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Il importe ainsi de synthétiser l’article de Corboz pour savoir comment et sous quel angle il est arrivé à nommer le territoire en tant que palimpseste. « Le territoire comme palimpseste » est un article paru en 1983, il a été écrit par André Corboz au cours de son séjour à Zurich. Dans l’objectif de comprendre en quoi consiste cette entité physique et mentale qu’est le territoire, André Corboz nous offre une vision profonde du territoire par la mise en scène de ses traits incorporés. Il pointe du doigt les dimensions cachées et les replis de la ville. La tâche n’a rien de facile car le territoire est un concept nomade qui traverse plusieurs domaines, et il a autant de déinitions qu’il y a de disciplines liées à lui.

Les observations très ines de Corboz l’ont conduit à comprendre que le territoire n’est

pas une donnée : il résulte de divers processus. Le territoire est le résultat d’une modiication

continue d’une part par le changement climatique comme l’avancée ou le recul des forêts et des glaciers, l’extension ou l’assèchement des marécages, etc. D’autre part, il subit les interventions humaines comme l’irrigation, la construction de routes, de ponts, de digues, etc. Les interven- tions humaines sont à la fois faites par les déterminismes qui transforment le lieu suivant leur propre logique, mais aussi par les habitants d’un territoire qui ne cessent de raturer et de récrire le vieux grimoire des sols. En effet, dès qu’une population occupe un territoire, elle établit avec lui une relation qui relève de l’aménagement.

À ce point-là, Corboz déchiffre un autre caractère du territoire qui constitue également un produit, car le changement fait par les habitants pour adapter le territoire à leurs besoins au niveau de l’aménagement et la planiication peut être observé dans les effets réciproques de cette coexistence. Le territoire fait donc l’objet d’une construction. C’est une sorte d’artefact. En effet, d’après Corboz, les buts et moyens de cet usage du territoire supposent à leur tour cohé- rence et continuité dans le groupe social qui décide et exécute les interventions d’exploitation, ce qui relève d’une relation d’appropriation qui n’est pas uniquement de nature physique, mais tout au contraire met en œuvre diverses intentions, mythiques ou politiques. En fait, ce dyna- misme des phénomènes de formation et de production pour modiier et perfectionner toujours les résultats donne au territoire cette déinition, et inscrit celui-ci dans un projet.

Dans la même optique, Corboz présente un troisième trait qui change le statut de territoire d’« objet » à « sujet » : la relation réciproque entre le territoire et les gens qui y habitent. C’est cette relation qui indique que la notion de territoire n’est pas « objective ». Le territoire ne se réduit pas au quantitatif qui s’exprime en terme statistique (étendue, altitude, moyennes de température, etc.), mais il y a aussi un rapport collectif vécu entre une surface topographique et

12Nous réalisons ici une synthèse de l’article d’André CORBOZ, (1983), Le territoire comme palimpseste in: MAROT, Sébas-

la population établie dans ses replis, ce qui permet de conclure qu’il n’y a pas de territoire sans imaginaire du territoire. Le territoire est « sémantisé ». Il porte un nom. Des projections de toute nature s’attachent à lui, et le transforment en un sujet.

Cette nouvelle approche nous conduit à comprendre que le territoire est le résultat d’une très longue et très lente stratiication qu’il importe de connaître pour intervenir. Par ce biais, on

lui redonne la dimension du long terme en lui restituant une épaisseur. Surchargé de traces, il

ressemble plutôt à un palimpseste. Toutes ces considérations permettent de déclarer que l’amé- nagement n’a plus à considérer uniquement des quantités, et qu’en intégrant la forme du terri- toire dans son projet, il lui faut acquérir une dimension supplémentaire : la dimension tempo- relle.

Sébastien Marot13 : né en 1961, il est philosophe de formation. Il ne voulait pas travailler

dans l’enseignement au niveau des écoles, c’est pour cela qu’il n’a pas pratiqué la philosophie pendant quelque temps. Il lui est venu le goût pour l’architecture par un certain atavisme car son père et son frère sont architectes, ce qui l’a inluencé. Sébastien Marot a résisté à l’archi- tecture comme domaine, pourtant elle a ini par le rattraper. L’architecture, l’urbanisme et le paysage l’ont passionné en tant que projets qui stimulent la pensée dans certaines situations, ce qui touche le fond philosophique de son éducation. Il a commencé sa carrière par l’écriture car il a beaucoup écrit sur le paysage ; puis il a créé une revue, Le Visiteur , concernant cette disci- pline. Ses recherches et ses publications ont porté sur la généalogie des théories et des pratiques contemporaines de l’urbanisme et de l’architecture de paysage, et en particulier sur la mise en scène de l’épaisseur historique des situations construites par ces différentes disciplines.

La création de cette revue lui a permis d’enseigner l’histoire de l’architecture et la critique. Il a été invité à enseigner dans de nombreuses écoles d’architecture ou de paysage en Europe et aux États-Unis : IAUG (Genève), ENSP (Versailles), AA School (Londres), GSD Harvard (Boston), Upenn (Philadelphie), Cornell (Ithaca), Université de Montréal, etc., ce qui lui donne le statut d’un professeur-visiteur, une situation qu’il a beaucoup appréciée. En marge de ses activités éditoriales et critiques, il est également membre fondateur de l’Ecole d’architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée, il y enseigne depuis sa création en 1998. Par ailleurs, il est professeur invité à la chaire de paysage de l’école polytechnique fédérale de Zürich (ETHZ).

13Ces informations sont regroupées à partir de trois ressources : la thèse de Marot (2008), l’introduction de Marot sur le site de

l’école d’architecture de Marne-la-Vallée URL: http://www.marnelavallee.archi.fr/icheEnseignant.php?id=29&idPartie=1, et ainsi qu’un entretien fait avec lui dans le cadre d’un conférence à Valencia en Espagne sur la mémoire. L’entretien est diffusé sur « You tube » sous le titre 3 questions à … Sébastien Marot . URL: http://www.youtube.com/watch?v=FhsQHNHud6U

Aussi, Rem Koolhaas joue un rôle important dans la pensée de Sébastien Marot. D’abord sa thèse intitulée Palimpsestuous Ithaca : un manifeste relatif du sub-urbanisme, est marquée par le livre de Rem Koolhaas (1978) : Delirious New York : A Retroactive Manifesto for Manhat- tan. Marot ne cesse de se référer pour son travail à Rem Koolhaas car d’après lui, Koolhaas occupe une place importante sur la scène de l’architecture mondiale aujourd’hui. Marot classe Koolhaas au même rang que Le Corbusier, car il a continué à avoir un impact sur l’architecture moderne pendant presque trois décennies.

« Notre intention est donc, en prenant New York Délire comme modèle, et en restituant sa démarche théorique, d’en proposer une contre-épreuve, c’est-à-dire un renversement susceptible de constituer un manifeste relatif au sub-urbanisme ». (Marot, 2008, p. 9)