment par la mise en place de programmes de contractualisation.

Pour ces auteurs, le New public management considère que l’introduction de mécanismes marchands est nécessaire dans le fonctionnement de l’action publique, que la mise en concurrence des acteurs est indispensable pour réduire les coûts et augmenter l’efficacité des différents secteurs publics. Le point central du New public management, dans

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cette perspective sociologique est l’amincissement du poids de l’État. En France il aurait été introduit dans les administrations publiques dès le début des années 1980 par des experts gestionnaires partisans d’une réforme en profondeur des administrations jugées, par ces mêmes experts, inefficaces et trop lourdes bureaucratiquement. L’objectif initial du New

public management est donc de réinventer le management des administrations en transférant

aux administrations publiques les méthodes managériales des secteurs privés. Plus particulièrement des entreprises privées qui sont jugées, selon des critères d’évaluation des résultats comptables, plus efficaces. Des indicateurs de performance des services publics doivent alors être mis en place. En France, un ensemble de recommandations en vue de mettre en place la bonne méthode d’évaluation des politiques publiques va être proposé. La mise en œuvre du New public management dans les administrations publiques françaises a donc pour vocation d’augmenter l’efficacité, le contrôle et la transparence de l’action publique tout en réduisant ses coûts. Pour cela, le contrôle des administrations doit être réalisé par des agences extérieures afin d’autonomiser la gestion des services de l’État.

Philippe Bezes (2009, 2012) note que le New public management devient une boite à outil de la réforme de l’intervention de l’état à partir des années 1970 dans les pays anglo-saxons et se diffuse par la suite aux autres pays occidentaux. Les institutions internationales telles que l’OCDE, le FMI ou encore l’OMS reprendront les préceptes du New public

management dans leurs recommandations faites à leurs pays membres pour différents

domaines d’application. C’est par le biais de ces recommandations que la France a introduit les mécanismes du New public management. L’adaptation des recommandations internationales au modèle organisationnel français se traduit ainsi par un retrait de l’État dans la fourniture directe de services publics.Toutefois, cette délégation de tâches est compensée par une augmentation des règles qui encadrent la nouvelle forme de production de missions d’intérêt public. Dans le champ de la santé, le phénomène d’agencification (Pierru, 2011) et celui de privatisation (Pierru, 2007) en sont des exemples caractéristiques (Cf. Chapitre 5 p. 284).

1.3.2. Le point de vue gestionnaire : la performance du management public

Yvon Pesqueux (2006) dresse également un tableau des modalités d’application du

New public management en France. Il montre que l’accent est mis sur la notion de mérite et

l’individualisation des modalités de rémunération. Cette individualisation des carrières va de pair avec la mise en place de contrôle de la performance des activités. Dès lors, la

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programmation, la coordination, la contractualisation, l’évaluation et le contrôle de gestion sont les maîtres mots du New public management à la française. La recherche de la performance, définie comme l’alliance efficacité-efficience, se base sur l’introduction de principes de mise en concurrence des acteurs, à l’image du fonctionnement des marchés.

Yvon Pesqueux (2006) recense alors cinq axes à travers lesquels la puissance publique française tente de mettre en œuvre les dispositifs du New public management afin d’améliorer la performance publique. Le premier axe est l’introduction systématique des TIC. Ces dernières doivent permettre d’assurer l’amélioration de la performance des services publics, non seulement par le biais de la hausse de la productivité, mais également par la possibilité qu’elles offrent de rationaliser et de normaliser de travail des producteurs de services publics.

Le deuxième axe est le management participatif. Le contrôle interne par l’organisation et par des agences de qualité doit s’accompagner d’un contrôle citoyen externe. L’évaluation de la performance d’une organisation publique par les citoyens usagers peut, dès lors, être comparée à celle d’une entreprise privée par les actionnaires. Dans le champ de la santé, cela se traduit par l’instauration d’une démocratie sanitaire où le patient-usager est placé au cœur de la relation de co-production (Domin, 2014).

Le troisième axe est celui du management par la qualité. Le New public management introduit une notion nouvelle en plein essor, celle de l’économie de la qualité. Cela traduit l’idée que l’organisation est capable de s’adapter aux demandes des usagers par le biais de

feedbacks qui suivent l’évaluation de la satisfaction des citoyens. Des études de besoins et des

enquêtes de satisfaction sont alors intégrées au projet d’établissement. Ici encore, la démocratie sanitaire peut être interprétée comme l’application de cet axe au système de santé. Le quatrième axe est celui de la planification stratégique. Comme pour une entreprise, les offreurs de services publics ont des objectifs à atteindre58. Ces objectifs sont quantifiés et une valeur monétaire leur est attribuée.

Le cinquième axe est le contrôle de gestion. Celui-ci renvoie à l’ensemble des outils managériaux permettant le pilotage du New public management. Il s’agit donc d’un axe transversal. De manière générale, le New public management poursuit un objectif d’efficacité qui n’a pas de frontière ni de temporalité. L’hybridation apparaît cependant comme une nécessité pour s’adapter à l’environnement institutionnel du modèle productif.

58 Le jour de la rédaction de cette section de thèse, le 20 octobre 2015, le journal télévisé de France3 Champagne-Ardenne s’ouvre par un reportage sur un médecin de Sermaize-les-Bains (Marne) qui a décidé de cesser son activité libérale suite à la demande de la Caisse primaire d’assurance maladie de réduire le nombre de prescriptions d’arrêts maladie. La CPAM de la Marne lui pose un ultimatum : pendant 4 mois, ce médecin doit s'engager à réduire le nombre d’arrêts maladie de 24 %, sinon une sanction financière pouvant aller jusqu'à 6 258 euros lui sera adressée.

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1.3.3. Le modèle français : hybridation des modèles Bureaucratie publique et Gros embouteillage institutionnel

Nous proposons ici de réaliser une synthèse globale du modèle productif de l’action publique en France. Nous présenterons la configuration propre à l’organisation productive de la télémédecine dans le chapitre suivant. D’après la présentation sociologique et celle managériale du New public management à la française, il est possible de situer le modèle productif entre les modèles hybrides Bureaucratie publique et Gros embouteillage

institutionnel. Le modèle français est donc le résultat de la mutualisation de deux hybrides.

Cela renvoie à l’idée que chaque modèle est unique et représente l’adaptation d’autres modèles.

Qu’il s’agisse de la vision sociologique ou de celle managériale, la suprématie de la réglementation est clairement affichée. Il n’est donc pas possible de classer le cas français dans un modèle à réglementation faible. En revanche, les deux analyses sociologiques et managériales révèlent une grande diversité dans l’appréhension de la réglementation. Les deux pointent l’encadrement normatif fort dans la mise en place des principes managériaux dans le New public management à la française. Toutefois, la vision sociologique met l’accent sur l’encadrement de l’organisation en tant que telle alors que la vision gestionnaire porte davantage d’importance à l’analyse de la normalisation des techniques d’évaluation des résultats. L’une porte donc sur la réglementation des moyens et l’autre sur la réglementation des résultats.

Par ailleurs, la distinction public-privé reste forte en France, ce qui ne permet pas de classer le cas pleinement dans le modèle Gros embouteillage institutionnel. L’intensification des partenariats public-privé montre une évolution du modèle du management public traditionnel français. Toutefois, le maintien des compétences du secteur public dans un nombre important de secteurs met en évidence la forme de contractualisation atypique dans le cas français comparativement à d’autres modèles productifs nationaux de New public

management.

Placer le modèle français à cheval entre le modèle Gros embouteillage institutionnel et le modèle Bureaucratie publique montre également le maintien important de la structure précédente de management public sur laquelle vient se superposer de nouveaux arrangements institutionnels propres au New public management. Cela est particulièrement visible dans le cas de la télémédecine. C’est ce que nous mettrons en évidence dans le chapitre suivant.

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Caractériser le modèle productif du New public management français étant fait, il convient à présent de revenir sur la sémantique de l’expression afin de clarifier la distinction entre ancien et nouveau modèle productif de l’action publique.