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Récupérer la mémoire sensible

PÉRIODE CONCERNÉE PAR L’ÉTUDE ACTUELLE

2.5 Les coupes temporelles comme mémoire sédimentée des lieux.

2.5.1 Dessiner un palimpseste

Bien que le temps long représente un temps écoulé, continu et homogène, il ne nous est accessible que de façon essentiellement hétérogène et fragmentaire. Pourtant, il y a des moments où une déviation se produit dans la continuité temporelle du territoire. Ces moments sont des points de bouleversements dans l’Histoire qui fonctionnent comme l’un des repères temporels à travers lequel nous apprenons l’Histoire. Ces moments déinissent un changement dans les politiques, ou les pratiques sociales, les formes, la croyance, la morphologie, etc. Le passé est donc divisé par certains événements dans des phases historiques. En effet, la notion de palimpseste traduit l’idée d’une déviation à travers l’action d’effacer et de réécrire, et elle incarne une structure temporelle du territoire. De même que le palimpseste est composé de plusieurs couches d’écriture qui se superposent, le temps long est divisé en des phases historiques stratiiées.

Ain de dessiner le palimpseste du site, il s’agit dans un premier temps de déterminer le cadre spatial et temporel. Le cadre spatial est représenté sous la forme d’une coupe urbaine. Cette dernière est dessinée à partir d’un tracé traversant les lieux caractéristiques du quartier. Ain d’identiier ceux-ci, nous traçons les parcours commentés que nous avons faits avec les habitants dans chaque quartier et pour chacun des parcours. Après avoir obtenu les tracés, nous les avons superposés (Fig. 2-22 et 2-23). Les endroits où se croisent plusieurs parcours sont choisis pour leurs caractères récurrents. La récurrence met en évidence la capacité de ces endroits à construire un partage spatial et un «vivre ensemble». Elle indique que ces lieux sont chargés par les mémoires collectives. Parmi les lieux où se superposent les parcours, nous avons choisi certaines scènes qui englobent la plupart des traits de l’ambiance du quartier (Fig. 2-24). Les lieux caractéristiques sont choisis de manière à recouper des milieux urbains et des fragments hétérogènes et représen- tatifs de la ville : le marché, les habitats collectifs, les maisons individuelles, des espaces publics, des rues résidentielles, etc., dans les pleins du bâti, ou encore les vides.

Une fois les grands tracés et les scènes déinis, nous nous sommes rendus sur le terrain ain de les relever pour dessiner une coupe urbaine. Dans un premier temps, la coupe prend la forme

d’une coupe dite clinique (Brayer et Melemis, 2011). Cette dernière est placée sur une échelle du

temps verticale et vectorielle. La lèche vers le haut indique le futur et celle pointant vers le bas indique le passé. L’échelle du temps long permet de se repérer dans un continuum temporel, celui- ci étant tellement immense qu’il remonte jusqu’au commencement de l’urbanisation du quartier. La coupe présente alors les traits de l’ambiance actuelle, c’est-à-dire le temps présent.

Ain de déterminer le cadre temporel du territoire, nous nous appuyons sur une « strati- graphie du temps », d’après les termes employés en géologie. En effet, le simple phénomène de stratiication implique une discontinuité dans le déroulement des événements. La superposition de

Hend M., Résident,(Architecte) Age: 35 ans

Date: Saturday 26/12/2009

Reem A., Résident (Designer), Age: 32 ans

Date: 06/01/2010

Ayman S., Résident, (Architecte) Age: 36 ans

Date: 15/01/2010

Thanaa D, Résident, Age: 58 ans Date: 10/01/2010

Amr A., Non-résident, (Manager banque) Age: 45 ans

Date: 20/01/2010

Mohammed. S., Non-résident, (Ingénieur) Age: 33 ans

Date: 01/01/2010

Fig. 2-22 : Les tracés des parcours commentés avec 6 habitants de la ville et deux non - habitants. (Crédit : Noha SAID)

Fig. 2-23 : Les trac és des parcours commen tés sont superposés pour identii er les endroits les plus visités. Ces endroits sont des espaces partagés qui ont la capacité

Une coupe temporelle prend la igure d’une stratigraphie qui représente d’avantage la struc- ture temporelle stratiiée d’un territoire. Cette stratigraphie temporelle donne un cadre à l’évolution séquentielle du territoire et son mécanisme dans l’écoulement du temps. La première étape pour construire cette structure temporelle est de déterminer le moment initial de la coupe temporelle, c’est-à-dire le point de départ de notre étude. Il s’agit de déterminer la tranche du temps que l’étude vise à couvrir, et de savoir exactement sur combien d’années, voire de siècles, s’étend notre étude. La deuxième étape vise à subdiviser l’échelle du temps d’une manière stratigraphique, ce qui donne à l’épaisseur temporelle un intervalle de quelques étages. Certains événements constituent des repères qui permettent de ponctuer le déroulement du temps. Durant ces moments, l’épaisseur temporelle du territoire aura pu être soumise à des transformations et des changements brutaux. Cette étape vise à déterminer ces moments de bouleversements qui découpent la continuité tempo- relle en des couches.

B

B

A

A

C

C

Scène 3 C-C

Il passe par la zone résidentielle passant par le marché d’al- Faramawy dans une rue et une autre rue où s’installe une tente

Scène 2 B-B

Il traverse le grand boulevard de Choubrah et pénètre la zone résidentielle

Scène 1 A-A

Il traverse le passage commer- cial à côté de l’église.

Fig. 2-24 : Le Tracé de la coupe urbaine du quartier de Choubrah. Il y a trois scènes qui ont été choisies : le boule- vard et la zone résidentielle, le marché, et le passage. (Crédit : Noha SAID)

La coupe traverse le grand boulevard de Choubrah à côté de l’église, puis pénètre dans le passage commercial. Elle passe par la zone résidentielle, ensuite par le marché d’al-Farag. Enin elle entre dans la zone résidentielle par une rue, puis une autre, dans laquelle une tente est installée.

En fait, ces moments-clés ont plusieurs noms, mais celui qui est le plus révélateur se trouve dans le ilm de Jacques Baratier La ville bidon qui a été présenté à la cinémathèque de Grenoble le 16 octobre 2012. Ce ilm traite du contexte urbain et politique dans lequel les grands ensembles ont été introduits en urbanisme comme un tournant dans l’histoire moderne de la forme urbaine, avec le développement de la notion de confort. L’architecte appelle ce tournant des « accidents dans le diachronique ». Dans ces moments, une déviation prend ainsi place au cours de l’Histoire. Les moments de bouleversement produisent des lignes de démarcation qui constituent les liserés entre

les couches (Wever et al., 2012). Cette simple coupure du «il du temps » déinit l’avant et l’après. Si

l’on coupe ce il à l’instant présent, on obtient l’avenir et le passé. En effet, l’empilement vertical des couches forme un enregistrement du passage du temps. Chaque couche s’est déposée pendant une certaine durée, pas forcément la même pour chacune d’elle car certaines périodes durent plus longtemps que d’autres.

L’échelle du temps est donc subdivisée à partir des critères les plus précis possibles, mais leurs positions temporelles varient avec l’avancée de notre connaissance de l’histoire du territoire. Ain de déterminer le nombre de couches et les divers moments de bouleversements, nous nous appuyons sur une étude historique du quartier. Le temps est repéré par des événements majeurs qui désignent souvent des guerres, des révolutions, des actions politiques, les grandes crises, etc. Puisque nous travaillons sur les ambiances, ce qui diffère en quelque sorte des études purement historiques, nous avons compris que ce qui nous avait beaucoup aidés à construire la structure du palimpseste était les entretiens avec les écrivains qui ont vécu dans le quartier ou bien les personnes âgées qui l’habitaient depuis longtemps. Ils ont en effet une certaine présence quotidienne au sein de l’espace public, comme c’est le cas par exemple avec les commerçants, les propriétaires des cafés et des restaurants. Ces derniers ont une observation et une perception très ines de la transfor- mation sensible du quartier.

L’échelle du temps devient donc étagée. La notion d’étage et d’échelle est déinie primiti- vement comme le groupement de couches sédimentaires déposées durant un intervalle spéciique du temps long. Les étages montrent un enregistrement discontinu qui fait apparaître une évolution avec des sauts. Sur un étage igure l’entre-temps où se trouve pour chaque étage une continuité temporelle déinissant une évolution progressive et continue. L’étage temporel est une durée qui prend place entre deux repères temporels. La notion d’étage apparaît au cours de notre recherche

sous plusieurs termes : des époques temporelles selon Corboz, des tranches du temps selon Wever,

ou des phases historiques selon Ricœur. La tranche du temps est marquée par une homogénéisation, une évolution douce et continue. Elle se caractérise par une certaine ambiance, des phénomènes sensibles, des pratiques sociales, musicales, architecturales ou autres qui déinissent ensemble ce temps ou cette époque (Fig. 2-25).

Fig. 2-25 :

La Coupe urbaine du quartier de Choubrah en précisant les moments de bouleversements

du quartier