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Introduire Le Caire par le sensible

3.5 Dispositifs d’ambiance variée

3.5.4 Éruption olfactive

« Qu’est-ce que l’odeur de taqliya16 signiie pour les Égyptiens? »

Avec cette question, Gamal al-Ghitany commence à décrire les traits de l’ambiance olfac- tive du Caire. L’odeur de cuisine signiie une stabilité dans la maison, cela veut dire que la mère est là en train de cuisiner, et que les autres membres de la famille viendront bientôt pour manger ensemble. Cette odeur signiie une stabilité, mais aussi une aisance, une réunion de famille. De même, Le Caire nous donne une sensation de stabilité. Dans ses rues on respire toujours ce qui

16L’odeur de l’ail quand il s’agit de le frire.

« ؟ÊÊنييرصمللÊةبسنلاب ةيلقتلا ةحئار ينعت اذامÊ»

Fig. 3-41 : Le tramway du Caire au centre-ville et à Héliopolis. URL : https://www.Ahl.Misr.Zamaaan/photos_ stream

En ce qui concerne le déplacement, il y a certains dispositifs de mobilité comme le tramway et le métro souterrain qui sont des dispositifs bien chargés de mémoire. Le tramway se trouve dans un état délabré aujourd’hui au Caire. Malgré cela, il est considéré comme un élément important dans la construction d’une mémoire collective. Les habitants qui ont vécu avec le tramway alors qu’il n’existe plus dans leur quartier expriment leur nostalgie due à son absence. Et à Hélio- polis, il est l’un des composants majeurs de l’ambiance de la ville par sa présence sonore, par ses stations, par ses wagons, etc. Les habitants d’Héliopolis montrent un attachement important à ce mode de transport faisant partie de leur identité. Il convient de mentionner que l’histoire urbaine d’Héliopolis et son urbanisation ont dépendu de la présence du tramway comme moyen de transport principal pour accéder à la ville. Le tramway est présent dans plusieurs romans et ilms comme étant un espace créant un avantage social, ainsi que le montrent le ilm et le roman Une ille de Choubrah. C’est l’endroit où les gens se croisent, se donnent un rendez-vous, échan- gent de petites conversations, etc. Dans la même optique, nous signalons l’importance du métro souterrain comme un dispositif de mobilité contemporaine introduite au Caire dès les années 80. L’insertion de ce dispositif a aidé à moderniser certains quartiers -comme dans le cas de Choubrah - et aide le Caire à être plus civilisé et à se dégager un peu de son image villageoise.

frit le tamia, ce qui grille la viande, ce qui fait du pain, etc. La raison de ce phénomène est que les restaurants populaires mettent la cuisinière sur le seuil du restaurant, en contact avec la rue ou l’espace public. Dans les rues, nous pouvons voir des cuisinières faire frire les fallafels, griller la viande ou le poisson. Ce dispositif crée une ambiance olfactive qui transforme la rue comme si elle était la cuisine de la maison, un espace chaleureux. Ces odeurs diffusées au sein de la rue font partie d’une stratégie pour attirer les clients. En plus de la dominance de l’ambiance olfactive, ces dispositifs produisent également un son identiiable qui déinit chaque type de restaurant.

« Les odeurs évoquent la nostalgie, les souvenirs, par exemple l’odeur de takklya signiie pour moi la stabilité de la maison… ça veut dire que la mère est là et que nous sommes ensemble, en train de man- ger, il y a une sensation de sécurité. L’odeur de « takklya » ou de la viande frite avec des oignons n’est plus dans ma vie, car mes enfants sont partis à l’étranger et ma femme est malade, et elle a également dû partir pour se faire soigner. Quand je rentre à la maison, il n’y a plus cette odeur de cuisson. Par exemple, le pain, l’odeur du pain dans la rue Om al-Ghoulam ; là-bas, il y a une ancienne boulangerie qui s’appelle Alliche. J’adore l’odeur du pain de cette boulangerie plus encore que de le manger. Notre culture est une culture du pain. Le pain, je le mange tout seul. Je suis à un âge où le fait de manger est une mémoire ». (Gamal al-Ghitany, écrivain, entretien en janvier 2010)

D’après Gamal al-Ghitany, il y avait dans certains bâtiments anciens des ouvertures pour donner à manger aux pauvres. Cette pratique a été transmise dans la société moderne par le plat lottant. Nous lui accordons ce nom car il voyage dans différents appartements entre voisins.

« L’une des pratiques qui démontrent une cohésion sociale est le plat que les femmes, quand elles font la cuisine ou bien des desserts, donnent en partie aux voisines pour le gôuter ; et les voisines font les mêmes choses ». (Alaa al-Awsany, écrivain, entretien en janvier 2010)

« je me souviens, quand j’étais petit, de ma mère quand elle faisait la cuisine : elle m’envoyait avec un plat chez les voisines ». (Gamal al-Ghitany, écrivain, entretien en janvier 2010)

Outre l’odeur de la cuisine, il y a le parfum de l’encens qui domine certains espaces sacrés comme à l’entour de la mosquée d’al-Hussein, la mosquée al-Sayda Zaynab, ou la mosquée al-Sayda Naissa. On le respire aussi à certains moments dans les espaces commerciaux, car les commerçants font brûler de l’encens au commencement de la journée vers 10 h. De plus, certains types de commerces produisent des odeurs particulières qui font partie de la mémoire collective des lieux, comme par exemple les épices, les cuirs, le tissu. Une nouvelle odeur a été introduite avec la construction des villas à al-Mattarya ou à Kerdassa qui ont été bâties sur des terrains agri- coles. Les riches ont acheté des terrains dans la campagne pour faire bâtir des palais, ou bien des « gated communities » ont été construites sur des terrains désertiques. L’odeur de la terre domine, surtout après l’arrosage.

« Pour les odeurs, l’endroit qui me donne la plus grande sensation des odorats est le CF. Dès que je sors de ma voiture et je me balade en commençant par la mosquée d’al-Hussein, les odeurs sont fortes et anciennes. Par exemple, celle du méchoui se mélange avec les parfums… »

Kerdassa, je sens l’odeur des leurs et de la verdure, car ces deux complexes sont bâtis dans la campagne ». (Alaa al-Awsany, écrivain, entretien en janvier 2010). « Dans les « gated communities », il n’y a pas d’odeurs - à l’exception de l’odeur de la terre - comme dans les autres quartiers du Caire. Avant, j’ai habité à Hélio- polis, puis après mon mariage à al-Agouza. Dans ces deux quartiers, on sent toujours l’odeur de la cuisine qui donne l’envie de manger, une sensation de faim. Quand l’on sent l’odeur de fallafel, l’odeur de maïs grillé, on a envie de les manger. On oublie la viande, le poisson, etc.». (Mayssa, habitante à al-Réhab city)

Continuant à parler de l’odorat, Gamal al-Ghitany déclare que l’ombre au Caire Fatimide résulte de ce tissu urbain compact, et que l’ombre elle-même a des odeurs particulières.

« Vous savez, l’ombre a des odeurs, les ombres dans les ruelles. Cet endroit a une odeur et pour la déchiffrer, nous avons besoin d’un livre pour la décrire, pour la décoder ». (Gamal al-Ghita- ny, écrivain, entretien en janvier 2010)

L’odorat peut être également un signe du temps d’un quartier et déinir un moment précis de son histoire. Par exemple, Alaa al-Aswany nous a raconté qu’il ne pouvait pas se souvenir de certains espaces du centre-ville comme le cinéma, le théâtre, l’opéra, sans sentir les parfums des femmes dans leurs robes du soir. Une décennie plus tard, Khaled al-Khamissy montre que pendant les années quatre vingts, suite à un problème d’augmentation du niveau de l’eau souterraine, celle-ci a recouvert les rues et les rez-de-chaussée des bâtiments. Ce phénomène a introduit de mauvaises odeurs dans le quartier du centre-ville. Ce problème a été réglé déinitivement à la in

du XXe siècle.

Un autre phénomène relié à la cuisine est le goût. L’histoire profonde de la ville a aidé à produire plusieurs repas égyptiens. Certains sont partagés avec le côté sud de la Méditerranée. Malgré la richesse de la cuisine égyptienne, très peu de restaurants gardent son goût original, comme dans la plupart des restaurants situés dans Le Caire Fatimide et autour, avec par exemple al-Masmat, le méchoui, les boissons originales comme le sahlab, Sobia, Tamr Hendi, etc. Si ces quartiers traditionnels ont gardé certaines traces du goût, Khaled al-Khamissy nous montre une vraie perte du goût égyptien dans Le Caire moderne, car la restauration est un métier qui est hérité de père en ils, ce qui en fait une particularité familiale.

Les restaurants mobiles : beaucoup de restaurants ne pouvaient pas supporter devant chez eux l’envahissement des restaurants fast-food. Il convient de pointer du doigt dans ce contexte les restaurants mobiles sous la forme de véhicules comme ceux de fèves, pour le petit déjeuner, d’autres pour le foie ou des saucissons, etc.

Fig. 3-42 : L’odeur de la cuisine est un phéno- mène traditionnel du quartier populaire. (Crédit: Noha SAID)

3.6 L’ambiance du Caire entre rupture mémorielle et continuité