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Le New public management, un modèle productif adaptatif

analyse des trajectoires de l’action publique

Chapitre 3 Le New public management, système productif hybride de l’action publique Le New public management, système productif hybride de l’action publique

1.2. Le New public management, un modèle productif adaptatif

L’hybridation se présente comme l’adaptation d’un modèle productif à un espace institutionnel local, permettant des modifications profondes, si nécessaires, de sa logique de gestion. Les théories de l’hybridation reposent sur le postulat qu’il n’existe pas de best way ou de world model. Nous présentons dans un premier temps ces théories (1.2.1). À partir de ce cadre théorique nous proposons de caractériser les formes hybrides de production de l’action publique afin de mettre en évidence le modèle organisationnel français (1.2.2).

54 Recensement réalisé le 28 octobre 2015.

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1.2.1. Les modèles productifs hybrides dans la littérature

Hae-Ok Pyun (2013) est la première à faire le lien entre le New public management et la théorie de l’hybridation qu’elle applique aux modalités de production des administrateurs territoriaux. Elle met en évidence que la multiplication des recherches et des définitions du

New public management est liée à la grande variété du modèle et qu’il est donc logique de ne

pas pouvoir agréger les résultats issus d’une recherche bibliographique sur le New public

management. Nous proposons une nouvelle lecture, complémentaire de celle de Hae-Ok Pyun

(2013), afin de l’adapter au modèle productif du déploiement de la télémédecine en tant qu’application d’un modèle hybride du New public management. En effet, à chaque hybridation correspond un modèle unique. Ce qui explique la grande difficulté de définition du concept.

Robert Boyer (1997) définit un modèle productif comme : « Un processus de mise en

cohérence interne et pertinence externe des pratiques et dispositifs techniques, organisationnels et économiques des firmes visant à réduire les incertitudes du marché et du travail et susceptible de dégager des principes généraux s’appliquant sur des espaces géographiques variés et d’assurer une certaine prédictibilité de l’évolution de la firme au cours du temps au point de conduire à plusieurs configurations macro-économiques et sociétales »

Il précise ensuite la différence entre un modèle productif canonique55 (de type fordiste) et un modèle productif hybride censé représenter la mise en place de modèles productifs vertueux de la période post-fordiste56 (firmes japonaises) (Cf. figure 16 infra).

55 Dans notre cas nous pouvons considérer que le modèle canonique est associé à une représentation Wébérienne de la bureaucratie. Nous présenterons cette organisation dans la section 1.4.1.

56 La période fordiste correspond aux années de forte croissance qui ont suivi la seconde guerre mondiale. À cette période précise de l’histoire sont associés un model productif et un mode de gouvernance particulier qui se caractérisent par la production de masse standardisée et la consommation de masse. Afin de répondre à la forte demande, les firmes suivent toutes la même logique de production et d’échange adaptée à la période mais qui se révèle par la suite rigide et dont le mode de régulation n’est plus en phase avec les logiques de consommation post-fordistes (Boyer et Freyssenet, 2000). Masahiko Aoki (1986) met alors en évidence que dans ce contexte de mutations de l’environnement, les firmes japonaises (firme J) qui reposent sur un modèle productif plus souple et plus diversifié que celui des firmes américaine (firme A) de type fordiste, s’adaptent davantage à la période. C’est à partir de ce constat que Robert Boyer (1997) réalise une analyse de l’hybridation.

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Figure 16 – Les modèles productifs canonique et hybride

Source : Boyer (1997)

L’analyse réalisée par Robert Boyer (1997) est menée à l’échelle de la firme, Hae-Ok Pyun (2013) la reprend pour l’adapter à la production des administrateurs territoriaux en France. L’analyse de la figure ci-dessus met en évidence que dans un modèle de production unique (représenté à gauche) le référentiel repose sur la croyance en l’existence d’un modèle-type qui peut s’adapter à toute structure puisqu’il est optimal. Au contraire dans un modèle de production hybride (représenté à droite) c’est l’adaptation de la configuration à son contexte qui va permettre d’atteindre le plus haut niveau de performance. L’analyse faite à l’échelle de la firme peut être transposée à celle de l’action publique.

Il est alors possible de définir le New public management comme un modèle productif hybride de l’action publique dans le sens où il organise la fourniture de services publics en s’adaptant à son environnement tout en cherchant à améliorer sa performance (Pyun, 2013). Boyer met en évidence que l’hybridation d’un modèle productif est favorisée par l’internationalisation des échanges. De la même façon, l’internationalisation des politiques publiques entraine une hybridation de la production de l’action publique. La diffusion de recommandations générales par des institutions internationales telles que l’OCDE et l’OMS favorisent la diffusion du New public management comme modèle productif.

L’hybridation d’un modèle productif n’est pas instantanée, différentes phases d’adaptation au contexte local sont nécessaires. Robert Boyer (1997) met en évidence que dans un premier temps, le nouveau modèle productif est calqué sur un modèle existant à l’étranger ou dans un autre secteur d’activité. Ce modèle reste statique le temps d’adaptation au contexte local. Dans un second temps l’hybridation se met en place et doit être analysée de façon dynamique puisqu’elle est en perpétuelle évolution afin de s’adapter à son

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environnement. Au cours de cette phase, un mimétisme perdure avec le modèle productif original puis s’estompe pour laisser place à une nouvelle forme organisationnelle et de nouveaux arrangements institutionnels. Lorsque le processus d’hybridation est abouti, le nouveau modèle productif possède une configuration complètement différente du modèle initial. C’est parce que le modèle s’adapte qu’il est viable. Cette analyse est donc complètement en rupture avec l’analyse classique d’un modèle productif tel qu’il peut être présenté dans la littérature libérale.

L’hybridation peut alors être présentée comme un des éléments du nouvel esprit du capitalisme, la performance passe par l’adaptation. Cette performance dépend alors de la marge de manœuvre laissée à chaque modèle hybride. Ainsi, Robert Boyer montre que la performance de l’hybridation est dépendante du contexte institutionnel. Dans un espace institutionnel où la réglementation est souple, l’hybridation sera facile mais de faible portée dans l’espace considéré. En revanche, dans un espace institutionnel où la régulation, entendue comme réglementation est élevée, l’hybridation sera difficile mais aura une portée plus importante. Si la performance du modèle est le maître mot, il devient toutefois très compliqué de comparer les performances des modèles hybrides dans le sens où toute hybridation est unique puisqu’elle reflète l’adaptation du modèle au contexte local. Nous proposons alors d’associer les différentes formes d’hybridation des modèles productifs décrits par Robert Boyer aux différents modèles de New public management recensés dans la littérature.

1.2.2. Les modèles productifs de l’action publique

Christopher Hood et Guy Peters (2004), à défaut de donner une définition précise de ce qu’est le New public management, ont recensé dans la littérature les grands principes généraux communs aux différents modèles d’action publique. Le principe saillant est la mise en concurrence des secteurs publics et privés d’une part et des fournisseurs des services publics d’autre part. L’objectif affiché est d’améliorer la qualité des services rendus tout en encadrant l’augmentation des dépenses publiques. Cette situation est alors qualifiée de quasi-marchande au sein du secteur public. Dans cette situation, l’amélioration de la compétitivité passe par la contractualisation ou quasi-contractualisation. Le deuxième principe général recensé dans la littérature par Christopher Hood et Guy Peters (2004) est la modification du cadre de rémunération. Les principes du management par objectifs sont introduits dans les organisations publiques et se traduisent par la mise en place de rémunérations conditionnelles à l’atteinte de résultats prédéfinis. Enfin le troisième point caractéristique du New public

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management est la définition de normes explicites et quantifiables afin de pouvoir en mesurer

la performance. L’objectif est de rendre possible l’évaluation de l’efficience de chaque service rendu en vue de le comparer à un référentiel de qualité-quantité minimal. La puissance publique doit être à même de justifier l’usage fait des fonds publics et de l’efficacité de l’allocation des ressources. Par ailleurs, Patrick Dunleavy et Christopher Hood (1994) ont précédemment mis en évidence que le New public management se met en place en côtoyant les différentes formes initiales de management public. En fonction du niveau de réglementation et du niveau de distinction entre public et privé, ils définissent quatre modèles de management public. La mutualisation des travaux de Patrick Dunleavy et Christopher Hood (1994) avec ceux de Christopher Hood et Guy Peters (2004) et de Hae-Ok Pyun (2013) permet de caractériser l’hybridation de la production de l’action publique. Cette hybridation tend vers quatre modèles productifs adaptatifs d’un modèle de référence tout en tenant compte du contexte local initial (Cf. tableau 11 ci-dessous).

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Tableau 11 – Les quatre modèles productifs hybrides du New public management

Distinction public/ privé Réglementation Faible Forte Faible

État petit consommateur - Niveau très élevé de contractualisation - Forte coopération public/privé

 Imitation du modèle de référence sans hybridation et donc sans adaptation au contexte local. Viabilité du modèle de

New public management fortement

compromise.

Gouvernance sans pilote

- Distinction forte public/privé dans l’organisation de la production de l’action publique

- Réglementation faible qui facilite le dynamisme organisationnel et l’innovation - Responsabilités mal définies

- Risque de détérioration de la qualité du service

New public management facile à mettre

en place mais hybridation du modèle à faible portée à cause de la faible réglementation

Forte

Gros embouteillage institutionnel - Suprématie de la réglementation - Fourniture de services publics assurée conjointement par les secteurs public et privé

- Absence de médiation politique

 Forme d’hybridation la plus

prometteuse à condition que la forte réglementation n’entraine pas un échec du processus d’hybridation avant son terme. Le New public management est un

guidline dans la réforme du modèle

productif.

Bureaucratie publique

- Fourniture des services publics par le secteur public

- Le secteur public conserve toutes ses compétences

 Modèle resté au point de départ de l’hybridation. Co-existence de l’ancien et du nouveau modèle productif.

Source : D’après Dunleavy et Hood (1994), Hood et Peters (2004) et Pyun (2013)

Le cadre analytique donné dans ce tableau sera le fil conducteur de nos recherches pour les chapitres suivants. Les noms des différents modèles sont une traduction57 de ceux présentés par Patrick Dunleavy et Christopher Hood (1994) et le contenu est une synthèse des travaux de Christopher Hood et Guy Peters (2004) et de Hae-Ok Pyun (2013). Le modèle productif de l’État petit consommateur est le stéréotype du New public management vers lequel toutes les réformes souhaitent se diriger : un État faible et une privatisation forte de la

57 Dunleavy et Hood (1994) utilisent les termes Minimal Purchasing State (État petit consommateur), Gridlock Model (Gros embouteillage institutionnel), Public Bureaucracy State (Bureaucratie publique) et Headless Chiken Model (Gouvernance sans pilote). Cette dernière expression renvoie à la légende de Mike the Headless Chicken, poulet qui aurait vécu plusieurs mois sans tête. Le Headless Chiken Model fait ainsi référence à un modèle productif en sursis, dont l’espérance de vie est très limitée.

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production de l’action publique. Cependant, il s’agit plus d’un idéal-type que d’un modèle opérationnel. Toutes les relations sont basées sur un cadre contractuel et les partenariats public-privé dans la production de l’action publique sont la règle. L’intervention de la puissance publique est donc minimaliste, d’où le nom de petit consommateur. Toutefois, ce modèle est difficilement viable. Il ne permet pas de s’ajuster au contexte local, en tant qu’idéal-type il n’est pas adaptatif. Il s’agit d’une imitation stricte d’un modèle de référence et non d’une réelle hybridation. Son manque de cohérence avec le contexte institutionnel dans lequel il s’insère compromet son développement. L’échec est généralement perçu avant même que la phase d’hybridation se mette en place.

Le modèle de Gouvernance sans pilote fait référence à une organisation productive dans laquelle le niveau de réglementation est très faible, ce qui permet une dynamique importante avec une phase d’innovation rapide et une forte croissance dans un premier temps. Toutefois, le faible niveau de réglementation est également le point faible du modèle. Sans pilotage, le dynamise organisationnel se transforme rapidement en une grande confusion dans la répartition des responsabilités productives, même si une distinction persiste entre les secteurs public et privé. L’absence de principe organisationnel dominant permet une insertion rapide et facilite l’hybridation mais le taux de viabilité est faible, les situations de crise se multiplient et aucun organe de pilotage n’est légitime pour les résoudre. L’hybridation se fait sans présence de principe fort qui caractériserait un nouveau modèle propre au contexte dans lequel il s’insère.

L’organisation productive de type Bureaucratie publique fait quant à elle référence à une évolution très faible du modèle initial, l’organisation wébérienne. La distinction entre les secteurs publics et privés dans la fourniture de services publics reste très prononcée et la réglementation très forte rigidifie les relations. La place de l’État reste forte et les arrangements institutionnels demeurent ceux de la période précédente. L’hybridation n’est que partielle et deux modèles coexistent avec d’une part l’ambition d’introduire le référentiel de marché et d’autre part le maintien d’une intervention publique forte.

Le Gros embouteillage institutionnel représente un modèle où les distinctions entre les missions des secteurs privé et public ne sont pas claires. L’action publique est menée simultanément par les deux, la réglementation est la même et les conditions de production sont identiques. L’objectif est de déléguer les missions de service public au secteur privé tout en garantissant le respect de l’intérêt général dans l’allocation des ressources. Toutefois, cette réglementation est très lourde et son respect entraine un embouteillage institutionnel. Le modèle est marqué par une forme très procédurale de l’encadrement des missions de service

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public, l’objectif est de limiter au plus les zones d’incertitude quant aux décisions à prendre dans le processus de production, toutes les règles doivent être précisées a priori. Cela permet de réduire les phases d’arbitrage mais les conflits sont difficiles à résoudre. L’hybridation du modèle représente une forme de production contraignante de l’action publique mais peut être prometteuse si le modèle réussit à aller au terme de l’hybridation. La forte réglementation est autant la force du modèle que sa principale limite.

Il n’existe pas de modèle hybride idéal, l’hybridation est par définition une réponse à un environnement donné. Chaque forme d’hybridation possède des forces et des faiblesses qui se révèlent en fonction du contexte dans lequel elle s’insère. La réussite de l’hybridation du

New public management repose alors sur l’interaction du modèle productif avec son

environnement institutionnel. Nous proposons de caractériser la forme du New public

management dans le paysage institutionnel français.