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Dévoiler les reliefs temporels de l’expérience

1.2 Rélexions sur la perception du temps

1.2.2 Le palimpseste et la ville : héros et légendes

L’introduction du terme « palimpseste » dans les différentes sciences a eu lieu bien avant l’article de Corboz (1983). Ursula Bähler et Peter Fröhlicher (2012), dans l’introduction de l’ouvrage Figuration de la ville-palimpseste , nous présentent un aperçu de l’évolution de ce terme dans la littérature, et comment il a été adopté dans les différentes sciences lors de son apparition en 1822 après la publication de Angelo Mai « De re Publica » de Ciréron :

« Le terme « palimpseste » dans son acception métaphorique s’est propagé, on le sait, à une vitesse étonnante, après la publication, en 1822, par Angelo Mai, d’une copie du De Republica de Cicé- ron que le savant Jésuite avait découverte et déchiffrée, moyennant un procédé chimique à l’acide gallique, sous le texte Psaumes de Saint Augustin. Cette publication frappa vivement les esprits de

8À la sortie de cet ouvrage de William H. Whyte en (2001): « The Social Life of Small Urban Spaces » fut une mini révolution

dans l’aménagement et l’analyse des espaces publics urbains. Pour élaborer ce travail il a utilisé la vidéo pour ilmer et analy- ser l’espace.

l’époque, et l’image du palimpseste fut accueillie avec enthousiasme pour représenter sinon penser les phénomènes humains, et avant tout la mémoire (...) Ludwig Börne, Heinrich Heine, Thomas de Quincey, Gérard de Nerval, Charles Baudelaire, pour nous référer à l’auteur de la section Le pa- limpseste dans les Visions d’Oxford - autant d’écrivains et de poètes qui allaient utiliser la notion de palimpseste dans le sens allégorique, devenu, à leur suite, largement prévalent. À la in du XIXe et

tout au long du XXe siècle, le terme it fortune sans le domaine des sciences humaines, en histoire,

en psychologie, en histoire de l’art, bien sûr dans les études littéraires, où il s’apparentera jusqu’à s’y confondre aux notions d’intertextualité ou de transtextualité -de Gérard Genette en 19829 -, au

risque d’y perdre une partie de sa spéciité qui tient, justement, dans l’idée d’une stratiication de couches de signiications inscrites dans le temps et (ré)actualisées par un sujet ». (Bähler et Fröhli- cher, 2012, p. 7).

André Corboz n’a donc pas été le premier à utiliser le terme « palimpseste ». Mais ce qui nous intéresse le plus, c’est la relation et la manière de travailler ce terme avec le territoire dans un article publié (1983) : Le territoire comme palimpseste. André Corboz signale que nous ne pouvons plus rester dans le même lexique pour décrire la dimension temporelle des villes, laquelle devient de plus en plus présente dans la rélexion architecturale et urbaine. Il montre la nécessité d’inventer de nouveaux concepts ainsi qu’un nouveau vocabulaire pour les problèmes actuels. Dans ce contexte, il a introduit deux métaphores : la première est le fameux palimpseste

pour intégrer la dimension temporelle à travers un processus de stratiication. Dix ans plus tard,

il a introduit l’hypertexte qui montre le territoire suisse comme un lieu d’urbanisation générali- sée dans un article, La suisse comme hyperville publié au Visiteur en 2000. Bien que Corboz ne soit ni le seul ni même le premier à avoir avancé et exploré ces deux analogies, ce qui le marque est l’alliance qu’il a faite entre ces deux notions et qui reste signiicative dans notre regard.

Vingt-cinq ans plus tard après l’introduction de Corboz du terme « palimpseste », Sébas- tien Marot, a repris le même terme dans plusieurs registres, surtout dans son travail de thèse (2008) : Palimpsestuous Ithaca : Un manifeste relatif du sub-urbanisme. Marot a consolidé le travail de Corboz en appliquant le concept de palimpseste sur Ithaca en Amérique du Nord, où se trouve l’université de Cornell. Malgré la multiplicité des auteurs qui ont utilisé ce terme dans les différentes disciplines, nous allons focaliser sur deux auteurs qui ont réintroduit ce terme dans la pensée architecturale et urbaine contemporaine : André Corboz et Sébastien Marot. Qu’est-ce qui change avec cette conception de la ville comme palimpseste ? Avant de répondre à cette question, il nous a paru important d’introduire ces deux chercheurs. En effet, nous faisons référence à leurs travaux pour comprendre comment ils interprètent le terme « palimpseste » dans l’urbanisme. Leurs travaux nous ont beaucoup aidés à consolider notre approche théorique du terme « palimpseste ». Cette brève introduction des deux auteurs a pour objectif de savoir comment leurs récits de vie, leur arrière-fond scientiique ont aidé à construire leurs regards originaux sur la ville.

André Corboz10 : il est né en 1928 à Genève. Il a eu beaucoup de formations ou plutôt une

« non- formation » comme il le dit lui-même - ce qui l’a amené à devenir un spécialiste de la ville. Il commença par l’étude du droit qui le conduisit à occuper très jeune la fonction de secrétaire à l’Uni- versité de Genève. À cette époque, André Corboz était passionné par la poésie, la photographie, l’art et la littérature, armé de plusieurs langues et d’une bonne volonté de voyager à travers les continents qui lui donnèrent l’image d’un nomade. L’architecture intervint dans sa vie en 1958 par hasard, avec

un livre oublié chez lui, Saper vedere l’architecture ou En apprenant à voir de Bruno Zevi (2011)11.

Sa rencontre avec l’architecture commence par la publication de certains articles, mais c’est avec la parution de l’Invention de Carouge (Corboz, 1968) que sa vie prend un nouveau tournant, car cela lui permet un peu plus tard d’avoir un poste d’enseignement de l’histoire de l’architecture à Montréal pendant treize ans jusqu’en 1980. Pendant ces années, il s’occupe, par l’architecture, du Haut Moyen-Âge et du néoclassicisme. Il s’intéresse également à l’histoire des théories touchant à la restauration des bâtiments anciens (Marot, 2001).

Après avoir terminé sa thèse sur Canaletto, un deuxième tournant se présente à lui puisqu’il prend le poste de la Chaire d’histoire de l’urbanisme de l’École Polytechnique Fédérale de Zurich, où il enseigne l’histoire de l’urbanisme pendant treize autres années. C’est au cours de cette seconde période que s’afirme son intérêt croissant pour le territoire. Inluencé par son passé scientiique diversiié qui combine à la fois l’Histoire, l’Art, la photographie et l’urbanisme. André Corboz construit un regard original sur la ville, ce qui d’après lui a ajouté sa propre « dérive de chercheur », ses points d’appui pour voir la ville autrement.

En effet, l’originalité de son travail porte sur deux nouvelles manières de regarder la ville. La pluralité de son arrière-fond scientiique a produit un regard original. En tant qu’historien d’art, d’ar- chitecture puis d’urbanisme, cette posture scientiique particulière lui permet de porter son regard sur la temporalité. La première questionne - comme nous l’avons déjà montré- la temporalité de la ville dans laquelle elle évolue. En s’intéressant aux grandes orientations construites de l’Histoire du Moyen-Âge, du baroque, du néo-classicisme, Corboz sait très bien ancrer son regard dans l’air de notre temps (Morisset, 2009). La deuxième particularité du regard de Corboz est le fait qu’il inter- roge la représentation de la ville et la validité de certaines ressources artistiques dans l’apport d’un nouveau regard sur la ville. André Corboz s’est particulièrement penché sur l’évolution des imagi- naires de l’espace habité et construit, notamment à travers l’histoire de ses représentations dans la peinture, la maquette, la cartographie et la photographie.

10 Les informations présentées ici sont basées principalement sur un entretien entre Thierry Paquot et André Corboz à l’Institut

d’Urbanisme de Paris, en plus de l’introduction de Marot dans son ouvrage Le territoire comme palimpseste et autres essais..

11 Ce titre est la traduction d’André Corboz lui-même, le titre original traduit par Bruno Zevi (2011), est Apprendre à voir la