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A La présentation de l’action des directions syndicales au cours des premières années

Le premier numéro légal de L’Ecole libératrice, paru en octobre 1944, contient deux historiques de la Résistance enseignante, présentés dřune manière très neutre. Rien nřindique le statut, officiel ou non, de ces articles, qui livrent pourtant deux versions dissonantes. Le premier, signé « J.-A. S. », cřest-à-dire Jean-Auguste Senèze, ex-confédéré et nouveau secrétaire général du SNI, sřintitule « Notre bureau provisoire »14 et présente la version des héritiers de la majorité dřavant-guerre. Le second, rédigé par Paul Delanoue, au nom dřun mystérieux « comité directeur » sřintitule « De 1940 à 1944 ». Fait surprenant pour un journal dirigé par René Bonissel, animateur de la mouvance ex-confédérée, cet article expose la version du courant ex-unitaire, si faible auparavant.

Pour les syndiqués, Jean Senèze est un nouveau venu qui remplace André Delmas, pourtant vivant. Le journal ne fournit aucune explication à ce sujet, son nom disparaît simplement. Jean Senèze prévient le lecteur : « De lřancien bureau vous ne retrouverez pas tous les noms » et explique quřont été écartés « ceux qui avaient facilement accepté la dissolution du Syndicat national... et qui nřavaient pas senti que, quels que fussent les périls, il fallait établir clandestinement les liaisons que lřon ne pouvait plus réaliser au grand jour, quřil était de leur devoir de contribuer à la Résistance, sřorganisant contre le nazisme et lřoppression. »

En effet, la réaction du syndicalisme enseignant au régime de Vichy a manqué de vigueur, particulièrement pour les responsables quřil sřest choisis. Quand le SNI a été dissout, le 15 octobre 1940, avec lřensemble des organisations de fonctionnaires, sa direction nřa pas protesté publiquement, elle nřa pris aucune mesure pour sauver lřoutil syndical, préserver les liaisons. Aussi, lřattitude dominante fut-elle plutôt le désarroi. Les sections syndicales ont cessé toute activité, laissant les adhérents dans lřexpectative.

Lřun des éléments dřexplication de cette attitude des dirigeants du SNI réside dans leur appartenance en 1939 à la tendance Syndicats, animée par René Belin. Or, celui-ci est devenu ministre du Travail en 1940 et tente dřentraîner ses amis dans le soutien au Maréchal15. Ainsi, André Delmas se rend deux fois à Vichy pendant lřété 1940, pour rencontrer Laval puis le

14 EL n° 1, 28 octobre 1944.

Maréchal Pétain.

Un appel clandestin de 1943 des membres résistants du bureau du SNI, publié dans le même numéro de L’Ecole libératrice critique fermement lřinaction dřune partie du Bureau National :

« vous avez souvent regretté que les militants que vous avez honorés de votre confiance nřaient rien eu à dire dans lřâpre conflit qui divise les nations, quřils soient restés silencieux devant les mesures insensées ou iniques qui déchirent pièce à pièce lřenseignement public, quřils nřaient pas élevé la moindre protestation contre les arrestations et les persécutions dont leurs mandants ont été les victimes, quřils nřaient pas organisé en leur faveur lřeffort de solidarité attendu. »16

Une éventuelle collaboration de ces responsables nřest pas signalée. Pourtant, des dirigeants importants du syndicalisme enseignant dřavant la guerre, comme lřuniversitaire Ludovic Zoretti, secrétaire général de la FGE, antisémite forcené, ou Jules Bureau, ancien secrétaire général de la section de la Seine du SNI, se sont retrouvés dans la mouvance de Marcel Déat. André Lavenir, secrétaire de la section SNI du Rhône, a été membre du cabinet dřAbel Bonnard17.

Soucieux de se justifier face au discrédit qui frappe lřancien Bureau National, lřappel de 1943 explique : « Ce serait cependant une erreur de croire que tous aient failli. Certains sont demeurés fidèles à la tradition du syndicat national. » Jean Senèze, dans son historique de L’Ecole libératrice, écrit que : « Dès 1940, des instituteurs se regroupaient clandestinement dans la Résistance, dřautres se rassemblaient sur le plan syndical. La Fédération Générale de lřEnseignement (FGE) repartait. Cela, plus particulièrement dans la zone Nord. »18 Il précise que lřarrestation de Georges Lapierre (fondateur de L’Ecole libératrice et numéro deux du SNI) interrompit « ce courageux travail. »19 Celle-ci eut lieu en mars 1943.

Pour la période antérieure, la version de Senèze est elliptique. En effet, si les contacts existent auparavant, les actes publics de résistance de la part dřune partie de lřancienne direction du SNI remontent essentiellement à 1943. Localement, des dirigeants ont agi plus tôt, ainsi Joseph Rollo, secrétaire de la section du Morbihan, a refusé sa dissolution et conservé les fonds de lřorganisation départementale20.

Jean Senèze note lui-même le tournant effectué cette année-là : « En 1943, un instituteur de

1974.

16 « Appel aux instituteurs de France», 1943, re-publié in EL n° 1, 28 octobre 1944

17Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997. 18 EL n° 1, 28 octobre 1944.

19 Il est appelé X dans l’article, qui paraît avant la fin de la guerre, et ne veut pas le citer, parce qu’il est

prisonnier des Allemands. EL nº 1, 28 octobre 1944.

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la Seine, René Bonissel, mandaté par la CGT, assura la liaison entre quelques membres du bureau et avec certains camarades, les uns et les autres appartenant à la Résistance mais dispersés en des provinces fort éloignées. Avant la fin de lřannée, une réunion avait eu lieu à Paris entre les camarades du Bureau, un appel était rédigé. » Joseph Rollo, entré en contact avec ce groupe, prend la relève de Georges Lapierre, avant dřêtre arrêté à son tour, le 31 mars 194421.

Quelles sont la nature et lřampleur de cette résistance ? Jean Senèze signale quelques initiatives : « En zone Sud, parvenaient des tracts, des documents de la CGT qui se reconstituait dans la clandestinité. Des Secrétaires de sections syndicales reprenaient le contact ŕ qui nřavait pas toujours été interrompu ŕ avec les militants résistants. »22 Cependant, le peu de précisions apportées (dans cet article comme dans les suivants) accrédite lřhypothèse dřactes de militants isolés, voués à la distribution de tracts. Un acte résistant important consiste en la rédaction en décembre 1943 de lřappel cité plus haut du bureau clandestin du SNI, qui fut publié en février 1944 dans La Résistance ouvrière, soit quatre mois avant le débarquement américain. Lřappel ne donne pas de consignes dřaction aux instituteurs. Il ne sřagit donc pas dřun acte fondateur de la résistance enseignante.

Paul Delanoue nřévoque pas cette question en 1944. Dans un livre publié bien plus tard, il présente, sur un mode assez négatif, lřactivité résistante de ses concurrents de la majorité : « Pendant des années, même si quelques liaisons personnelles furent maintenues, on sera sans nouvelle aucune des ex-directions du Syndicat national des instituteurs et de la Fédération Générale de lřEnseignement. »23 La contradiction entre ces deux versions peut nřêtre que partielle, puisque Delanoue nřétait pas dirigeant syndical avant la guerre et que les contacts signalés par Senèze se confinent à un cercle étroit de responsables dans les premières années de lřOccupation. En témoigne ce passage de lřappel des membres résistants du bureau du SNI : « Depuis plus de trois ans la voix de notre organisation syndicale sřest tue. » 24

Une des raisons de cette atonie du SNI durant les premières années de lřoccupation réside dans le choix fait par ses militants de participer à dřautres structures de Résistance, non syndicales. Georges Lapierre rejoint lřOrganisation Civile et Militaire, dřautres sřinvestissent dans Libération Nord, comme Joseph Rollo depuis mars 1943. Celui-ci participe en janvier 1944 à la constitution du comité de Libération du Morbihan et se consacre à la fusion des

21 EL n° 1, 28 octobre 1944. Pour la même raison que pour Georges Lapierre, l’article de Jean Senèze l’appelle

Y.

22EL n° 1, 28 octobre 1944.

23 DELANOUE (P.), Les enseignants. La lutte syndicale du Front populaire à la Libération; Paris, Editions

sociales, 1973, 414 p. - p. 85.

forces armées de la Résistance dans lřArmée secrète25. Cet argument nřest pas porté à la connaissance des syndiqués à la Libération, et les polémiques ultérieures se concentrent sur la Résistance syndicale26.

Daniel Virieux explique pourtant que les intellectuels communistes avaient établi des contacts avec différents milieux pour former des structures professionnelles du Front National de lutte pour lřindépendance de la France :

« Dans les milieux enseignants, la connexion est établie avec Edmond Lablénie, rédacteur de Notre Droit, avec le Ŗgroupe des jeunesŗ de Marcel Merville, comme avec des cadres des syndicats de la Fédération Générale de lřEnseignement dissoute. Ceux-ci réagissent diversement : accord dřanciens dirigeants du SPES (Lucien Mérat, Maurice Janets et Maurice Lacroix), refus répété de ceux du SNI (Adrien Lavergne et René Bonissel), qui préfèrent à une entente professionnelle de type Front National lřaction proposée par Georges Lapierre, entré à Libération-Nord et en contact depuis avril 1942 avec le colonel Rémy pour le compte du réseau de la CND. »27

Du côté de lřenseignement secondaire, le premier numéro libre de L’Université Syndicaliste (le journal du Syndicat National de lřEnseignement Secondaire, créé par la fusion du Syndicat des Professeurs de lřEnseignement Secondaire et du S3, le syndicat autonome) ne présente quřune seule version. Ceci sřexplique par la meilleure entente entre résistants de diverses obédiences dans la clandestinité. R. Binon, président du S3 en 1939, cite la création dřun comité de résistance des secondaires, avec des militants du SPES et du S3 « pour étudier les problèmes universitaires dřaprès guerre »28. Lřarticle ne précise pas la date de création ni les actions concrètes menées par ce comité dřétude. Il sřagit certainement de la structure évoquée par Paul Gerbod : « En décembre 1941, quelques syndicalistes de lřex-FGE, Janets, Maublanc, Mérat, Lacroix et Pastor lancent un Comité de Résistance de lřEnseignement secondaire. »29

Louis Pastor est communiste, les contacts entretenus entre résistants enseignants peuvent donc se révéler fructueux. Parmi eux, lřaction des communistes et de leurs alliés a un relief particulier.

25 DELANOUE (P.), Les enseignants. La lutte syndicale, op. cit. - p. 214, et Dictionnaire biographique du

mouvement ouvrier français, op. cit.

26Cette configuration ne diffère pas de l’attitude du Parti Socialiste reconstitué, le Comité d’Action Socialiste,

qui délègue l’action immédiate aux mouvements de Résistance. Cf SADOUN Marc, « Le Parti socialiste dans la Résistance », pp. 21-31 in GUIDONI Pierre et VERDIER Robert [sous la direction de], Les socialistes en

Résistance (1940 - 1944) Combats et débats, Paris, Seli Arslan, 1999, 188 p.

27 « Résistance ŕ Professions. Un rapport sans histoire(s) ? » , Paris, Le Mouvement Social, n° 180, -septembre

1997 - p. 123.

28 US n° 1, 30 décembre 1944.

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B La présentation de l’action des unitaires au cours des premières