• Aucun résultat trouvé

les origines de la politique publique

2. Depuis 2009 : l’ère de l’institutionnalisation de la télémédecine

2.1. HPST : de la loi à l’esprit de la loi

Si la loi HPST de 2009 et son décret d’application de 2010 marquent la naissance de l’institutionnalisation de la télémédecine, l’analyse de ces textes juridiques ne suffit pas pour comprendre les enjeux du déploiement de la pratique. Nous présentons la télémédecine au sens de la loi HPST et étudions en quoi elle marque une rupture dans l’histoire de la pratique de la médecine à distance (2.1.1), puis nous présentons les rapports sur lesquels reposent les propositions d’opérationnalité du déploiement de la pratique sur le territoire français. Ces textes représentent les supports idéologiques qui servent de point de départ à la construction de la politique de télémédecine (2.1.2).

2.1.1. La loi HPST, un tournant dans la définition de la télémédecine

Le passage de l’ère de l’industrialisation à celle de l’institutionnalisation est visible à travers la lecture des différents rapports industriels et gouvernementaux qui traitent de la télémédecine. De 1993 à 2008, la télémédecine est considérée dans les rapports comme un outil technologique. Ces rapports sont à destination soit des ministères de l’Industrie soit de la Recherche et nouvelles technologies. Puis l’année 2008 marque une rupture, la loi HPST est en préparation, un renouveau dans la régulation de la production des soins s’amorce. Les rapports sur la télémédecine s’adressent dès lors au ministère de la Santé. Le tableau

ci-Chapitre 2 - De l’industrialisation à l’institutionnalisation de la pratique télémédicale : les origines de la politique publique

111

dessous recense l’ensemble des rapports publiés depuis 1993 sur la télémédecine en France et permet de visualiser la rupture dans l’orientation donnée à la télémédecine en 2008. À partir de 2011, les rapports sont ensuite à destination des organismes membres du Comité national de pilotage du déploiement de la télémédecine.

Tableau 8 - Les rapports français sur la télémédecine depuis 1993

Date Titre du rapport Organisme destinataire

1993 La télémédecine, enjeux médicaux et industriels Ministères de l’Industrie, des postes et des

télécommunications, du commerce 2000 Rapport sur les enjeux de la Société de

l’Information dans le domaine de la Santé Cabinet du Premier ministre

2003 Rapport sur l’état des lieux, en 2003, de la

télémédecine française Ministère de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche. Ministre délégué à la recherche et aux nouvelles technologies 2008 Télémédecine et accès au marché Propositions

d'accompagnement d'initiatives individuelles Ministère de l'Économie de l'Industrie et de l'Emploi 2008 La place de la télémédecine dans l’organisation

des soins Ministère de la Santé et des sports

2009 Livre blanc sur la télémédecine Conseil national de l'Ordre des médecins

2009 La télésanté : un nouvel atout au service de notre bien-être. Un plan quinquennal éco-responsable pour le déploiement de la télésanté en France

Ministère de la Santé et des Sports 2010 Mission de concertation sur la médecine de

proximité Présidence de la république

2011 Efficience de la télémédecine : état des lieux de la littérature internationale et cadre d’évaluation Volume 1

Haute autorité de santé

2011 Etude sur la télésanté et télémédecine en Europe Agence des systèmes d'information partagés de

santé - Fédération des industries électriques, électroniques et de communication

2012 La télémédecine en action : 25 projets passés à la loupe. Un éclairage pour le déploiement national. Tome 1 : les grands enseignements

La télémédecine en action : 25 projets passés à la loupe. Un éclairage pour le déploiement national. Tome 2 : monographie

Agence nationale d'appui à la performance

2012 Télémédecine 2020 faire de la France un leader du

secteur en plus forte croissance de la e-santé Syntec Numérique

2013 Télémédecine 2020 Modèles économiques pour le

télésuivi des maladies chroniques Syntec Numérique

2013 Efficience de la télémédecine : état des lieux de la littérature internationale et cadre d’évaluation Volume 2

Haute autorité de santé

2014 Vade-Mecum Télémédecine Conseil national de l'ordre des médecins

2016 Stratégie nationale e-santé 2020. Le numérique au service de la modernisation et de l’efficience du système de santé

Chapitre 2 - De l’industrialisation à l’institutionnalisation de la pratique télémédicale : les origines de la politique publique

112

La loi HPST est alors le point de transition entre l’outil et la pratique de la télémédecine. L’article 78 de la loi HPST définit la télémédecine comme « une forme de

pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d’autres professionnels apportant leurs soins au patient. Elle permet, d’établir un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes ou d’effectuer une surveillance de l’état des patients. La définition des actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de mise en œuvre et de prise en charge financière sont fixées par décret, en tenant compte des déficiences de l’offre de soins dues à l’insularité et l’enclavement géographique ».

La télémédecine n’est plus un outil permettant de réaliser des actes médicaux, elle devient une pratique médicale à distance et qui doit apporter une solution aux déficiences de l’offre de soins et à l’enclavement géographique. Le décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 pris en application de la loi HPST précise ensuite les actes médicaux qui relèvent de la télémédecine. Ces actes sont au nombre de cinq et sont récapitulés dans l’encadré 5 ci-dessous.

Chapitre 2 - De l’industrialisation à l’institutionnalisation de la pratique télémédicale : les origines de la politique publique

113

Encadré 5 - Définition légale des cinq actes de télémédecine

- La téléconsultation, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient. Un professionnel de santé peut être présent auprès du patient et, le cas échéant, assister le professionnel médical au cours de la téléconsultation.

- La téléexpertise, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de solliciter à distance l'avis d'un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d'un patient.

- La télésurveillance médicale, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d'interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d'un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient. L'enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le patient lui-même ou par un professionnel de santé.

- La téléassistance médicale, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d'assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d'un acte.

- La réponse médicale qui est apportée dans le cadre de la régulation médicale du centre 15 (SAMU). Il s’agit de la régulation téléphonique des urgences hospitalières, au standard téléphonique un médecin réalise un pré-diagnostic afin d’orienter les patients.

Pour chaque acte, le tableau ci-dessous représente les acteurs qui interviennent dans le processus de production, qu’ils soient présents sur place et ou à distance.

Sur place À distance

Téléconsultation

 Patient

 Aidant(s) (en option)  médecin(s) (en option)  professionnel(s)

paramédical(aux) (en option)

 Médecin(s) expert(s)

Téléexpertise  Médecin  Médecin(s) expert(s)

Télésurveillance médicale

 Patient

 Aidant(s) (en option)  Médecin(s) (en option)  Professionnel(s)

paramédical(aux) (en option)

 Médecin(s) expert(s)

Téléassistance médicale

 Patient  Médecin(s)

 Aidant(s) (en option)  Professionnel(s)

paramédical(aux) (en option)

 Médecin(s) expert(s)

Source : Art. R6316-1 du Code de la santé publique

Pour chacun des cinq actes de télémédecine reconnus par la loi, le process de production renvoie soit à la réalisation d’un second avis médical (téléexpertise et téléassistance médicale) soit à la production d’un diagnostic à distance (téléconsultation et télésurveillance). Telles que les relations de production ont été normées, elles correspondent en tout point à celles que nous avons décrites précédemment (Cf. supra p. 106).

Chapitre 2 - De l’industrialisation à l’institutionnalisation de la pratique télémédicale : les origines de la politique publique

114

L’industrialisation de la production de soins est donc le support de l’institutionnalisation de la pratique. L’acte de réponse médicale correspond quant à lui à la régulation téléphonique du SAMU, il ne s’agit pas d’un acte nouveau.

Les modalités de mise en œuvre renvoient également aux possibilités offertes par l’industrialisation de la télémédecine. En effet, le décret d’application de la loi HPST précise les conditions de mise en œuvre des actes de télémédecine : « Les professionnels participant à

un acte de télémédecine peuvent, sauf opposition de la personne dûment informée, échanger des informations relatives à cette personne, notamment par le biais des technologies de l'information et de la communication. Chaque acte de télémédecine est réalisé dans des conditions garantissant : l'authentification des professionnels de santé intervenant dans l'acte ; l'identification du patient ; l'accès des professionnels de santé aux données médicales du patient nécessaires à la réalisation de l'acte. Sont inscrits dans le dossier du patient tenu par chaque professionnel médical intervenant dans l'acte de télémédecine et dans la fiche d'observation mentionnée à l'article : le compte rendu de la réalisation de l'acte ; les actes et les prescriptions médicamenteuses effectués dans le cadre de l'acte de télémédecine ; l'identité des professionnels de santé participant à l'acte ; la date et l'heure de l'acte ». Les

conditions de mise en œuvre des actes de télémédecine nécessitent ainsi une transparence concernant les informations médicales entre les professionnels de santé. Ces informations sont stockées dans un dispositif informatique accessible à tous les professionnels intervenant au cours de l’acte. Il est également possible de connaître le temps exact de chaque acte de télémédecine puisque l’heure de début et l’heure de fin sont précisées.

Si la loi HPST et son décret d’application fixent le cadre juridique de la télémédecine en tant que pratique médicale à distance, l’esprit de la loi renvoie à l’interprétation et à l’application effective des textes. L’étude de la littérature grise va nous permettre d’analyser cet aspect.

2.1.2. La littérature grise : cadre opérationnel de la loi HPST

Qu’il s’agisse de la définition donnée à la télémédecine dans la loi HPST ou de la présentation du cadre de mise en œuvre établit par le décret d’application de 2010, ces mesures ne suffisent pas à elles seules pour garantir le développement de la pratique. Il est nécessaire de donner un cadre opérationnel au déploiement et à son encadrement. L’objectif des différents rapports recensés dans le tableau 8 (Cf. supra p. 111) est alors de proposer une stratégie de déploiement en adéquation avec la loi. Ces rapports à destination de la puissance

Chapitre 2 - De l’industrialisation à l’institutionnalisation de la pratique télémédicale : les origines de la politique publique

115

publique ou des organisations en charge du déploiement de la télémédecine servent ainsi de supports opérationnels à l’élaboration d’une stratégie de déploiement de la télémédecine. Les résultats de ces rapports orientent donc l’organisation de la télémédecine

L’intégralité des rapports rédigés à partir de 2008, à l’exclusion de ceux émis par l’Ordre des médecins, fonde ses recommandations à partir d’expériences étrangères. À partir de ces expériences, ces rapports émettent des recommandations de mise en œuvre pour la France38. Ils précisent en ce sens que le développement de la télémédecine ne doit pas uniquement être envisagé dans une perspective nationale. La pratique de la télémédecine nécessite une harmonisation au minimum européenne de l’organisation des soins à distance. Nous avons recensé quatre principales recommandations dans ces rapports.

La première recommandation concerne les modalités de l’action publique et l’encadrement institutionnel de la pratique. La réussite du développement de la télémédecine reposerait sur la volonté politique d’établir une stratégie nationale. La volonté politique doit être la source première du développement de la télémédecine. Quatre de ces rapports détaillent de façon similaire la manière dont la supervision du déploiement de l’activité peut se faire (Lasbordes, 2009 ; Martin et Rivoiron, 2012a, b ; Simon et Acker, 2008). Les grandes orientations nationales doivent être données par la puissance publique, puis la mise en œuvre des stratégies de déploiement doivent être déléguées à des structures dédiées et indépendantes de l’État. La puissance publique doit énoncer uniquement les priorités d’actions en termes sociétaux (accessibilité et qualité des soins), économiques (maîtrise budgétaire en santé, valeur ajoutée technologique), professionnels (organisation et encadrement des pratiques), industriels et technologiques (recherche et innovation, normes de production) et d’expertise (évaluation de la performance). Une administration ou un comité administratif indépendant doit ensuite superviser la définition des missions au niveau national. Il est suggéré que le cadre opérationnel soit quant à lui être délégué au niveau local.

La deuxième recommandation, toujours issue des enseignements des expériences étrangères, est la mise en place de relations contractuelles entre les administrations locales en charge du développement de la pratique et les producteurs de soins impliqués dans une relation de service de télémédecine (Lasbordes, 2009 ; Simon et Acker, 2008). Ces rapports mentionnent le fait que la télémédecine ne peut pas être efficiente s’il n’existe pas un cadre formalisé qui précise l’ensemble des modalités d’organisation, des conditions techniques, financières et juridiques. Ces relations contractuelles doivent lier les professionnels

Chapitre 2 - De l’industrialisation à l’institutionnalisation de la pratique télémédicale : les origines de la politique publique

116

producteurs de télémédecine et l’organisme de tutelle d’une part et les professionnels de la télémédecine entre eux d’autre part. Le rôle et la responsabilité de chaque acteur doit précisément être énoncé au sein de contrats de télémédecine. De plus, dans chaque projet, toute activité doit faire l’objet de protocoles de soins. Toutes les procédures en lien avec l’activité de télémédecine, impliquant ou non un patient, doivent être confinées dans un registre accessible à tous les acteurs du projet. L’élaboration de protocoles types doit également faciliter le contrôle et l’évaluation de l’activité. Le protocole doit permettre de définir la responsabilité de chaque intervenant dans le processus de production de l’acte. En ce sens, l’usage de guides de bonnes pratiques est également recommandé au sein des rapports portant sur la télémédecine.

La troisième recommandation porte sur le matériel technologique utilisé dans la réalisation des actes de télémédecine. Les rapports insistent sur l’interopérabilité des dispositifs télémédicaux et recommandent la supervision des systèmes d’information par une administration dédiée (Leurent et Schroeder, 2013 ; Syntec Numerique, 2011). Un cadre normatif doit être introduit pour les dispositifs technologiques et des standards de production doivent être définis. L’objectif est de faciliter la circulation et la lecture des informations médicales tout en optimisant les coûts grâce à l’interopérabilité des dispositifs. Des normes européennes en matière de codage et de circulation d’informations existent et doivent être utilisées. Cette harmonisation doit également permettre l’évaluation des pratiques.

Cette évaluation des pratiques de télémédecine correspond à la quatrième recommandation commune des rapports de télémédecine (HAS, 2011, 2013a). L’évaluation est envisagée sous la forme de mesure conjointe de la performance économique et médicale (évaluation clinique) tant de l’organisation des soins que des dispositifs technologiques. Dans chaque rapport, une recherche par mot clé a mis en évidence le fait que le terme évaluation est le mot clé le plus utilisé. L’évaluation de la performance de la télémédecine doit reposer sur des méthodologies de type coûts-avantage ou de minimisation des coûts. Cette évaluation doit permettre de mesurer l’efficacité relative de la filière de soins comparativement à un cadre classique de la production de soins.

Enfin, différentes recommandations sont faites au sein des rapports concernant les modalités de financement, de prise en charge et de rémunération des actes de télémédecine (Hubert, 2010 ; Lasbordes, 2009 ; Simon et Acker, 2008). Sur ces points précis, il est difficile de faire ressortir des recommandations communes, chaque rapport proposant différentes modalités de prise en charge et de rémunération selon les enseignements tirés des pays étudiés. C’est ensuite à partir de ces recommandations issues d’experts missionnés par la

Chapitre 2 - De l’industrialisation à l’institutionnalisation de la pratique télémédicale : les origines de la politique publique

117

puissance publique et les groupes industriels que le programme d’actions publiques et l’élaboration de la politique de télémédecine ont été mis en œuvre. L’action publique de déploiement de la télémédecine repose ainsi sur un ensemble d’idées qui a pour objectif de rendre opérationnelle l’activité de télémédecine telle qu’elle a été institutionnalisée. Dès lors, l’action publique repose sur l’application d’un référentiel particulier.