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MUTATION DU COURANT UNITAIRE ET

A- Les grèves de 1947…

Les enseignants ne peuvent se prévaloir dřune tradition gréviste en 1947. Pendant des décennies, ils ont estimé que cesser le travail nřétait pas de leur ressort, du fait de leur responsabilité envers les élèves et de leur attachement à la cause de lřécole publique. La mutation syndicale des associations professionnelles entreprise dans les années 1920 amène les nouvelles organisations à envisager lřemploi de cette arme, mais en dernier recours. Dans la pratique, lřaction la plus dure du SNI consiste alors en la démission de ses élus départementaux. La première grève tentée par les syndicats enseignants se déroule le 12 février 1934 à lřappel de la CGT, pour des motifs politiques1. Elle rassemble la moitié des instituteurs. La seconde est tentée le 30 novembre 1938, suivant lřappel de la CGT et pour des objectifs plus revendicatifs. Le SNI estime que 20 000 de ses 110 000 adhérents ont bravé les menaces de sanction du gouvernement, qui ne compte lui que 3 000 grévistes2. Les grèves de 1947 auraient donc pu ne pas concerner les enseignants. Mais le mécontentement était trop grand.

a- Reclassement ou revalorisation ?

Les syndicalistes enseignants déploient leurs efforts revendicatifs dans deux directions : ils demandent le reclassement, revendication propre aux enseignants, et la revalorisation, cřest-à-

1 AIGUEPERSE Henri - CHÉRAMY Robert, Un syndicat pas comme les autres, op. cit. - p. 153. 2 AIGUEPERSE Henri - CHÉRAMY Robert, Un syndicat pas comme les autres, op. cit. - p. 196.

dire une hausse de salaire uniforme pour tous les fonctionnaires, donc une revendication commune à tous les agents de lřEtat. Le reclassement constitue la priorité fédérale depuis 1946 et se négocie dans le cadre de lřUGFF. Nous avons vu dans le chapitre précédent quelles difficultés a causé la prise en compte gouvernementale des requêtes enseignantes, dans la mesure ou dřautres fédérations de fonctionnaires critiquent le projet de la FEN.

En 1947, les militants de la FEN discutent encore de cet épisode. Marcel Bonin se réjouit du fait « que lřenseignement soit reclassé dans les échelles de la fonction publique au sein des commissions de lřUGFF. Les travaux des commissions de reclassement ont été menés avec rapidité, quoi quřen aient pu craindre certains. »3 En effet, les discussions sur le reclassement, très techniques, peuvent accaparer les directions syndicales sans résultats tangibles. Plus critique, Cheylan, militant unitaire des Bouches-du-Rhône, affirme : « si nous avions engagé lřaction lřan dernier avant les vacances, peut-être aurions-nous pu obtenir le reclassement prioritaire de lřenseignement »4. Son intervention est ambiguë : il reproche certes à la direction dřavoir laissé les fonctionnaires des Finances seuls dans la grève, leur permettant de bloquer les acquis des enseignants. Mais les unitaires ne souhaitent pas ouvrir la boîte de Pandore des affrontements catégoriels, dans une période où ils dirigent la Confédération, sont influents à lřUGFF et alors que siègent au gouvernement des ministres communistes5. Cheylan justifie donc le comportement des autres fonctionnaires, en le qualifiant de « normal ». Ainsi, ils accusent seulement la direction fédérale de ne pas avoir prévu lřexpression des rivalités entre fonctionnaires et agit en conséquence.

Henri Aigueperse préfère relativiser lřimportance du conflit existant à lřintérieur de lřUGFF. Il valorise les aspects positifs : « le sang-froid et le sens de la mesure dont ont fait preuve les militants unis, malgré tout, par des sentiments de confiance et dřestime réciproques ». Ceci aurait permis de trouver une solution équitable. Il peut donc conclure : « La tâche des dirigeants de lřUGFF a été extrêmement difficile, leurs efforts méritent dřêtre appréciés à leur juste valeur. »6 Malgré lřexistence probable de rancœurs, qui joueront quelques mois plus tard un rôle dans le refus de rejoindre Force Ouvrière, aucun dirigeant de la FEN ne souhaite attiser les rivalités entre fonctionnaires, dřautant que les seules chances de réussite du reclassement reposent sur leur union au sein de lřUGFF. En novembre 1947 encore, Henri Aigueperse évoque un ralliement de « la majorité des fédérations intéressées »7

3Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 12. 4Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 26.

5Les ministres communistes ont été évincés du gouvernement Ramadier le 4 mai, soit dix jours avant. Mais les

recherches historiques montrent que le PCF n’a pas immédiatement compris la portée définitive de cette décision, ni modifié sa stratégie en conséquence.

6Rapport moral. EL nº 17, 15 juin 1947. 7Éditorial. EL nº 9, 27 novembre 1947.

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à la position des enseignants et ajoute : « nous sommes plus que jamais convaincus que notre véritable bataille, cřest celle du reclassement. »

Lřinsistance sur cette priorité au reclassement nřest pas fortuite, car depuis le printemps, et notamment au congrès fédéral, se déroule un débat sur son opportunité, par rapport à la revalorisation. Les militants de lřEcole Emancipée contestent lřimportance du reclassement, Marcel Pennetier estime quřen « axant toute lřaction de la Fédération sur les discussions à propos du reclassement, on est passé en fait à côté du problème de la revalorisation ; dans la mesure où le reclassement nřa pas été lié à la revalorisation, lui-même est en péril. »8 Philippe Rabier, le dirigeant unitaire du SNET, abonde dans ce sens en notant que les réunions de la FEN ne discutent « que du reclassement. » Il déclare : « nous nous battions sur des coefficients qui changeaient toutes les semaines et, pendant ce temps-là, nous laissions de côté de très graves questions. »9

Cependant, les unitaires défendent presque tous la revendication du reclassement. Louis Guilbert déclare ainsi que « la tactique de la FEN qui a consisté à ne pas confondre le reclassement et la revalorisation, a été parfaitement juste. »10 Il ajoute :

« Nous ne comprenons pas, en effet, pourquoi des camarades critiquent lřaction menée par le bureau fédéral, en particulier lorsque nous avons acquis des acomptes. Ces camarades auraient voulu, à ce moment-là, nous lancer et lancer tous les fonctionnaires dans une bataille pour la revalorisation alors quřil sřagissait justement dřacomptes qui nous donnaient une garantie pour notre reclassement. »11

Finalement, quel que soit le chemin choisi, reclassement ou revalorisation, le but ne peut être atteint que si les enseignants parviennent à convaincre le gouvernement de dépenser plus dřargent pour eux. Sinon, ce débat risque de se transformer en une querelle sur les principaux bénéficiaires des augmentations salariales, ce que craint Paul Delanoue dans un article paru après la grève de décembre 1947. Le gouvernement débourse la somme de 41 milliards de francs ; selon les calculs de Delanoue, la seule revalorisation des traitements depuis six mois nécessiterait 70 milliards. Une véritable revalorisation sřavère impossible, et Paul Delanoue sřinquiète de la situation « des petits personnels qui sont loin du minimum vital. Ne serait-il pas urgent de leur donner le salaire de base calculé sur la base des 120 % du minimum vital ? » Mais dans ce cas, « il ne restera plus rien pour le reclassement. Nous aurions perdu la face. Des combinaisons savantes sřéchafaudent qui satisfont les uns au détriment des autres. Ou reclassement, ou revalorisation, ou bien un peu de reclassement et un peu de

8Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 16. 9Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 19. 10 Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 42. 11Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 42.

revalorisation. »12

Il est difficile dřévaluer aujourdřhui les raisons de lřéchec revendicatif subi par les syndicats enseignants. Est-ce dû à leur stratégie basée sur le reclassement ? Henri Aigueperse et Robert Chéramy notent que le « plan de reclassement nřest toujours pas connu à la fin de lřannée 1947, ce qui nřest pas sans conséquence sur lřattitude du SN face à la scission. »13 Une division syndicale aurait ruiné les derniers espoirs. En fait, le débat entre reclassement et revalorisation retentit sur la question des modes dřaction syndicaux, puisque le reclassement implique une collaboration étroite entre les syndicats et le gouvernement. A lřinverse, la revalorisation ne crée pas de nouveaux conflits dřintérêts et favorise la mobilisation de tous les fonctionnaires.

b- Le virage gréviste des unitaires

Le mécontentement grandit chez les enseignants dès 1946. Ils ne supportent plus les privations endurées et cherchent les moyens de se faire entendre. Dans ce contexte, des idées de grève apparaissent, phénomène inédit dans la corporation. Ainsi, la section SNI de la Somme étudie ce sujet dans son AG du 4 juillet 1946. Une question est posée : « Si la grève devient nécessaire, le Bureau National doit-il décréter une grève dřavertissement de 24 heures dřabord, où passer directement à la grève illimitée ? », formulation qui exclut le refus de principe de toute grève. 65 syndiqués se prononcent pour la grève dřavertissement dřabord et 117 pour la grève illimitée14. On peut nuancer cet exemple en remarquant que seuls les militants les plus décidés participent aux assemblées générales, mais il reste significatif dřune volonté de lutte. Dès septembre 1946, Breuillard, secrétaire de la puissance section de la Seine du SNI, signale confidentiellement la volonté de lutte des instituteurs à Aigueperse et à Lavergne : « Vous serez suivis en cas de grève même prolongée, jřen suis persuadé et rien ne serait néfaste comme un manque de directives fermes. »15

Lřécho de cette insatisfaction retentit au printemps 1947, lors du congrès de la FEN. Un dirigeant modéré du SNES, Guitton critique « un certain passage du rapport moral » dans lequel il a cru « voir, peut-être à tort dřailleurs, une certaine acceptation éventuelle de lřaugmentation de la durée de travail. »16 Lřheure nřest plus aux compromis avec un

12Le gouvernement avait accepté le principe selon lequel le salaire minimal en France équivaut à 120 % du

minimum vital, principe à l’origine du SMIG. EL nº 11, 18 décembre 1947.

13 AIGUEPERSE Henri - CHÉRAMY Robert, Un syndicat pas comme les autres, op. cit. - p. 250. 14 SNI, Bulletin de la Section de la Somme, nº 10, octobre 1946.

15 1 BB 31, Lettre de Breuillard à Aigueperse, 10 septembre 1946. Il précise à Lavergne, le 9 septembre 1946,

que la section « est prête, unanimement, à suivre les mots d’ordre les plus énergiques qui pourraient lui être donnés ».

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gouvernement dont il dénonce la « duplicité » et auquel il demande dř « accorder les actes avec les déclarations » en donnant à lřécole publique « des crédits nouveaux et, en attendant, en ne lui supprimant pas ce qui est déjà pour elle strictement indispensable à sa vie. »17

Lřinsatisfaction nřépargne donc pas les directions syndicales, jugées trop timorées face au gouvernement. LřEcole Emancipée juge le moment venu de rompre lřaxe qui la lie à la majorité en critiquant vivement son inaction revendicative. Dans le SNI, Duthel et Valière évoquent des dissensions sur lřaction à mener en faveur de lřindemnité de reclassement : « La motion adoptée par le congrès de Grenoble (…), pourtant très nette et impérative, nřa pas été appliquée. A tort, selon nous. »18 La tendance vote contre le rapport moral au congrès fédéral. Marcel Pennetier estime que « lřaction syndicale générale adoptée par le Bureau de la Fédération (…) a mis en péril le succès de [leurs] revendications. »19 Laurent Schwartz, délégué de la Meurthe-et-Moselle, motive son vote négatif par le fait que « la FEN a tout à fait été à la remorque des événements. »20 Yvonne Issartel reprend cette image en déclarant que la FEN « nřa souvent été, à lřintérieur de lřUGFF, quřun train » sans lui donner une impulsion. Elle déclare : « Nous pensons que les plus belles motions votées dans les congrès seront lettre morte tant que nous nřaurons pas, parallèlement, établi un plan dřaction pour faire aboutir ces revendications. »21 Cette argumentation pourrait aussi servir de bilan de lřalliance défunte entre la majorité et sa propre tendance. Cette offensive vise donc à imposer à la majorité des décisions concrètes dřaction.

Laurent Schwartz propose au congrès dřadopter un ultimatum22. Lřaction envisagée a pour but dřobtenir une revalorisation, puisquřil propose une grève de lřensemble des fonctionnaires, ce que critiquent les unitaires. Le congrès fédéral rejette sa motion corporative, qui insiste sur lřéchelle mobile et lřaction directe. La motion adoptée prévoit le reclassement en deux étapes et selon les dirigeants Ecole Emancipée Duthel et Valière, « reste évasive sur les moyens dřaction »23. Cette décision est un constat dřéchec pour lřEcole Emancipée, sans doute instrumentalisée par les réformistes dans le combat contre les unitaires.

Ceux-ci se posent en champions de la direction fédérale et dřune stratégie modérée. Louis Guilbert, dirigeant unitaire du SERP intervient dans ce sens : « la tactique de la FEN » a été

17 Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 40. 18 EL nº 17, 15 juin 1947.

19 Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 15.

20 Il deviendra un célèbre mathématicien. Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - pp. 6-7. 21 Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 29.

22« Si à cette date, les crédits n’ont pas été votés par l’Assemblée nationale, si le gouvernement n’a pas accepté le

principe, nous devons mandater aujourd’hui le congrès de la FEN pour faire une démarche auprès de l’UGFF et obtenir une grève générale des fonctionnaires. Si l’UGFF n’organise pas la grève générale des fonctionnaires, je pense que nous devons, dans ce cas, organiser nous-mêmes une grève des examens ». Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 9.

« parfaitement juste. »24 Cheylan, militant des Bouches-du-Rhône, prône « une politique constructive », avec une réforme de la fiscalité au détriment des riches, pour ne pas « grever le budget de lřEtat » et « reclasser tous les fonctionnaires. »25 Ce souci de la bonne gestion de lřargent de lřEtat de la part du courant unitaire se repère surtout dans cette période.

Louis Guilbert affirme quřune trop forte hausse des salaires amène lřinflation et risque de provoquer le « retour du pouvoir personnel », cřest-à-dire de De Gaulle. Cette défense vigoureuse de la modération fédérale est cohérente avec le soutien affiché à la confédération, confrontée à des grèves sectorielles animées par les minoritaires. Lřintervention de Marcel Bonin développe ce point :

« Contre la volonté de réalisation démocratique des masses travailleuses, le front de la réaction sřorganise dans tout le pays. Les tentatives de division du mouvement ouvrier sont de plus en plus pressantes sur le plan politique comme sur le plan syndical. Lřattitude de la presse bien pensante est caractérisée par le soutien quřelle apporte au mouvement particulariste et dřindiscipline dans la CGT : grève des postiers contre leur fédération ; grève des Finances en septembre ; grève chez Renault ces jours derniers »26.

Cette attaque feutrée contre la tendance Force Ouvrière profite de lřhostilité manifestée par la Fédération des Finances, réformiste, contre les revendications enseignantes. Elle démontre aussi que les unitaires refusent dřapprouver les grèves. Marcel Bonin affiche une grande clarté sur ce sujet : « Nřaffaiblissons pas notre grand mouvement syndical dans des grèves subalternes qui ne font que réjouir lřadversaire. »27 Cependant, ce souci pragmatique ne conduit pas les unitaires à un soutien inconditionnel de la direction, contre laquelle ils émettent un certain nombre de critiques précises. Lřintervention de Marcel Bonin reflète cette attitude équilibrée, il annonce dřabord que son syndicat, le SERP vote le rapport moral parce que « dans lřensemble, lřactivité de la FEN [le] satisfait », puis nuance cette position quelques instants après : « Toutefois, nous avons un certain nombre de critiques à présenter au bureau fédéral » et énumère les problèmes non résolus des agents de lycée et des maxima de service pour les professeurs, estimant que « le rapport moral nřest pas assez ferme sur ce point »28. La

24Il déclare aussi que « le bilan de l’action de la FEN est quelque chose de positif ». Congrès FEN de 1947, 15

mai 1947, a.m. - p. 42.

25Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 25.

26Ouverture du Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, matin - p. 8. 27Ouverture du Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, matin - pp. 8-9.

28Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p.12. Il ajoute un autre grief, regrettant que Lavergne ait tardé à

soutenir la manifestation organisée par le SERP le 27 juin 1946. Un tel reproche paraît avec le recul de peu d’importance, puisque Bonin convient que finalement la direction fédérale a soutenu l’action de la section parisienne. S’il tient à décrire en détail les hésitations du secrétaire général de la FEN, c’est certainement dans le but de le présenter comme plus réticent à l’action que les unitaires, qui doivent tenir compte de la pression de l’Ecole Emancipée. Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. Ŕ p. 13.

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formule la plus polémique employée par Marcel Bonin porte sur « les capitulations de lřUGFF »29.

Louis Guilbert se situe aussi dans un registre de critique constructive. Après avoir défendu la position fédérale, il ajoute : « On pourrait cependant, peut-être, regretter que récemment, alors que la possibilité était offerte de faire obtenir à des catégories non enseignantes de lřE.N. le bénéfice de lřacompte provisionnel, la vigilance de la FEN nřait pas été suffisante »30. A la suite peut-être dřun partage des rôles, ou reflet dřun caractère différent, Philippe Rabier se montre plus incisif : « la FEN nřa pas le droit dřaccepter des suppressions de poste et je dis que, pour se défendre, il faut attaquer »31. Ces premières critiques préfigurent le tournant opéré par les unitaires au milieu de lřannée 1947, lorsque, comme leurs camarades ouvriers depuis la grève de Renault, ils se prononcent au plan national pour lřextension des luttes. Un événement politique majeur change la donne : les communistes ne siègent plus au gouvernement, la logique de guerre froide sřinstalle dans la vie politique et sociale du pays.

René Bonissel critique cette volte-face en octobre 1947 : « il ne faut pas que les masses travailleuses soient lancées inconsidérément dans des luttes dont lřenjeu est moins lřamélioration de leur propre sort que le prestige dřune fraction syndicale ou politique. Un mouvement de grève se prépare, tant chez les syndiqués eux-mêmes que dans lřopinion publique, si impressionnable et si versatile. » Or, il reproche aux militants unitaires de certaines fédérations de la CGT « de désapprouver un mouvement dřaction directe, puis de lřétendre brusquement dans les quarante-huit heures et de le soutenir, uniquement parce quřon en a pris la direction. »32 La manière dont les dirigeants du SNI se posent en spécialistes du déroulement et du succès dřune grève malgré leur inexpérience, est caractéristique. En outre, ils ne critiquent les grèves que dřun point de vue tactique, et non sur le fond. En novembre encore, Henri Aigueperse explique que la « CGT a raison » dans son approche des problèmes salariaux. Il nřévoque plus lřéchelle mobile et insiste sur lř« accord » régnant dans le mouvement syndical33. Ce discours aussi change en décembre 1947.

29Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 14. 30Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 42. 31Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 21. 32Éditorial. EL nº 5, 30 octobre 1947.

c- Le début de la grève des instituteurs parisiens

A la fin de lřannée 1947, la situation sociale est au bord de lřexplosion. La CGT ne songe plus à bloquer les actions, ni même à les canaliser et les grèves se multiplient. Ce climat se ressent chez les enseignants, et particulièrement les instituteurs. Henri Aigueperse doit reconnaître en novembre lřexistence de « retards » dans la mise en œuvre du reclassement, aboutissant à une « impatience qui a conduit les militants de notre section de la Seine à proposer à lřassemblée générale du 6 novembre lřorganisation dřun référendum sur lřopportunité dřune grève immédiate en accord avec le Cartel des Services publics. »34 Lřusage du terme impatience ne laisse pas présager un clair soutien à la grève des instituteurs parisiens, grève fondamentale chez les enseignants par sa longueur et sa radicalité.

Parmi les causes du mouvement, Paul Delanoue évoque dans un bilan devant le Comité Central du PCF « une explosion de mécontentement », due au « sentiment très net que le moment était venu dřaboutir et que la direction syndicale nationale devait sortir des discussions techniques interminables »35 engagées depuis mars sur le reclassement. Cette grève se déroule selon un scénario inédit : un référendum organisé le 10 novembre avec 83 %