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Nos sources écrites ont contribué à lřévolution de notre problématique vers lřinteraction : nous nřavions à notre disposition sur toute la période ni corpus complet et cohérent sur la vie interne du courant, ni bulletin unitaire, ni courriers internes. Certes, la FEN-CGT offre ces ressources documentaires, et ses archives se sont révélées intéressantes, comme ses organes mensuels : le journal L’Action Syndicaliste Universitaire, et le bulletin intérieur (Bulletin Fédéral d’Information). Mais après la fin de la double affiliation en 1954, lřorientation du courant unitaire le conduit à fuir toute structuration, et donc toute production écrite. En conséquence, la presse syndicale officielle constitue le seul vecteur de communication ouverte du courant et son dépouillement a constitué une source essentielle. Le point de vue unitaire publié se présente sous la forme de motions de congrès, de compte-rendus de réunions et rarement sous celle de points de vue. Son étude exige un travail minutieux pour repérer la moindre bribe dřinformation. Or, la majorité contrôlant cette presse, notre étude avait constamment accès à ses idées et dépendait du filtre de ses décisions éditoriales, dénoncées par les unitaires comme des actes de censure. Les polémiques incessantes nous poussaient également à sonder la validité de toutes les positions, y compris celles des concurrents du courant.

98 CORCUFF Philippe, Les nouvelles sociologies. Constructions de la réalité sociale, Paris, Nathan, 1995 -

p. 17.

99 WEBER Max, Economie et société, tome 1, Paris, Pocket, 1995 (édition originale 1956). 100 ERBES-SEGUIN Sabine, Démocratie dans les syndicats, op. cit.- p. 25.

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Dans cette optique, nous avons étudié la presse des principaux syndicats (SNI, SNES, quelquefois SNET) et de leur Fédération101. Lřabondance de ces publications, la propension à écrire manifestée par les syndicalistes enseignants - qui nřhésitent jamais à développer de longues argumentations - implique de sérier la lecture. Un dépouillement complet a été opéré sur une période réduite (1944-1949) afin de sřimmerger dans la documentation. Par la suite, lřexploration était plus sélective, dřautant quřelle se combinait avec la prolifération de la littérature grise (courriers, circulaires…). Pour la première fois, une recherche bénéficie de lřaccès à lřensemble des archives fédérales, désormais déposées au Centre dřarchives du monde du travail, à Roubaix. La richesse exceptionnelle de ce fonds a enrichi notre connaissance du syndicalisme enseignant, notamment par la lecture de la correspondance du siège national de la FEN et celle des passionnants compte-rendus du bureau fédéral, qui se réunissait chaque semaine.

Notre travail sřeffectue à plusieurs échelles, principalement départementales et nationales. Si la chronologie et lřanalyse générale dépendent de lřéchelle nationale, notre volonté dřétudier le plus finement possible les pratiques et représentations implique de saisir les comportements militants dans leur quotidienneté, et ce non seulement au niveau national, mais aussi local. A cette échelle, le rapport du syndicat à la profession devient plus visible, souffre de moins de médiations. En règle générale, les bulletins locaux constituent une source précieuse par la liberté de ton qui y règne ; un contrôle moins sélectif des débats internes ouvre aux minorités la possibilité de sřexprimer. La nécessité de se plonger dans les réalités départementales du SNI émane également de lřéparpillement géographique des instituteurs, la forte autonomie des sections et la variété de leurs statuts.

Une dernière raison réside dans le besoin dřanalyser le courant unitaire en situation de responsabilité, dans ses bastions, qui sont dans notre période principalement locaux, puisquřil perd le SNET en 1948. La section des Bouches-du-Rhône constitue une section phare du courant unitaire dans la FEN, dont elle présente les motions dřorientation aux congrès de la FEN et du SNI entre 1954 et 1966. Or, les archives départementales ont conservé et classé ses archives. Cette source importante permet simultanément lřanalyse des conditions concrètes de rédaction des motions Bouches-du-Rhône (avec des correspondances nationales) et celle du fonctionnement dřune section unitaire. Les archives personnelles de Jean Buisson, membre du bureau national du SNI, sřavèrent précieuses à ce double point de vue.

Deux sections du SNI, appréhendées par leurs bulletins départementaux, complètent notre travail : celles de la Somme et du Puy-de-Dôme. Dirigées par le courant autonome, ces sections correspondent au profil de la majorité dřentre elles. La section du Puy-de-Dôme

présente un double avantage : section dřorigine de Jean Senèze, premier secrétaire général du SNI à la Libération, elle vit en 1948 le départ des cégétistes, seul exemple de tout le pays. La scission se résorbe seulement en 1951. Cette section constitue un observatoire idéal des relations entre majorité et minorité. Dans un contraste saisissant, la section de la Somme, peu dynamique, ne connaît guère de débats internes et offre une vision unanimiste du SNI. Elle évolue lentement en faveur du courant unitaire, sans polémiques internes.

La lecture de cette sélection de bulletins départementaux du SNI et des archives des Bouches-du-Rhône a approfondi notre connaissance du SNI. Nous avons pénétré plus avant dans son univers intime. Ces études départementales ne constituent pas des monographies, ayant été effectuées en rapport avec un sujet national. Leur objet ne consiste pas à comprendre la vie départementale en soi, mais de compléter, dřenrichir les analyses accomplies à lřéchelle nationale, qui reste prégnante. Les croisements permanents entre les différentes échelles (section départementale, syndicat national, fédération) nous donnent lřopportunité de vérifier la solidité de nos idéaux types et de nuancer certaines analyses, par lřobservation des décalages.

Parmi les méthodes employées figure lřhistoire orale, complémentaire des sources écrites. Alain Blanchet et Anne Gotman notent que lřenquête par entretien sřavère « particulièrement pertinente lorsque lřon veut analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques, aux événements dont ils ont pu être les témoins actifs ; lorsque lřon veut mettre en évidence les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels ils sřorientent et se déterminent. »102 Nous avons réalisé quinze entretiens, dont une dizaine dès le DEA, selon une méthode très peu directive, due au climat de découverte du sujet. Par la suite, nous avons conçu un guide pour des entretiens semi-directifs et affiné nos questions pour les cinq témoins interviewés à plusieurs reprises.

Outre les entretiens, notons notre lente imprégnation par la fréquentation des acteurs au cours de deux séminaires de recherche. Le principal séminaire, auquel nous participons régulièrement depuis dix ans, intitulé « groupe de recherches sur lřhistoire du syndicalisme enseignant et universitaire », est organisé par le centre de recherche en histoire des mouvements sociaux et du syndicalisme de lřuniversité Paris I, (devenu le Centre dřhistoire sociale du XX° siècle), conjointement avec la FEN, aujourdřhui lřUNSA Education. Le second est organisé par la FSU. Ces séances ne fournissent pas seulement au chercheur des matériaux et des pistes précieuses, elles permettent un contact régulier avec dřanciens dirigeants appartenant à toutes les tendances de la FEN. Leurs relations, comme leurs interventions et leurs réactions spontanées, constituent des indicateurs de premier ordre de la

Introduction 45 validité de nos hypothèses.

Un garde-fou méthodologique sřimpose : la mémoire ne peut se concevoir comme une simple stratification de couches de souvenirs. Au-delà des risques dřoccultation consciente des évènements, la mémoire retravaille en permanence les sensations et les réminiscences en fonction du présent. A travers des processus complexes, lřidéologie et les interprétations postérieures des évènements conduisent bien souvent à des déformations des souvenirs, dřautant que tout groupe humain tend à constituer une mémoire collective, relativement prégnante dans le discours des personnes interviewées. Peter Berger et Thomas Luckmann affirment que, comme « lřindividu réfléchit les moments successifs de son expérience, il essaye dřajuster ces significations à une structure biographique consistante. Cette tendance sřaccroît quand lřindividu partage ses significations avec autrui et leur intégration biographique. »103 Nous subordonnons donc nos sources orales, moins nombreuses, aux sources écrites.