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Lřélément le plus couramment retenu pour caractériser le courant unitaire est dřorigine extra-syndicale : on le qualifie de courant communiste. Ainsi, les auteurs de La Forteresse Enseignante expliquent quřen 1966, « les enseignants communistes se regroupent dans Unité et Action »77. Pierre Roche consacre à la FEN-CGT un tiers de sa thèse sur les instituteurs communistes, sans éprouver le besoin de justifier ce choix78. A lřappui de cette idée, on signale lřadhésion au PCF dřun grand nombre dřanimateurs et militants du courant. Un ancien dirigeant unitaire du SNES, membre du PCF, reconnaît dřailleurs lřexistence de passerelles : « cřest difficile de parler de tout ça sans aborder le Parti, cřest vrai. »79 Lřouverture des archives du PCF apporte des éléments nouveaux, analysés par Jacques Girault : la direction nationale du parti tente bien à plusieurs reprises de sřingérer dans les affaires du courant, notamment par des consignes de vote dans les élections internes de la FEN80. Cependant, cette confirmation reste ambiguë : loin dřune uniformité attendue, ces consignes varient selon le temps et le syndicat concerné, le SNI captant toute lřattention.

Une approche exclusivement politique dispense souvent dřévoquer les prises de positions syndicales du courant unitaire, son originalité face à la majorité de la FEN. Elle écarte lřapport des militants non membres du PCF, investis pourtant de responsabilités importantes81. Jacques Girault préfère définir le courant par les « valeurs communes dřun syndicalisme de combat aux côtés de la classe ouvrière »82. Pour notre part, nous ne souhaitons pas alterner les termes « communistes » et « syndicalistes unitaires », sans jamais justifier de la fusion/confusion entre des réalités politiques et syndicales. René Mouriaux note à ce propos : « Sřil est rassurant de poser lřéquation : ŖCGT = PCF = Moscouŗ une fois pour toutes, cette attitude conduit à supprimer toutes contradictions et abandonner une connaissance distincte et problématique pour les certitudes absolues »83.

Lřétude fréquemment entreprise des relations entretenues par le PCF et les syndicats a souffert du principe de distinction sympathie/antipathie à lřœuvre dans la communauté des

77 AUBERT Véronique et alii, La forteresse enseignante, op. cit.- p.101.

78 ROCHE Pierre, Les Instituteurs communistes à l’école du Parti (1949-1954), Thèse de 3°cycle, Rouen,

[Jacques Testanière], 1988, 303 p. L’auteur semble ne trouver aucune différence entre les militants syndicaux et politiques, cf pp. 155-156.

79 Entretien avec Maurice Loi, 11 mai 1993.

80 GIRAULT Jacques, « Le communisme et les enseignants en France (années 1920-début des années 1960) » in

GIRAULT Jacques [sous la direction de], Des communistes en France (années 1920 – années 1960), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, 525 p.

81 Jacqueline Marchand est secrétaire générale de la FEN-CGT entre 1948 et 1954. Guy Tessier est tête de liste

du courant dans le SNES à partir de 1956.

82 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale, op. cit. Ŕ p. 179.

Introduction 39

spécialistes du communisme. Le choc entre les analyses qui insistent sans nuances sur la subordination totale des syndicalistes et celles qui nient lřévidence de consignes émanant de ce parti renvoie ainsi un écho involontaire des polémiques syndicales. Nous considérons aujourdřhui possible de reconsidérer cette question délicate, en envisageant la marge dřaction des syndicalistes communistes, leurs divergences, lřadéquation entre le discours communiste et celui du courant unitaire, le profil des militants non adhérents du PCF...

Illustrons cet effort par un épisode ordinairement cité pour démontrer lřinféodation du courant au PCF : fin 1953, la FEN-CGT décline, et le PCF souhaite mettre fin à lřexpérience de la double-affiliation (à la CGT et au syndicat autonome)84. Il espère faire avaliser cette décision par le congrès de la FEN-CGT, mais celui-ci rejette son autodissolution, sous la pression de nombreux non-communistes, Jacqueline Marchand en tête, et aussi dřéminents syndicalistes communistes, dont Paul Delanoue, leur chef de file. La direction du PCF joue lřépreuve de force, en publiant le 4 janvier 1954 une décision du bureau politique qui interdit aux instituteurs communistes de militer dans la FEN-CGT. Ces derniers sřinclinent, mais beaucoup sont traumatisés85. Ainsi, en dernière instance, le PCF obtient gain de cause, au prix dřune crise. Cette méthode brutale constitue paradoxalement une preuve de faiblesse relative, le signe que le PCF ne réussit pas à imposer sa loi dans le respect de la démocratie syndicale. Il ne contrôle donc pas tous les faits et gestes des syndicalistes communistes.

En nous préoccupant de lřactivité syndicale des enseignants communistes, de leur relation au courant unitaire, nous participons partiellement à la perspective historiographique dřune étude de lřimplantation du communisme dans la société française. Jacques Girault définit lřimplantation « comme une rencontre entre une politique et un milieu » et affiche « le souci dřassocier le plus étroitement possible lřinfluence - et pas seulement aux élections, la diffusion de la presse, lřaudience syndicale, les organisations de masse, etc. - et lřorganisation elle-même. » Il propose dřanalyser les rapports « avec le milieu ambiant (…) pour établir dans quelle mesure le Parti communiste utilise certaines traditions, sřil les renouvelle ou sřil rompt avec elles. »86 Lřétude du syndicalisme nous paraît centrale dans la compréhension du PCF, lřimplantation sřavérant non seulement territoriale, mais également professionnelle. Les communistes sřimplantent dans le milieu enseignant essentiellement par le biais syndical87.

84 Intervention de Maurice Thorez. Archives PCF, comité central du 22 octobre 1953.

85Voguet admet que la décision « rencontre dans son application des difficultés et des incompréhensions. »

Archives PCF, comité central, 5-6 mars 1954.

86 GIRAULT Jacques [sous la direction de], Sur l’implantation du Parti Communiste Français dans l’entre deux

guerres, Paris, Editions Sociales, 1977, 347 p. - pp. 58-59.

IV-

COMMENT ÉTUDIER CETTE INTERACTION ?

Quelles méthodes permettent dřanalyser lřinteraction entre la FEN et sa principale minorité ?