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Le regard lâneur : un voyage senso-temporel dans l’espace

Récupérer la mémoire sensible

PÉRIODE CONCERNÉE PAR L’ÉTUDE ACTUELLE

2.5 Les coupes temporelles comme mémoire sédimentée des lieux.

2.5.3 Le regard lâneur : un voyage senso-temporel dans l’espace

La stratigraphie du temps permet une réorganisation temporelle et la construction de liens entre le passé, le présent et le futur des phénomènes sensibles, qui permet de parcourir l’histoire. Le temps, qui est traditionnellement pensé de manière linéaire, est ici décompo- sable en strates, couches, superpositions et simultanéités. Il s’agit, après avoir placé les phéno- mènes dans l’espace et dans les couches du temps empilé, de reculer ain d’établir un regard plus distancié, autrement dit de prendre du recul pour avoir une perspective d’ensemble sur la coupe temporelle. En effet, les traces offrent une base de données très fragmentée à la fois dans l’espace et dans le temps. À partir des données fragmentées, nous tentons de recomposer l’his- toire sensible des lieux et de constituer une succession chronologique. Le regard d’ensemble des coupes temporelles fournit une vision transversale qui parcourt l’espace et traverse le temps, une traversée de la ville à travers laquelle s’amorcent une « histoire », un récit projeté. La séquence horizontale dans l’espace et l’empilement vertical dans le temps servent de support à l’analyse qui aide ensuite à reconstituer l’anamnèse du territoire. La coupe donne à voir la ville en tranches, et le découpage spatial qu’elle opère est lui-même porteur d’informations, il engendre ses propres effets de sens.

Ain d’établir un regard d’ensemble, nous faisons appel à la stratigraphie qui consiste à comparer les couches entre elles et à établir des liens pour ordonner les différents événe- ments. L’empilement vertical sert de support d’analyse qui vise à reconstituer un ilm ayant une histoire assez longue, couvrant ainsi l’histoire du site ou une grande partie de son histoire. Flâner dans l’espace et dans le temps aide à établir un regard croisé sur l’échelle stratigraphique rendant accessible une évaluation de l’ensemble à partir de plusieurs phénomènes. De plus, le regard horizontal fournit une déinition du sensible par une tranche de temps, tandis que le regard vertical permet de tracer l’évolution de chaque phénomène et de comprendre ainsi son comportement face au temps. Il aide à identiier le moment de rupture, de chevauchement dans le passage du temps. Bref, la connaissance d’une durée et d’une traversée est indispensable pour une approche phénoménologique telle que la transformation des ambiances, la formation de plis ou de chevauchement, la transformation successive des traces sensibles.

La coupe temporelle met en place un principe de récit de vie dans l’espace. Elle est un dispositif qui révèle une collection de réalités vécues qu’il contribue à identiier et à mettre en scène dans deux dimensions : l’espace et le temps. La coupe engage le corps par le regard avec le terrain (Amphoux, 2011). Selon lui, le fait de passer par le regard est un instrument de connaissance phénoménologique et d’interprétation symbolique du territoire, est revendiqué comme une forme opérante de lecture, donc de transformation d’un territoire, comme outil dans l’élaboration d’un projet. La coupe en tant que mode de représentation permet de réléchir dans

un espace tridimensionnel qui intègre au moins les dimensions spatiale, temporelle et atmos- phérique. Les coupes temporelles sont donc identiiées par leur caractère transversal, car elles traversent l’espace d’une manière horizontale et le temps d’une manière verticale.

2.6

Conclusion

La méthode que nous avons exposée lors de ce chapitre démontre un processus long et une séquence qui commence par la construction d’un corpus de base en employant plusieurs méthodes. Puis nous avons expliqué la manière utilisée pour analyser un tel corpus tout en nous confrontant à l’immensité et à la diversité des informations recueillies. Nous avons ini par l’élaboration d’un outil de représentation qui vise à organiser les phénomènes sensibles particularisant un territoire dans une structure bien déinie qui est celle de la coupe temporelle.

La coupe temporelle est un format graphique condensé et représentatif des ambiances du quartier, de même que la traversée polyglotte, qui est un format condensé des parcours commentés dans l’espace, à la différence de la coupe temporelle qui est un format dessiné, codé et rétréci dans l’espace et dans le temps. Elle est donc un extrait du territoire. En tant que schéma spatial, la coupe temporelle décrit une séquentialité spatiale autant que temporelle. En effet, la coupe temporelle représentée n’est qu’un échantillon du palimpseste du territoire qui prend la igure d’un pli sédimentaire divisé par le nombre de couches. Nous avons signalé que l’échelle diachronique du temps voulait représenter un temps continu, mais elle ne peut être établie qu’à partir d’informations essentiellement discontinues et très lacunaires.

Nous pouvons à travers la traçabilité des phénomènes dans le temps établir une relation temporelle entre le passé et le présent d’un phénomène, et comprendre son comportement dans le temps. Dans cette optique, les traces et les vestiges sensibles du passé sont considérés comme des jalons temporels dans l’histoire de la ville. En effet, c’est à travers ces traces que nous construisons une connaissance sur la mémoire sensible. Ces vestiges sont de bons indicateurs du temps et, dès lors, des outils utiles pour la stratigraphie. Bref, les traces sensibles sont des étalons pour décrypter le temps. La persistance des traces permet d’évaluer des durées qui sont déinies soit comme un intervalle de temps durant lequel a lieu un phénomène, soit plus généra- lement la période mesurable entre des instants considérés.

La constitution des coupes temporelles est pour nous un enjeu majeur pour introduire la dimension de la mémoire sensible dans l’aménagement des territoires et dans les projets qui transforment ces derniers, et changent par conséquent leur avenir. La coupe temporelle est une représentation pertinente pour traiter les questions dans les projets transformant l’espace vécu qui constitue une base de données sur la mémoire sensible. Elle évite que les informa- tions sur ce sujet restent dispersées et fragmentées. La stratigraphie permet un regroupement

des informations et fonctionne comme un répertoire des phénomènes sensibles historiques qui particularisent un territoire dans une mise en rapport d’éléments textuels et graphiques, sonore, vidéographiques. Cela permet de condenser une grande quantité d’informations pour en révéler les articulations, et donne à voir une structure.

De plus, la coupe est un instrument de « ponctuation ». Cet outil fait surgir des points de « condensation » de l’information dans l’histoire du quartier. Nous pouvons très facilement distinguer les endroits où il y a une concentration des informations sur un phonème et dans un moment donné de l’histoire du quartier. Elle permet de pointer du doigt les phénomènes singu- larisant l’expérience vécue des territoires.

Puisque les ponctuations se composent à la fois dans l’espace et dans le temps, cette condensation pointe du doigt les moments et les phénomènes majeurs qui construisent la mémoire sensible du lieu. Il faut signaler que ces points ne sont donc pas déterminés spatiale- ment ou temporellement à l’avance. Les coupes temporelles possèdent un caractère dynamique et évolutif. Cette composition permet de dévoiler les reliefs temporels de l’expérience. Elle donner à voir l’épaisseur temporelle de chaque phénomène et son évolution dans le temps. Cette mise en scène de l’épaisseur temporelle permet une réintégration du temps dans les nouvelles conceptions des projets urbains tout en tenant compte des qualités sensibles du passé.

3. Le Caire, la mémoire, le sensible

« De la mémoire on ne guérit ja-

mais. C’est pour cela qu’on écrit, qu’on

peint. Certains en meurent. »

Mémoires de la chair, Ahlam