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L’apparition du terme « palimpseste » dans d’autres domaines de la ville

Si Corboz a introduit la métaphore du palimpseste dans l’urbanisme en portant le chapeau d’archéologue ou d’historien pour montrer cette stratiication dans le temps, Marot introduit cette notion sous l’angle de la mémoire des lieux. En effet, à propos du temps stratiié comme idée principale derrière le palimpseste, il y a d’autres auteurs dans d’autres disciplines qui ont introduit cette stratiication temporelle des villes ; cela mérite d’être introduit et il est important de savoir comment est interprétée cette stratiication temporelle. En effet, le temps stratiié prend plusieurs noms.

D’abord, il est question de sédimentation comme dans le travail de Samuel Ruffat (2004)

dans un article intitulé La rue, palimpseste et vitrine, dans lequel l’auteur étudie les rues de Bucarest. Il décrit le processus de l’évolution de la ville comme si elle se « sédimentait » et comme si la rue alors faisait peau neuve dans le temps. Cette sédimentation rend visible - dans presque tous les quartiers - les différents visages historiques des rues de Bucarest. En effet, la igure du palimpseste est incarnée dans ce travail par la « sédimentation des formes architectu- rales » venant de différentes époques et se côtoyant dans les rues de Bucarest (Fig. 1-2).

Dans un autre registre, l’idée de stratiication temporelle apparaît dans le travail de Marcel Roncayolo - un géographe qui fait des études sur les villes et les territoires dans le temps, sous

le terme de « temps consolidé » (Roncayolo, 2002). Au contraire de Samuel Ruffat, il interprète

temps et des pratiques consolidées ». Il déclare que ces formes urbaines sont indissociables des formes de mémorisation. D’après lui, le temps se manifeste par la résistance des tracés et celle des ensembles cohérents plus par des forces sociales qui soutiennent leurs dessins ou, au contraire, ne visent qu’à les détruire par la persistance de leurs formes.

Le palimpseste se manifeste dans la société car cette dernière ne se construit pas d’un seul coup comme un bloc homogène, mais elle se transforme dans le temps. Il conjugue le temps au pluriel car il y a des temps pour la fabrication, des temps pour l’usage, des temps pour les pratiques. Les durées sont également multiples et il y a un rythme de changement. Le cadre de vie n’est pas uniquement une donnée de la nature, loin de là, mais une sorte de seconde nature faite par les hommes. Il y a donc des relations décryptées entre les espaces et les forma- tions sociales. On constate une périodisation qui établit une parenté entre formes et formations sociales. Le temps consolidé montre les villes composées par des décalages, des changements d’interprétation qui sont multiples et non immédiats entre l’édiice urbain et l’usage (Roncayo- lo, 2002).

L’expression « ville-palimpseste » est également employée dans le domaine de l’urba- nisme par Ursula Bähler et Peter Frönlicher dans l’ouvrage « Figuration de la ville palimp-

seste». Ils ont un regard plus littéraire dans lequel ils démontrent que la igure de la ville se

prête particulièrement bien à une étude littéraire qui s’inspire du palimpseste. La métaphore « ville-palimpseste » convoquée dans le champ littéraire invite à concevoir l’espace comme des processus successifs d’effacement et de réapparitions, et à construire l’espace de la ville. Il s’agit de dévoiler lors de cet ouvrage les différentes couches d’une même ville comme Rome, Paris, Bruges, Saint-Pétersbourg, Berlin - qui se superposent dans la pratique de la marche, dans la mémoire, le rêve, l’écriture. (Bähler et Frönlicher, 2012, p.8)

Cette brève traçabilité du terme « palimpseste » montre son caractère nomade et permet ainsi de saisir la diversité et la richesse des pratiques dans les différentes disciplines. Mais de quelle manière l’introduction du terme « palimpseste » permet-elle de jeter un regard particulier vers la ville?

1.2.3 Un nouveau regard vers la ville: quatre gestes heuristiques

Le palimpseste est apte à rendre compte par métaphore des transformations qu’une ville subit au long de son histoire. L’idée générale de palimpseste est une stratiication temporelle. Dans cette perspective, le concept de la ville palimpseste focalise les signiications qui résul- tent d’une accumulation entre les différentes strates et les valeurs qui lui sont attribuées. La ville-palimpseste renvoie à une image où le territoire ressemble à une surface d’écriture épaisse composée des couches ou des strates d’intervention superposées dans le temps. L’introduction du terme « palimpseste » montre la complexité temporelle de l’espace contemporain.

Dans un essai d’analyse sur la manière dont Corboz voit la ville, Lucie K. Morisset (2009) nous dit que la ville pour lui est une création ayant deux dimensions temporelles différentes, l’une synchronique qui étude la ville à un moment donné dans son histoire ou son présent, et l’autre diachronique qui questionne l’évolution des villes dans le temps. Ces deux dimensions temporelles montrent devant quels regards et sous quels aspects nous pouvons voir et analyser nos villes. En effet, c’est la deuxième temporalité de la ville qui a beaucoup concerné Corboz. Car lui, au lieu de niveler les manifestations urbaines en limitant l’analyse de la ville à son immédiateté, tend à élargir cet angle de vue pour comprendre la ville comme une entité signi- iante, au-dessous et en-dessus de la mince couche du temps présent.

La tâche devient alors plus compliquée - dit le chercheur - c’est un double parcours de cette espèce qu’il faut courir, car la ville s’étend sur deux dimensions à la fois : horizontalement sur la surface terrestre, et verticalement dans le temps (Ibid.). Le problème se complique car le passé d’une ville est coniguré par des moments de rupture et de chevauchement qui remplacent une histoire par une autre. Pourtant, les passés ne sont jamais complètement effacés et chaque passé peut encore être déchiffré par les traces déposées par les générations successives. La ville dans cette optique est construite selon les étapes de sa formation et de son développement dans le temps. L’espace contemporain est alors le produit des dispositifs superposés par les logiques et les autorités variées qui se partagent aujourd’hui son aménagement.

Revenons au questionnement initial : qu’est-ce que l’introduction de ce terme en urba- nisme change dans nos regards sur la ville ? Il s’agit ici de savoir ce qui intervient dans notre compréhension, dans notre pratique, dans notre analyse en regardant la ville sous cet angle, c’est-à-dire la ville comme palimpseste. Dans cette perspective, Sébastien Marot dans son livre

L’art de la mémoire, le territoire et l’architecture (2008) indique que ces quatre rélexes heuris-