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MUTATION DU COURANT UNITAIRE ET

B- Des tensions difficilement occultées

Les tensions augmentent graduellement entre courants à partir de lřannée 1945 et sřexpriment sur des questions aussi vitales que lřorientation des syndicats et de la Fédération, ou encore les rapports avec une confédération dominée par le courant unitaire. A cette occasion, les dirigeants, notamment du SNI, font assaut dřarguments. Deux tribuns se distinguent particulièrement, et sřaffrontent sur de nombreux terrains, tels des bretteurs : Paul Delanoue et Marcel Valière.

a- Des désaccords persistants : le débat sur l’indépendance syndicale

Les controverses internes revêtent le plus dřacuité dans le SNI et débutent à lřoccasion du congrès de Montreuil, en 1945. Nous avons vu que deux motions dřorientation sřy opposent, la motion Garmy déposée par le courant unitaire, et la motion Valière-Breuillard présentée par les tendances majoritaires et Ecole Emancipée. Jean-Auguste Senèze avertit les protagonistes du débat : « il faudra que nos camarades sachent rester dans les limites de lřaction syndicale, dans les limites des préoccupations qui incombent aux instituteurs et non à ce qui revient aux assemblées politiques ou aux organismes de diplomatie internationale. »165 Cette déclaration lui confère une position dřobservateur, quelque peu artificielle, et indique que le thème du refus de la politisation syndicale constitue le principal argument de la majorité pour contrer les unitaires. 162 EL nº 14, 10 avril 1946. 163 EL nº 4, 23 octobre 1947. 164 EL nº 11, 20 mars 1947. 165 Editorial. EL nº 1, 25 septembre 1945.

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En effet, le débat dřorientation porte sur ce thème, et débute à propos dřune décision de la CGT. Marie-Louise Cavalier rend compte du Comité Confédéral National de la Centrale en reproduisant le point de vue des minoritaires. Deux critiques sont formulées : le CCN a autorisé les secrétaires confédéraux à se présenter aux prochaines élections, rompant avec la tradition dřincompatibilité des mandats politiques et syndicaux. De plus, il a pris position à lřoccasion de la campagne du référendum sur le projet de constitution de la IV ° République, en invitant les Français à répondre par la négative à la deuxième question. Marie-Louise Cavalier critique moins le principe dřune position de la CGT dans un référendum, au nom de lřindépendance syndicale, que son contenu. En effet, la SFIO combat la consigne de vote de la CGT, identique à celle du PCF. Aussi estime-t-elle que par cette décision, la CGT « allait ainsi, délibérément, à une division de lřopinion ouvrière. »166

Paul Delanoue semble vouloir éviter toute polémique. Il se contente initialement dřarguer de lřimportante majorité à laquelle ces décisions ont été prises (les deux tiers) et dřévoquer « une année dřirresponsabilité ministérielle » et « lřexpérience de lřassemblée consultative ». Paul Delanoue concède même quřon puisse « déplorer que lřaccord ne soit pas parfait entre lřun des deux partis ouvriers et la CGT sur cette question.167 » Il se place ainsi sur le terrain politique et justifie par des considérations politiques la décision de la CGT, sans répondre aux accusations portant sur lřindépendance syndicale.

Mais le numéro suivant de L’École Libératrice marque une accentuation des divergences, par la publication dřun article agressif de Marcel Valière, qui déclare notamment que la majorité du CCN « a abandonné le terrain syndical pour sřaventurer dans le domaine de lřélectoralisme. »168 Paul Delanoue réplique en évoquant des « partis se réclamant de la classe ouvrière »169 et induit ainsi un doute sur lřauthenticité des rapports de la SFIO avec celle-ci. Egalement contraint de répondre sur le fond, il propose effectivement une intervention syndicale dans les questions politiques, même sřil se défend de considérations politiciennes :

« La CGT ne devait pas prendre position devant le référendum ? Sřil sřagissait dřune pure question de théorie politique ou de doctrine philosophique, nous serions dřaccord. Mais lorsque les libertés démocratiques sont en cause, lorsquřil sřagit même des simples intérêts matériels (en restreignant le pouvoir de lřassemblée élue, par exemple, en matière dřinitiative budgétaire), nous ne sommes pas dřaccord pour limiter le pouvoir de décision de la centrale syndicale. Ce serait restreindre singulièrement le rôle du syndicalisme et lřasservir à des considérations étroitement

166 EL nº 1, 25 septembre 1945. 167 EL nº 1, 25 septembre 1945. 168 EL nº 2, 10 octobre 1945.

politiques. »170

Cette position correspond aux analyses des historiens sur la CGT dans son ensemble, ainsi selon Michel Dreyfus : « Avant même que la guerre ne soit terminée, les unitaires poussent la CGT à intervenir directement dans le débat politique, ce qui constitue une remise en cause de toute la tradition dont elle se réclame. »171 Mais, dans le contexte si particulier de la Libération, les confédérés eux-mêmes ont accepté « de procéder à de substantielles remises en cause de lřindépendance syndicale. »172 La CGT est représentée au Conseil National de la Résistance, puis à lřAssemblée Consultative. Ceci explique que les critiques des confédérés aient débuté au sujet dřun point de désaccord entre SFIO et PCF, et non dès le début.

Lřargumentaire des réformistes et partisans de lřEcole Emancipée, alliés au nom de lřindépendance syndicale, développe un second thème, celui du risque de scission que fait courir lřattitude des unitaires. Ce thème affleure dès lřarticle de Marie-Louise Cavalier, en septembre 1945 :

« En se laissant entraîner hors des voies traditionnelles du syndicalisme français, la CGT rompt avec un passé auquel demeurent attachés beaucoup de ceux qui ont participé à la vie confédérale dřavant-guerre. Qui peut mesurer les répercussions quřentraînera, pour lřavenir du mouvement ouvrier, cette dérogation aux statuts confédéraux, cet abandon des vieux principes ouvriers. »173

Paul Delanoue se contente de lui opposer « la force réfléchie qui se dégageait des assises confédérales. »174 Cependant, Marcel Valière, fort de lřexpérience de la CGTU, insiste et affirme que « chaque fois que le mouvement syndical a été à la remorque dřune organisation politique, lui a été inféodé, il a périclité avec rapidité. » Pour lui, la prise de position du CCN sur le référendum « ne peut que provoquer des remous au sein de lřorganisation et nuire à ce climat dřunité que lřon proclamait indispensable auparavant. »175 Il renouvelle régulièrement dans L’École Libératrice ses craintes sur la « cohésion » de la CGT, menacée selon lui non par les luttes de tendance, mais exclusivement par son « rôle de masse de manœuvre dans les mains dřun parti politique »176.

Paul Delanoue peut difficilement écarter dřun revers de main ces inquiétudes, même si en 1945 les liens entre tendances de la CGT sont encore trop solides pour que lřavertissement ne soit pas considéré par les dirigeants unitaires comme une tentative dřintimidation. Mais le

170 EL nº 7, 25 décembre 1945.

171 DREYFUS Michel, « Les raisons de la défaite des confédérés dans la CGT à la Libération »op. cit. - p. 225.

Le Front Populaire constitue la première remise en cause de cette neutralité.

172 Ibid - p. 230.

173 EL nº 1, 25 septembre 1945. 174 Ibid.

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déclarer publiquement serait interprété par les syndiqués comme une attitude dédaigneuse. Il se borne donc à brocarder ses adversaires :

« Jřarrêterais là mes considérations si je nřavais cru trouver chez certains délégués une certaine nostalgie du passé, chez dřautres une certaine inquiétude quant à lřavenir. Les premiers ne reconnaissent plus lřorganisation dřavant-guerre ; des Ŗprincipesŗ qui leur semblaient acquis sont remis en cause ; des militants nouveaux sont apparus, cependant que dřautres disparaissaient plus ou moins discrètement. »177 Delanoue se pare à nouveau de la modernité des idées quřil défend. Il fait aussi allusion au rôle joué par les unitaires dans lřépuration syndicale, qui selon lui expliquerait les attaques de certains dirigeants syndicaux. Nous avons vu dans le chapitre précédent lřutilisation par les unitaires de la période de la Résistance comme arme dans les conflits de tendance. Cette arme déplace le débat et est utilisée par Delanoue, qui évoque régulièrement Munich et la non- interventionen Espagne en 1936178. Cela montre aussi que lřindépendance syndicale reste un sujet tabou pour lui, au moins un terrain difficile, quřil convient dřéviter. Ainsi, critique-t-il le principe même de cette discussion et du débat dřorientation en général, car cela fait du « syndicat ŕ et il nřy a pas là de paradoxe ŕ le plus politique de tous les syndicats. »179

Le troisième volet de lřargumentaire anti-unitaire repose sur lřanticommunisme. Il sřagit dřexpliquer que parmi tous les militants politiques qui sřinvestissent dans le SNI, ceux qui relèvent du PCF exposent lřindépendance syndicale à un plus grand danger. Marcel Valière le laisse comprendre très subtilement, sans jamais expliciter son propos :

« Le danger nřest pas que la CGT ait à sa tête une majorité de militants appartenant à un grand parti politique. Car ces militants ont les mêmes droits dans lřorganisation syndicale que tous les autres et ne sauraient être des syndiqués diminués. Le danger est que ces dirigeants oublient quřau syndicat ils sont uniquement des syndicalistes et mettent à profit leurs responsabilités syndicales pour faciliter une propagande partisane, pour introduire des mots dřordre partisans au sein de la CGT. »180

Naturellement, une telle citation nřindique pas quel parti politique est visé. Son contexte, consacré à la critique du courant unitaire, ne laisse aucun doute. Un article de René Bonissel poursuit ce thème et sřattire en novembre 1946 cette réplique de Paul Delanoue : « Lřauteur de ces lignes appartient à un parti ouvrier. Bonissel y appartient peut-être également ; il est membre à tout le moins de ce quřil est traditionnellement convenu dřappeler une secte philosophique. Dans le mouvement syndical, on ne doit nous juger lřun et lřautre que par

176 EL nº 13, 25 mars 1946 et EL nº 15, 25 avril 1946.

177 EL nº 11, 20 mars 1947.

178 Par exemple in EL nº 1, 25 septembre 1945 et EL nº 7, 25 décembre 1945. 179 EL nº 13, 25 mars 1946.

notre activité syndicale. »181 Cette contre-attaque dévoile donc lřaffiliation de Bonissel à la franc-maçonnerie, ce qui représente une escalade, puisquřautant les militants ont coutume de revendiquer leur appartenance politique, autant les francs-maçons respectent un impératif de discrétion.

Les militants socialistes ne sont pas exempts de pressions sur le SNI, dřautant quřils tiennent à réagir à la nouvelle implantation communiste. A la conférence des secrétaires fédéraux de la SFIO, en octobre 1945, le représentant des Côtes-du-Nord préconise à ce sujet des réunions départementales des socialistes qui exercent des responsabilités dans le SNI. En septembre 1945, le responsable du groupe socialiste de lřenseignement provoque la démission du secrétaire de la section SNI de Haute-Garonne et escompte contrôler la section182. Cependant, la technique de lřarroseur arrosé est risquée : elle ne dédouane pas des critiques et peut apparaître comme un demi-aveu. Son emploi par un militant aussi avisé que Delanoue prouve que la polémique est devenue si forte quřil se doit dřemployer tous les arguments disponibles.

b- L’alliance entre l’Ecole Emancipée et la majorité du SNI

Dans ce débat sur lřindépendance syndicale, Marcel Valière occupe un rôle important. Il diffuse lřidéologie syndicaliste-révolutionnaire de lřEcole Emancipée, fidèle à lřesprit de la Charte dřAmiens. Ainsi, le refus de toute participation à la direction de lřEtat dans un régime capitaliste le conduit à une critique des gouvernements tripartites : car lřunion nationale « sřavère, depuis plus de seize mois, être plus quřune duperie pour les masses laborieuses de notre pays. Jamais bilan nřa été aussi décevant que celui des gouvernements qui se sont succédé depuis septembre 1944. Et pourtant que de possibilités étaient ouvertes au lendemain de la libération ! »183 Cela peut aussi se traduire par une touche antiparlementaire, quand il décrit « les déceptions provoquées par lřimpuissance parlementaire en régime capitaliste. »184 Sa critique ne se limite pas aux partis politiques, ainsi Valière déclare : « Si le bilan, depuis la Libération, est si décevant, cřest en partie sans doute parce que le syndicalisme nřa pas su vouloir ni oser. »185

180 EL nº 2, 10 octobre 1945.

181 EL nº 5, 25 novembre 1946.

182 GEORGI Frank, GIRAULT Jacques, « Syndicalisme et socialisme : jalons pour une étude de la place des

relations avec le syndicalisme dans l’implantation du socialisme » in GIRAULT Jacques [sous la direction de],

L’implantation du socialisme en France au XX ° siècle. Partis, réseaux, mobilisation, Paris, Publications de la

Sorbonne, 2001, 369 p. - p. 215.

183 EL nº 10, 10 février 1946. 184 EL nº 2, 10 octobre 1945. 185 EL nº 13, 25 mars 1946.

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Paul Delanoue ne se trompe donc pas dřadversaire quand il fustige « le paravent trompeur des phrases révolutionnaires dřantan qui correspondaient à une autre période historique. »186 Il dispose dřune longue expérience de la polémique avec les militants de lřEcole Emancipée et sřappuie sur un discours de Benoît Frachon, qui déclare quřau lendemain de la Libération « deux chemins sřoffraient à la classe ouvrière française : lřun tout droit, bien tracé, qui aboutissait à une impasse, à un mur ; lřautre, plus difficile, qui contournait lřobstacle. Cřest le dernier dans lequel la CGT sřest engagée. »187 Lřemploi de lřimage de lřobstacle démontre que les dirigeants unitaires ne dissimulaient pas les équivoques dans lesquelles les enfermaient le soutien à la bataille de la production et la participation communiste aux gouvernements tripartites.

Si les reproches de lřextrême gauche paraissent logique, il est plus troublant de constater que L’École Libératrice offre une tribune à ses thèses : ses responsables se montrent proches de la SFIO, également au pouvoir. La fréquence des articles de Marcel Valière est sans rapport avec lřinfluence de sa tendance à cette époque. Responsable de la Commission dřEducation Sociale, rapporteur des questions dřorientation au Congrès de Montreuil de décembre 1945, il apparaît comme le porte-parole de la majorité sur ces questions. La présentation dřune motion commune à ce congrès scelle lřalliance entre lřE.E. et la majorité confédérée du SNI188. La majorité accepte donc de défendre une idéologie plus radicale, sans doute pour des raisons de circonstances, du fait de lřélan progressiste de la Libération et de la participation communiste au gouvernement. Ceci correspond à la tentative de la SFIO et du courant Force Ouvrière de la CGT de se placer à la gauche du PCF et du courant unitaire de la CGT dans cette période189.

Le syndicalisme enseignant ne fait donc pas exception, cette stratégie obtient des succès. Jean-Auguste Senèze se félicite que le débat sur lřorientation syndicale du congrès de 1945 ait montré « lřattachement profond du Syndicat National à lřindépendance du syndicalisme, à lřindépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et à lřégard des partis politiques »190.

Les partenaires de cette alliance opèrent un partage des rôles. La majorité renonce à certaines de ses idées, par exemple elle valorise la Charte dřAmiens, dřorientation clairement révolutionnaire et antiétatique. La majorité du syndicat reflète lřengagement républicain des instituteurs, et la simple lecture des mémoires dřAndré Delmas témoigne de lřimportance de

186 EL nº 13, 25 mars 1946.

187 EL nº 15, 25 avril 1946.

188 Paul Delanoue évoque cette alliance dans son livre inédit, Le mouvement syndical des enseignants, op. cit. in

ROCHE (P.), Les Instituteurs communistes, op. cit. - Tome II - p. 141.

189 LACROIX-RIZ Annie, La CGT de la Libération à la scission de 1947, Paris, Editions Sociales, Terrains,

1983, 396 p. - pp. 100-101.

son militantisme socialiste et de son combat pour entraîner le syndicat dans lřarène politique, notamment à propos de la paix191. Ceci explique sans doute que des membres éminents de la majorité songent plutôt à sřallier au courant unitaire dont le discours est plus modéré. Dřautre part, les militants de lřEcole Emancipée nřont dřautre choix que de constater que la majorité continue dřagir comme à lřaccoutumée, sans que la modification de son discours nřait eu dřimpact sur ses pratiques syndicales.

Les communistes ne minimisent pas les périls que fait peser lřaxe réformistes/E.E. sur leur influence syndicale. Ainsi Berlioz, dans une réunion du Comité Central du PCF en 1945, remarque que « les trotskystes sřaccrochent eux aux organisations syndicalistes de lřenseignement. Ils marquent des points : les jeunes de la Seine, lřHérault. »192 Les unitaires tentent donc dřexploiter les paradoxes de cette alliance. Ainsi, Paul Delanoue sřétonne dans L’Ecole Libératrice : « nous voyons souvent applaudir Ŗla grèveŗ, lřŖaction directeŗ par les éléments les plus modérés alliés à ceux qui se prétendent les plus révolutionnaires... »193 Quelques mois plus tard, il expérimente une autre tactique : ne plus dissocier les militants réformistes et gauchistes par la valorisation de lřE.E., afin de présenter le courant unitaire comme le seul raisonnable. Il distingue donc « deux grands courants » dans le SNI, le sien et un courant qui « se baptise Ŗsyndicalisme révolutionnaireŗ, vise sous couleur Ŗdřapolitismeŗ à faire de la CGT un parti qui serait opposé aux autres partis ouvriers, prône des mots dřordre dřagitation, Ŗla gymnastique révolutionnaireŗ et lřŖaction directeŗ à tout propos. »194 Lřeffet de cette argumentation nous semble amoindri par les hésitations de Delanoue : on ne peut à la fois sřétonner dřune alliance puis en effacer la réalité, au point que la diversité de ses composantes nřest même plus mentionnée, au profit des éléments les plus radicaux. Dřautant que dans cette alliance, les réformistes dominent les éléments de lřE.E…

Paul Delanoue sřattaque également à lřautre aspect du partage des rôles opéré par ses adversaires, la non-application des principes révolutionnaires par les réformistes. Pour cela, il adopte leur discours en revendiquant lřindépendance « absolue » du « mouvement syndical à lřégard de lřadministration. » Il réclame le maintien de cette attitude « quels que soient les ministres » et ajoute : « sřil nous est plus agréable de rencontrer dans les ministères des militants ouvriers comme Marcel Paul, Ambroise Croizat, Tillon, ou de lřEnseignement comme Naegelen, il ne sřensuit pas moins que, même lorsquřils y sont, le ministère est une chose, le syndicalisme en est une autre. »195 Delanoue a beau jeu de faire une telle déclaration, qui ne lřengage guère : il nřest pas par exemple un syndicaliste de lřénergie, confronté à

191 DELMAS André, Mémoires d’un instituteur syndicaliste ; Paris, éd. Albatros, 1979, 478 p. 192 Archives PCF (dépouillées par Jacques Girault), CC 3-4 novembre 1945.

193 EL nº 15, 25 avril 1946. 194 EL nº 20, 10 juillet 1946.

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Marcel Paul, ministre communiste. Le ministre de référence pour les instituteurs, Naegelen, est socialiste… Si aucun détail nřest donné sur lřattitude de la direction du SNI, le simple fait dřévoquer la question de ses rapports avec le ministère permet dřintroduire le doute dans lřesprit des syndiqués. Il sřagit dřune pique devant la collaboration poussée du SNI, qui se produit au moment où Marcel Valière critique les gouvernements tripartites.

Lřaffrontement croissant entre courants du SNI prend aussi lřaspect dřun débat sur la vie de la CGT.

c- Critique ou soutien de la Confédération ?

On pourrait sřétonner que la question de lřindépendance syndicale de la CGT, mineure par rapport aux préoccupations corporatives, provoque de telles tensions dans le SNI. Mais précisément, cet aspect, joint au décalage inévitable entre les problèmes confédéraux et les instituteurs, permet à des courants chaque jour plus hostiles de sřaffronter sur un terrain moins sensible. La discussion sur la CGT est donc étroitement liée à celle sur lřorientation du SNI. Les unitaires aiment à se présenter comme les représentants, les défenseurs de la CGT. Une déclaration lue par les unitaires à lřouverture du premier B.N. après le congrès du SNI définit leur courant comme « celui en accord avec lřorientation actuelle de la CGT »196. Ils prolongent la tradition de la Minorité Oppositionnelle Révolutionnaire de la FUE, avant 1935, qui sřappelait souvent « majorité confédérale », en riposte au terme de « majorité fédérale ». En général, les militants majoritaires bénéficient dans les luttes de pouvoir dřun avantage, qui explique ces arguties linguistiques.

Paul Delanoue utilise le même procédé, en remarquant « que des camarades qui se prétendent majoritaires se sont trouvés dans la minorité chaque fois quřil sřest agi de se prononcer sur des problèmes aussi fondamentaux (…). Tandis que dřautres, qui se croyaient minoritaires, se sont trouvés dans la véritable majorité, celle de lřaction syndicale. » Paul Delanoue confond sciemment lřéchelon confédéral, dans lequel ses amis détiennent la