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Récupérer la mémoire sensible

PÉRIODE CONCERNÉE PAR L’ÉTUDE ACTUELLE

2.3 Construire un corpus de base sur la mémoire sensible du Caire

2.3.1.3 La méthode des « parcours commentés »

Le recueil de la parole habitante constitue la troisième source importante pour construire un corpus de base sur la mémoire sensible des quartiers. Nous avons fait des parcours commen- tés avec les habitants. J. P. Thibaud présente la méthode des « parcours commentés » comme un outil de description des espaces sensibles. Cette méthode nous aide à aborder le territoire de point du vue de la parole habitante. Il s’agit de comprendre ce que le territoire se donne à lire au il de l’expérience quotidienne. Comment cette expérience produit-elle une mémoire sensible ? Cette méthode est basée sur trois activités qui sont simultanées, ‘marcher’, ‘perce- voir’ et ‘décrire’. L’objectif de cette phase est d’avoir des comptes rendus sur la perception en mouvement et le rôle de la mémoire dans la construction de la perception. Les descriptions des passants constituent le corpus de base des analyses (Thibaud, 2001, p. 81).

Il s’agit donc d’observer ce qui apparaît comme phénomène d’ambiance et de le décrire en trouvant les mots pour commenter le monde tel qu’il se présente (Thibaud, 2001, p. 81). Les descriptions incluent à la fois l’espace sensible et la présence humaine. Elles intègrent donc les facteurs d’ambiances dans la description et l’analyse de l’espace. Les parcours ne sont pas ixés à l’avance, mais c’est le participant qui amène la chercheuse aux endroits qui font partie de sa propre mémoire.

La liberté de parcours fournit trois variables qui assurent une diversité de descriptions: d’abord, ‘une variété de cheminements’ en laissant le choix à l’habitant de déterminer son trajet; cela aide à couvrir une bonne partie du terrain, donne des indications sur les modes d’appropria- tion de l’espace urbain et permet la comparaison entre les descriptions différentes; deuxième- ment, une ‘variété de circonstances’, il faut diversiier au maximum les conditions temporelles de l’expérience; troisièmement, ‘une variété de points de vue’ qui nécessite le choix des divers types de personnes qui participent à l’expérience (âge, sexe, catégorie socioculturelle, degré de connaissance du site et statut du visiteur).

Pour chaque quartier, nous avons fait huit parcours commentés avec : deux personnes âgées (un homme / une femme), trois jeunes (hommes / femme), trois visiteurs. Les visites sont relativement longues, d’une durée comprise entre deux heures et quatre heures. Cette variation entre hommes et femmes, jeunes et personnes âgées, fournit différentes échelles du temps et de la mémoire. Cette diversité nous aide à couvrir les différents points de vue et la différence de perception. De plus, la variation et le statut (habitant / visiteur) nous fournissent, à travers les premières impressions du site que pointent du doigt les visiteurs, certains aspects sensibles que les habitants tellement habitués ne commentent pas. Les deux visiteurs sont les mêmes dans les trois cas d’étude, ils habitent dans des quartiers autres que ceux qui sont étudiés. Durant leurs parcours, les visiteurs ont souvent fait des comparaisons entre l’ambiance du quartier et

l’ambiance qu’ils perçoivent chez eux, en donnant une sorte de jugement. De plus, ils nous offrent un regard croisé puisqu’ils font, au fur et à mesure, des comparaisons entre les trois quartiers.

De plus, nous avons cherché une variation dans la durée d’habitation du quartier. Avec ce critère, nous présumons que l’ambiance prend des formes différentes selon la relation que les habitants entretiennent avec le lieu dans lequel ils résident. Entre une personne qui habite le quartier depuis le début de sa vie, une autre qui vient de s’y installer ou bien une personne qui a vécu pendant longtemps dans un endroit juste à côté, il existe une mémoire et une appréhen- sion du quartier complètement différentes pour chacun. Il y a des aspects du quartier qui pour certains sont importants, et pour d’autres passent totalement inaperçus. Les attachements ne sont pas du même ordre. L’épaisseur du palimpseste n’est pas la même. Cette diversité dans la durée peut montrer que la différence de représentation qui en découle est aussi un élément du palimpseste. Il est en effet évident que les histoires que nous essayons de restituer varient selon le point de vue de l’interviewé. Chacun se distingue par des appréhensions, des imaginaires et des attachements différents, ce qui constitue inalement une mémoire variable pour des mêmes lieux.

De plus, parler de sa mémoire rentre dans la sphère intime de la personne. Cette réalité nécessite l’établissement d’une sorte de coniance entre la chercheuse et l’interviewé. C’est une expérience partagée. Pendant l’expérimentation, le participant conie une bonne partie de sa vie privée à la chercheuse en lui racontant sa mémoire du lieu. Pour faciliter la tâche, nous avons essayé de choisir les participants à travers un réseau de connexion qui nous amène à des habitants qui connaissent bien leur quartier.

Après l’entretien, la chercheuse accompagne chaque interviewé, et les habitants l’emmè- nent dans la découverte de leur quartier. La durée de la visite varie selon la volonté du guide. Ils choisissent les lieux qui relètent leur expérience sensible quotidienne du quartier. Les inter- viewés choisissent également le mode de déplacement, à pied ou en voiture. Pour les personnes âgées, certains entretiens ont été faits chez elles à cause de leur dificulté de mouvement. La visite est complètement enregistrée et la chercheuse réalise un cliché à chaque modiication de parcours, temps d’arrêt, variation du mouvement ou changement émotionnel perceptible, pour les scènes qui font partie de la mémoire de l’interviewé. Le territoire est à la fois expérimenté et parcouru dans l’espace-temps de cette journée, mais aussi dans l’espace-temps du passé. La personne interrogée nous livre en situation une histoire au présent et une mise en scène de sa mémoire. Les descriptions sont enregistrées et retranscrites de façon détaillée, et incluent les luctuations de la parole.