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MUTATION DU COURANT UNITAIRE ET

B- Les premiers choix décisifs

a- La transformation de la Fédération Générale de l’Enseignement en Fédération de l’Education Nationale, 1946

La décision la plus importante de la période concerne la Fédération, qui doit trancher entre deux optiques : être une Fédération de syndicats nationaux ou une Fédération dřindustrie, supprimant lřéchelon intermédiaire constitué par les syndicats, ou à tout le moins les transformant en sections techniques, à lřautonomie limitée. Le leader de lřEcole Emancipée Marcel Valière, défend la formule de la fédération dřindustrie :

« Au lieu de vivre derrière des cloisons étanches, les universitaires syndiqués seraient fraternellement réunis dans des syndicats uniques et dans une véritable fédération dřindustrie. Lřesprit de catégorie y perdrait. Qui pourrait sřen plaindre ? Lřesprit syndicaliste y gagnerait. Qui le déplorerait ? Lřhorizon de chaque syndiqué sřélargirait et chacun dřeux, au contact de ses camarades de catégories voisines, prendrait mieux conscience de la solidarité fédérale, du rôle social de lřéducateur. »33 Valière sřinspire du modèle du syndicalisme ouvrier et de la tradition de la Fédération unitaire, prolongée par son courant Ecole Emancipée. La Fédération unitaire regroupait entre 1919 et 1935 tous les enseignants sans distinction dans ses syndicats départementaux34. Ces idées rencontrent un écho à la base, dans le cadre du renouvellement du syndicalisme enseignant. Ainsi, lřAssemblée Générale extraordinaire de la section de la Somme du SNI « décide à lřunanimité la réorganisation [de la FGE] sur une base industrielle. » Le Bureau de section à majorité confédérée engage donc les négociations auprès des autres syndicats enseignants de la Somme, en précisant : « Cřest une expérience à tenter qui réussit fort bien

31 Congrès FEN de 1947, vendredi 16 mai, matin - p. 28.

32 Congrès FEN de 1947, vendredi 16 mai, matin Ŕ p. 33 et séance du 17 mai matin - p. 94. 33 EP nº 4 décembre 1945.

dans quelques départements de France. »35 Le Syndicat unique des Pyrénées-Orientales en procure un exemple, présenté aux syndiqués de la Somme par un article de sa responsable, Lucette Justafré36. En effet, les structures locales de la Fédération disposent dřune grande liberté et peuvent adopter des statuts très différents. Le même exemple est également invoqué dans le Rhône, lors dřune tentative de création dřun syndicat unique, le bulletin du SNI, L’Ecole Libérée étant transformé en Bulletin mensuel de la Fédération de lřEnseignement du Rhône37.

Pourtant, ces expériences novatrices suscitent des oppositions. Juliette Harzelec refuse la disparition des syndicats nationaux au moyen dřune métaphore : « On nřabat pas les arbres de haute futaie quand la pépinière nřest encore que... promesses. » Elle accuse les partisans de cette solution dřêtre « de rigides doctrinaires. »38 Cette argumentation ne porte pas sur le principe dřune disparition des syndicats nationaux, mais sur son opportunité. Les adversaires les plus résolus se trouvent dans dřautres syndicats que le SNI, pour une raison explicitée par le secrétaire général de la FGE, Adrien Lavergne : « la FGE serait, en réalité, presque le syndicat des instituteurs, étant donné sa place importante dans la FGE. Or les autres catégories doivent garder leur personnalité. »39 Les syndicats autres que le SNI craignent la perte de leur rôle de représentation dřidentités professionnelles différentes dans cette fusion.

Paul Delanoue, en sa qualité de membre du bureau du SNI et de secrétaire à la structure de la FGE, chargé de la réforme de ses statuts, élabore une solution. Il propose de développer « au maximum les expériences de syndicats uniques réalisés jusquřici, sans toutefois vouloir imposer dans la période qui vient et qui sera une période de transition, quelque forme d’organisation que ce soit. »40 Les Pyrénées-Orientales sont une section dirigée par le courant unitaire. Bien quřil évoque cette expérience, Delanoue ne la présente pas comme la seule solution. Il demande certes une FGE moins « cloisonnée », mais reste prudent et évoque les « compromis nécessaires » sur la structure de la FGE41.

En fait, il affirme son désaccord avec lřidée dřune disparition rapide des syndicats nationaux et déclare : « Lřarticle de Valière, si séduisant soit-il, nřest cependant, quoi quřil en dise, quřune construction de lřesprit. »42 Sa motion sur la FGE pour le Congrès de 1945 du SNI, à Montreuil, est adoptée par 926 voix contre 198 à celle de Marcel Valière (17 %), et 58

35 AG du 6 décembre 1945 et CS du 17 janvier 1946, SNI, Bulletin de la Section de la Somme, nº 7, février

1946.

36 SNI, Bulletin de la Section de la Somme, nº 9, juin 1946.

37 DUMAS G., Le syndicalisme des instituteurs du Rhône, de 1945 à 1963, Maîtrise, Lyon II, 1981 - p. 6. 38 EL nº 5, 25 novembre 1945.

39 Rapport d’activité au Conseil National du 23 juillet 1945, EP nº 2, octobre 1945. 40 EP nº 4 décembre. 1945.

41 EP nº 5 janvier 1946. 42 EL nº 5, 25 novembre 1945.

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abstentions43. Ce compromis, comme la motion quřil présente au premier congrès de la Fédération44, maintient lřexistence des syndicats nationaux, mais demande la diminution de leur nombre, « la fusion des syndicats du second degré sera une première étape en ce sens. »45 Surtout, il encourage la formation de syndicats uniques départementaux. Lafond, de lřHérault, partisan du projet Valière, a beau jeu de signaler que cette position « est contradictoire »46. Marcel Valière dès 1945 sřappuie sur lřexemple des Pyrénées Orientales, comme « la forme définitive qui doit prévaloir »47. Dans son rapport dřEducation Sociale pour le congrès de 1945 du SNI, il déclare : « Pour combattre cet esprit de catégorie, nous devons compter à peu près exclusivement sur les syndicats départementaux prévus qui doivent grouper, dans leur sein, tous les travailleurs de lřEducation Nationale »48.

Marcel Valière tente ainsi de jouer sur les contradictions du courant unitaire, encore visibles en 1946. Après tout, les unitaires ne venaient-ils pas dřimposer dans les PTT, « la fusion des trois syndicats professionnels, qui formaient la fédération postale dřavant-guerre, en une seule fédération dřindustrie »49 ? Au cours de la séance du congrès de la FGE, Camille Canonge, militant unitaire du Tarn dépose une motion « tendant à supprimer aux syndicats nationaux leur autonomie administrative, tout en leur laissant voix délibérative au Congrès. » Son compromis est plus hostile aux syndicats nationaux que celui défendu par Delanoue. Paul Delanoue rejette donc sa proposition, montrant les divisions du courant. A ce stade du débat Philippe Rabier, secrétaire général unitaire du SNET, « avoue ne pas comprendre ce qui est proposé et réclame la nomination dřune commission dřétudes » 50!

Louis Guilbert, autre dirigeant unitaire, indique que son syndicat, le SERP, « réalise, en quelque sorte, un moyen terme entre la formule du syndicat unique et celle de la simple coordination des différentes catégories ; quelque chose de positif a été fait et trace la voie dans le sens de la formule du syndicat unique. »51 Il ne retient donc pas la formule des Pyrénées Orientales. Les militants des Bouches-du-Rhône non plus, dont les statuts de 1946 du syndicat de lřenseignement sont symptomatiques de cette volonté dřétablir un compromis. Il ne se présente pas comme un simple regroupement de sections des syndicats nationaux, mais comme un syndicat de lřenseignement unifié. Lřarticle 3 précise que cřest un syndicat ouvert à

43 EL nº 9, 25 janvier 1946.

44 Adoptée par 398 mandats contre 92 à Valière et 28 abstentions. EP nº 8, mai 1946 : spécial congrès, séance du

mardi matin, 5 mars 1946.

45 Rapport de Delanoue, EP nº 8, mai 1946 : spécial congrès, séance du mardi matin, 5 mars 1946. 46 EP nº 8, mai 1946 : spécial congrès, séance du mardi matin, 5 mars 1946.

47 EL nº 11 25 février 1946. 48 EL nº 19, 25 juin 1946.

49 BERGOUNIOUX Alain, « La scission syndicale dans les PTT en 1946 », Paris, Le Mouvement Social, nº 92,

juillet.-septembre. 1975 - p. 4.

50 EP nº 8, mai 1946 : spécial congrès, séance du mardi matin, 5 mars 1946. 51 EP nº 8, mai 1946 : spécial congrès, séance du mardi matin, 5 mars 1946.

tous les « membres de lřEnseignement public et laïque », il énumère les professions concernées. Les congrès sont composés de représentants des sous-sections, sans distinction de catégorie. Cependant, lřarticle 5 précise que les adhérents « restent groupés dans les sections départementales correspondant aux syndicats nationaux de catégories. Lřadmission se fait par le canal de chaque section de catégorie qui affilie ses membres en bloc ». Lřarticle 12 précise dřailleurs que la CA du syndicat des Bouches-du-Rhône est composée pour moitié de « membres désignés par les syndicats départementaux de catégorie », reproduisant les structures nationales de la FEN.

Une des explications possibles de cette ambiguïté unitaire sur les syndicats uniques départementaux, réside dans lřessoufflement de lřexpérience, dont Juliette Harzelec estime en mars 1946 quřelle « reste très localisée et ne peut être considérée comme concluante. »52 Le syndicat des Pyrénées Orientales se dissout et se répartit entre les différents Syndicats Nationaux au bout de quelques mois53. La section de la Somme ne concrétise pas non plus son projet de section fédérale unique54. La synthèse proposée par Delanoue finit par convaincre, et le courant unitaire peut se vanter du rôle moteur joué en la circonstance. Au congrès fédéral de 1947, Marcel Bonin donne comme explication du vote du SERP en faveur du rapport moral, son approbation de « lřorganisation de la Fédération dans la nouvelle structure décidée par le congrès de lřan dernier »55.

Un des aspects du compromis Delanoue le plus controversé concerne la disparition des petits syndicats. Senèze la demande dès 1945 en se plaignant de leur « nombre excessif »56. Certains fusionnent, comme le Syndicat national des Bibliothèques et le SNESup. Le processus dure plus dřune année, et aboutit à une nouvelle organisation, qui compte en 1947 mille soixante-treize membres, et progresse plus vite que la moyenne fédérale57. Pourtant, la grande majorité des petits syndicats refuse de se saborder, et la tentative sřavère un échec.

Un autre syndicat national manifeste son souci de conserver ses prérogatives à lřoccasion du débat sur les statuts de la FEN. Henri Aigueperse, secrétaire général du SNI réclame pour les instituteurs une représentation à la CA égale à la moitié des sièges réservés aux syndicats nationaux. Or le projet Delanoue prévoit 25 représentants des SN à la CA, dont 10 sièges seulement pour le SNI, qui syndique 74 % des effectifs de la FEN58. Delanoue propose que la

52 EL nº 12, 10 mars 1946.

53 Biographie d’Aimé Delmas, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op. cit. 54SNI, Bulletin de la Section de la Somme, nº 11, janvier 1947.

55 Le rapport moral est présenté par la direction. Voter en sa faveur signifie donner un quitus à son action passée.

Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p.12.

56 EL nº 12, 15 avril 1945.

57 COCHERIL Olivier, Le Syndicat national des bibliothèques de la Fédération de l’Education Nationale de

1956 à 1972, Maîtrise Paris I, [Girault J. - Prost A.], 1990, 284 p. - p. 15.

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parité soit établie entre instituteurs et membres de lřenseignement secondaire59, en laissant 5 sièges à des syndicats représentant dřautres identités professionnelles, comme les agents ou lřEnseignement Supérieur. Adrien Lavergne est contraint dřintervenir en appui de Delanoue, avec un exemple étonnant pour un militant réformiste :

Il demande aux instituteurs « de se conformer à ce quřa fait sur un autre plan, la délégation soviétique. A la FSM, cette délégation a considéré quřil était de son devoir dřaccepter une représentation démocratique qui permettrait aux centrales ouvrières dřAngleterre, dřAmérique et de France de ne pas être surclassées dans tous les votes. Les instituteurs ne doivent pas donner lřimpression quřils cherchent, toujours et partout, à imposer leur point de vue, ce qui mettrait en péril lřexistence même de la fédération. »60

Aigueperse maintient néanmoins sa demande. Un vote à main levée donne une très forte majorité au projet de la commission, défendu par Lavergne. Cet affrontement Aigueperse versus Lavergne/Delanoue prouve que le SNI ne peut pas tout imposer à la Fédération, quřil doit accepter de laisser minorer son poids pour permettre aux autres SN de sřapproprier également la FGE. Cette idée de parité entre enseignants du secondaire et du primaire surestime certes la syndicalisation des professeurs, mais elle prouve que la Fédération nřest pas viable sans leur participation.

La Fédération Générale de lřEnseignement change donc ses statuts en 1946, lors de son premier congrès depuis la libération du territoire. Elle se transforme en Fédération de lřEducation Nationale pour marquer son ouverture au recrutement des catégories non enseignantes du ministère de lřEducation Nationale, comme les agents de lycée et les personnels du ministère et des rectorats.

La conduite du débat démontre lřimportance de Paul Delanoue dans le dispositif de reconstruction du syndicalisme enseignant. Il est en charge de dossiers cruciaux pour la Fédération et le SNI, et la majorité le laisse assumer ses responsabilités. Le courant unitaire apparaît en prise avec les réalités enseignantes, et suffisamment constructif pour faire adopter son point de vue. Lřévolution statutaire et le choix dřune Fédération de syndicats nationaux se décident parallèlement à un autre débat, concernant cette fois la structure fédérale coiffant lřensemble des syndicats de fonctionnaires.

b- La transformation de la Fédération Générale des Fonctionnaires en Union Générale des Fédérations de Fonctionnaires

59 Syndicat National des Collèges Modernes : 2 membres à la CA, SNES : 3 membres, Syndicat National de

l’Enseignement Technique : 2, SNET Centres d’Apprentissage : 2, Enseignement Physique : 1.

La forte intrication entre le débat sur la structure de la FEN et celui sur ses rapports avec la Fédération Générale des Fonctionnaires apparaît dès le début. Paul Delanoue déclare au premier Conseil National de la FGE que la FGF « doit sřeffacer pour faire place à une Fédération dřindustrie : mieux vaut une FGE agissante quřune FGF trop forte. »61 Il estime donc que la FGF empêche la Fédération enseignante de se développer. Jean-Auguste Senèze en donne la raison : la FGE « végète et joue le rôle de parent pauvre, surtout pour des raisons financières. Il est vrai que la Fédération des Fonctionnaires demande 40 francs et la F.G.E. se contente de 5 francs. »62 Paul Delanoue peut donc dénoncer « la Fédération des Fonctionnaires, organisme extrêmement lourd [qui] (...) a étouffé » la fédération63.

Cette cotisation élevée sřexplique par lřimportance de lřappareil de la FGF, construit entre les deux guerres sur un mode centralisé64. Ainsi, les syndiqués étaient obligatoirement abonnés au journal de la FGF, La Tribune des Fonctionnaires. Les enseignants représentent la moitié des effectifs de la FGF mais ne la dirigent guère. La direction de la FGF ne souhaite pas modifier ces pratiques. Paul Delanoue résume ainsi ses griefs contre elle :

« Pour la réalisation dřune Fédération de lřEnseignement puissante, nous nous heurtons forcément à la Fédération des Fonctionnaires, avec la lourdeur de son appareil, lřimportance de ses cotisations, lřécran quřelle constitue entre la CGT et nous. (…) Il nřaurait tenu quřà la Fédération des Fonctionnaires de nous éviter cette situation en allégeant, en démocratisant, en assouplissant sa structure ; en se résolvant à nřêtre plus quřun organisme de liaison et non une espèce de Ŗconfédérationŗ au sein de la CGT. »65

Le dernier point révèle les préoccupations du partisan de la majorité de la CGT : la FGF constitue lřun des principaux bastions de la minorité Force Ouvrière de la CGT. Or elle représente lřensemble des fonctionnaires dans la confédération, et son journal est, selon Jeanne Siwek-Pouydesseau, un « organe de diffusion efficace des positions de la direction. »66 Il est logique que Marcel Bonin demande la suppression de lřabonnement obligatoire67 et que les unitaires cherchent à affaiblir la FGF.

Du côté adverse, Adrien Lavergne, qui siège au bureau de la FGF, la défend68. Juliette

61 Compte-rendu du Conseil National de la FGE du 23 juillet 1945. EP nº 2, octobre 1945. 62 Conseil National de Pacques, EL nº 12, 15 avril 1945.

63 EP nº 4 décembre 1945.

64 Cf SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu’à la guerre froide, 1848-

1948, Lille, PUL, 1989, 343 p.

65 Conseil national de juillet 1945. EL nº 5, 25 novembre 1945.

66 SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Le Syndicalisme des fonctionnaires, op. cit. Ŕ p. 280. 67 Compte-rendu du Conseil National de la FGE du 23 juillet 1945. EP nº 2, octobre 1945. 68 EP nº 2, octobre 1945.

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Harzelec soulève une objection pratique au retrait de la FGE : il « mettrait donc en question le problème de notre mode dřadhésion à la CGT. Tout récemment, la CGT a refusé lřadhésion directe dřune fédération de syndicats de la Police et a exigé dřabord son affiliation à la FGF. » Elle affirme « que la Fédération Générale des Fonctionnaires a bien mérité du syndicalisme. Nřest-il pas follement imprudent de jeter à bas un édifice aussi solide, une organisation aussi éprouvée ? »69 Dans ce débat aussi, Juliette Harzelec plaide pour la conservation des structures, en invoquant la prudence et le réalisme. Mais ce registre argumentaire risque dřapparaître timoré aux yeux des nouveaux militants. Aussi ajoute-t-elle un an plus tard une mise en garde :

« La FGF représentait incontestablement une force ; lřesprit syndicaliste nřy manquait pas. Nous nřen voulons pour preuve que lřatmosphère ardente des débats de son dernier congrès. Des pessimistes ne manquaient pas de dire à lřissue des débats que lřexpérience nouvelle était extrêmement hasardeuse et que cette disparition de la FGF rejetterait les éléments les plus modérés vers la CFTC ou les groupements amicalistes. »70

Elle utilise le passé, car des militants de son propre courant ne la suivent pas. Ils critiquent eux aussi la FGF, et ce, depuis longtemps, et constituent une majorité hostile à la FGF avec les militants unitaires et Ecole Emancipée. Dès le Conseil national de juillet 1945, une motion de Marcel Valière réclame la dissolution de la FGF au profit du Cartel des Services publics, et précise que si cette réforme nřest pas adoptée au prochain congrès de la FGF, le SNI se retirera de la Fédération Générale des Fonctionnaires. Cette motion obtient 445 mandats sur 1 144 et 418 abstentions. Au congrès du SNI, Marcel Valière et Paul Delanoue, pour une fois unis, font adopter avec 521 mandats une motion demandant des modifications profondes dans la structure de la FGF. Or, la motion Harzelec de défense du statu quo ne recueille que 276 mandats, distancés par la position la plus extrémiste : 347 mandats vont à lřidée de retrait immédiat71.

Après un débat confus et houleux, le congrès de la FGF de mars 1946 accède à la demande du SNI et des militants unitaires et vote sa transformation en Union Générale des Fédérations de Fonctionnaires, une structure plus souple72. Les fédérations de fonctionnaires à majorité Force Ouvrière choisissent comme secrétaire général de la nouvelle organisation Alain Le Léap, dirigeant réformiste issu de la Fédération des Finances, et non Adrien Lavergne, qui est

69 Conseil national de juillet 1945. EL nº 5, 25 novembre 1945. 70 EL nº 12, 10 mars 1946.

71 EL nº 9, 25 janvier 1946.

candidat73. Le syndicalisme enseignant sřémancipe donc dřune tutelle jugée quelque peu asphyxiante.

c- Vers un syndicalisme de services : la création de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale

Une autre décision importante du syndicalisme enseignant témoigne également de sa maturation en cette période. En effet, un système de Sécurité Sociale est mis en chantier, ce qui pose le problème délicat des rapports entre syndicats et mutuelles. Michel Radelet explique lřorigine du conflit : avec la gestion par la Mutualité des assurances sociales, les syndicats avaient « pris conscience de la puissance financière laissée à la diligence dřune organisation de statut privé et qui nřavait pas, selon eux, manqué dřen tirer profit. (...) Il y avait, en 1945, une rupture sociale dans la mesure où la Mutualité nřétait pas considérée comme représentative des forces progressistes. Les syndicats considéraient donc quřil fallait impérativement mettre fin à ce privilège consenti à la Mutualité. »74

Le système mis en place exclut les mutuelles de la gestion ordinaire de la Sécurité Sociale, elles sont cantonnées aux assurances complémentaires. Les mutuelles, modérées, trouvent des défenseurs dans la tendance confédérée de la CGT, et assimilent la gestion paritaire du régime