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MUTATION DU COURANT UNITAIRE ET

A- La renaissance des structures

a- La rapide reconstruction des structures syndicales

Reconstruire des organisations aussi puissantes que les syndicats enseignants nřest pas aisé. Leurs structures emboîtées vont de lřéchelon cantonal à lřéchelon national ; elles mobilisent de nombreux responsables, quřil faut contacter régulièrement. Les bouleversements provoqués par la guerre imposent la nomination ou lřélection de dirigeants provisoires. Difficulté supplémentaire : le taux de syndicalisation important, joint à la dispersion des instituteurs dans lřensemble des communes, même les plus isolées. Pourtant, le rétablissement est prompt. Ainsi, le secrétaire général du SNI, Jean-Auguste Senèze, indique en novembre 1944 le rétablissement de toutes les liaisons, excepté avec quatre départements ; le « 9 novembre, tous les membres du bureau furent enfin rassemblés à lřexception de Pierrette Rouquet et dřAigueperse, empêchés au dernier moment. »2 La reconstitution des sections du SNI peut prendre la forme dřun simple retour aux usages dřavant-guerre, symbolisé par la continuité dans la présentation du bulletin, tel celui du Puy-de-Dôme, dont le dessin de couverture date de lřavant-guerre3. Reconstituant la section de lřIndre-et-Loire, Paul Delanoue organise une réunion au foyer laïque de Tours en septembre 1944, avec environ 150 instituteurs, qui constituent un conseil syndical provisoire de 6 membres et de 24 délégués de canton4.

La nouvelle direction nationale du SNI occupe un siège entièrement vidé par les occupants, quřil faut réaménager. Nous avons vu dans le premier chapitre que lřun de ses premiers actes est de faire paraître à nouveau le journal pour annoncer la renaissance du SNI. Au début, on envoie L’École Libératrice par paquets aux sections, le temps de confectionner des plaques- adresses5. Un élan à la base, symptomatique dřun climat général favorable aux syndicats et partis de gauche, stimule les initiatives du sommet. Senèze note que « les secrétaires des sections départementales nous signalent des adhésions massives, malgré les difficultés de tous

1 US nº 10-11, 10-25 mai 1945.

2 EL nº 2, 10 novembre 1944.

3SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 8, novembre 1944.

4 Interview de Robert Ducol, par Alain Dalançon le 26/10/1999. Points de repères, n ° 23, février 2000 Ŕ p. 44. 5 Jacquemard in EL nº 16, 25 juin 1945.

ordres qui ne favorisent guère le regroupement. Presque sans propagande, instituteurs et institutrices sont allés dřenthousiasme vers le syndicat. Lřon mřindique 85, 90, jusquřà 95, 98 % du personnel ayant donné son adhésion. »6

Quelques mois plus tard, Maurice Janets, responsable du SNES, dresse un constat similaire tout en insistant sur les obstacles surmontés : « Au cours de ces six mois, la réorganisation syndicale sřest opérée non sans difficultés : lřabsence de moyens de communication ne nous a pas permis de toucher dès octobre toutes nos sections ; le délai qui sřest écoulé avant que nous obtenions lřautorisation de publier notre journal a retardé lřétablissement dřune liaison régulière entre le bureau et les sections. » En avril 1945, il annonce néanmoins que seule la section académique de Strasbourg est encore en « réorganisation »7. Ce terme est par ailleurs étonnant, puisque le SNES constitue une organisation nouvelle, issue de la fusion du SPES- FGE et du S3, comme nous lřavons vu plus haut. La Libération voit lřémergence dřun phénomène nouveau : le syndicalisme enseignant, défini par des méthodes proprement syndicales et la propension à entretenir de bons rapports avec le syndicalisme ouvrier, devient majoritaire dans lřenseignement secondaire. Ceci confère une ampleur nouvelle à la Fédération.

Lřattitude des syndiqués facilite la reconstitution des syndicats enseignants, bien que celle- ci souffre de problèmes matériels normaux dans une période de rationnement. Celui du papier limite le format de L’Ecole Libératrice à huit pages. Il faut attendre un an pour lever partiellement cet obstacle et quřune partie scolaire distincte réapparaisse8. Un autre signe indiquant que la situation se normalise provient du fait quřune fois les structures départementales reconstituées, la direction du SNI se soucie de leur animation. Elle publie à cet effet une rubrique dřune page sur la vie des sections9.

Les difficultés matérielles limitent également lřactivité fédérale. L’Enseignement Public, le journal mensuel de la Fédération, ne reparaît quřà la rentrée suivante, en septembre 1945. Sa diffusion se limite aux militants des conseils syndicaux et des sections dřétablissement10. Cette mesure dřéconomie reste provisoire, le journal ayant vocation à être lu par lřensemble des adhérents de la Fédération.

6 EL nº 3, 25 novembre 1944.

7 US nº 4-5, 10-25 février 1945 et US nº 7-8, 10-25 avril 1945.

8 La partie scolaire de l’EL comprend des modèles de leçon pour les instituteurs. Intervention de Bonissel, gérant

de L’Ecole Libératrice, au Conseil National du SNI, Noël 1944 in EL nº 9, 25 février 1945 et EL nº 3, 25 octobre 1945.

9 Pierrette Rouquet en est la responsable. Première apparition : EL nº 14, 10 avril 1946. 10 Rapport d’activité intégral de Lavergne au CN in EP nº 6, février 1946.

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b- La mise en place de structures du SNI pour les normaliens

Une innovation de taille confirme le dynamisme manifesté par le SNI dès la Libération du territoire français : la syndicalisation des normaliens. Avant-guerre, le SNI répugnait à pénétrer dans lřenceinte des Ecoles Normales, contrairement aux militants de la Fédération unitaire, qui animaient des groupes de jeunes. La crainte de lřinstrumentalisation de ces groupes par les minorités avait amené la direction du SNI à les rejeter. Or, le pas est franchi dans de nombreux départements à la Libération, sous lřinfluence de la nouvelle génération militante qui sřimpose alors. La direction nationale suit, à en croire ce commentaire de Delafoulhouze, secrétaire général ex-confédéré de la section du Puy-de-Dôme, sur le premier CN du SNI : « On remarquera au bureau un représentant des jeunes : Merville, plein de dynamisme, qui sřest mis en relation avec Senèze pour la création de la Commission Nationale des Jeunes. »11 Une fois la commission en place, une « section normalienne de la Commission Nationale des Jeunes du SNI » est créée en septembre 194512. La direction de la CNJ comprend plusieurs représentants des jeunes enseignants titulaires, un normalien et un auxiliaire.

Ces structures jeunes, outils de la pérennisation du syndicalisme instituteur, permettent aussi de lui impulser une ardeur nouvelle. Au plan national, Jean-Auguste Senèze note que la commission des jeunes est « une des commissions les plus vivantes du Syndicat national »13. Au plan local aussi, ce phénomène est constaté, ainsi le rapport dřactivité de la section du Puy-de-Dôme affirme en 1946 que la commission des jeunes est la plus active14. Lřidée dřune fougue de la jeunesse, qui insuffle un élan nouveau à lřensemble du syndicat, ne relève pas du stéréotype. En 1947, Marcel Merville, leur animateur national, qualifie la vie de trente Commissions Départementales de la Jeunesse (CDJ) dř« intense ». Elles existent presque partout et vivent activement dans soixante autres départements15.

Cet élan profite au courant unitaire, dont Marcel Merville représente lřune des figures depuis son engagement dans la Résistance. Il contrôle la Commission Nationale de la Jeunesse et de nombreuses CDJ, même dans des sections majoritaires, comme le Puy-de- Dôme. Cette CDJ fait élire le communiste Georges Buvat à la CNJ, où il est chargé des « relations avec les jeunes des pays adhérents à la FSM. » 16 Paul Delanoue, qui pourrait également être considéré comme un jeune militant, par rapport aux dirigeants majoritaires,

11 SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 11, février 1945. 12 Conseil National du SNI, EL nº 1, 25 septembre 1945.

13 EL nº 19, 25 juin 1946.

14SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 22, juin-juillet 1946. 15 EL nº 4, 23 octobre 1947.

instrumentalise en conséquence lřactivité de la CNJ :

« Plus que jamais notre Syndicat national a besoin à tous les échelons de lřapport de forces jeunes, enthousiastes, qui se sont révélées dans le combat et qui plus peut-être que toutes autres contribueront à refaire cette France nouvelle pour laquelle tant des nôtres sont tombés. Expérience et jeunesse sont faites pour se compléter, non pour sřopposer. »17

La thématique de la jeunesse constitue un leitmotiv du discours du courant. Elle valorise son action concrète, par lřintermédiaire de la CNJ, mais sert aussi, à la faveur dřun glissement sémantique, de métaphore pour décrire les différences entre courants. Les majoritaires lřemploient également, sřassimilant aux vieux militants par opposition aux jeunes unitaires. Lřâge moyen des unitaires membres du BN est certes plus jeune, mais cette figure de style permet surtout dřévoquer lřenthousiasme révolutionnaire des unitaires. A la Libération, ils constituent effectivement une force neuve dans le syndicalisme enseignant.

Ces jeux de pouvoir expliquent que des réticences sřexpriment sur le fait de syndiquer les normaliens, et de leur accorder un statut identique à celui de leurs aînés exerçant réellement le métier. Certains proposent que normaliens et retraités aient dans le SNI une voix consultative, au nom des responsabilités moindres qui leur incombent. Marcel Valière, dans son rapport au congrès du SNI sur le projet de modification des statuts, sřinsurge : « Il ne saurait y avoir deux sortes de syndiqués et le S.N. qui lutte contre lřesprit de catégorie ne saurait sans se contredire créer des catégories dans son sein. (...) Retraités et normaliens ne seront-ils pas tentés de délaisser une organisation syndicale qui ne les assimile pas à des syndiqués ordinaires ? »18

Merville sřefforce de répondre à ses détracteurs en convenant que « la ŖCDJŗ, ce nřest pas tout le syndicat, ni un syndicat de jeunes, mais simplement la réunion de tous les jeunes du syndicat qui, nécessairement, viennent au syndicalisme par les chemins les plus différents. » La CNJ remplit son rôle de socialisation militante en élargissant la gamme des activités proposées aux adhérents. Des journées de jeunes sont organisées, une brochure rend compte de celle tenue à Auteuil : « Quatre causeries à de jeunes instituteurs », avec des exposés de René Bonissel, Mme Seclet-Riou, Labrunie et Cholet.

La CNJ ne délaisse pas lřoptique syndicale classique. En 1946, elle fait remplir 200 cahiers de doléances, par 8 500 normaliens. Le ministre cède sur la liberté syndicale dans les Ecoles Normales, mais lřaudience apparaît moins fructueuse sur le plan corporatif, en ce qui concerne le traitement de stagiaire. Merville le regrette, mais semble pourtant comprendre en partie cette décision, ou au moins apprendre la patience aux nouveaux syndiqués : « Les difficultés

17 EL nº 10, 10 février 1946.

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rencontrées aujourdřhui sont plus grandes que jamais. Les Normaliens ne peuvent pas ignorer les difficultés financières du pays qui ont une incidence directe sur lřajournement de notre succès. »19

Lřexpérience du SNI sřavère concluante, ce qui pousse le militant unitaire Barberet à demander son extension à la Fédération, avec la création dřune commission nationale de jeunes20. Cette lacune témoigne du retard pris par la Fédération, qui ne disposait pas de cette structure avant-guerre.

c- Un appareil fédéral léger

Les déficiences fédérales sřexpliquent par la fragilité de lřappareil national, nettement moins consistant que celui des syndicats qui composent la Fédération. En effet, la Fédération Générale de lřEnseignement ne compte en 1946 que deux permanents (Adrien Lavergne et Paul Delanoue) contre quatre au SNI. Ces chiffres sont très faibles, comparés à la taille des organisations concernées21. Ceci constitue pourtant un net progrès, si lřon en juge par le fait quřavant 1939, selon le témoignage de Philippe Rabier, la FGE « nřavait ni permanents, ni local. Elle devait chaque mois solliciter du SNI ou de la Fédération Générale des Fonctionnaires une salle pour pouvoir réunir sa commission administrative. »22

Encore avait-il été nécessaire que le dirigeant unitaire Marcel Bonin demande dans le premier Conseil National de la FGE que celle-ci se dote dřun permanent23. Dirigeant du SERP, la section fédérale de la Seine, il ne peut ignorer que le fonctionnement quotidien des syndicats requiert plus de travail et de constance que le dévouement bénévole nřen apporte. Preuve en est que Paul Delanoue, secrétaire à la structure et à la propagande, fait voter en congrès lřobligation pour les délégués au Congrès Fédéral dřêtre mandatés régulièrement par une Assemblée Générale ou un Congrès Départemental. Il précise la portée de cette innovation : « Ce qui nřest pas réalisé »24. En effet, pour la Fédération, la renaissance sřavère dřautant plus ardue que la naissance était incomplète, particulièrement au plan local. Au congrès fédéral de 1947, Paul Delanoue estime quřil « est incontestable ŕ et lřexpérience dřun certain nombre de syndicats le prouve ŕ que les syndicats départementaux, sans doute,

19 EL nº 12, 10 mars 1946.

20 Congrès FEN de 1947, 15 mai 1947, a.m. - p. 89.

21 A titre d’exemple, une organisation internationale enseignante implantée surtout en France et en Russie salarie

neuf personnes en 1928. FRAJERMAN Laurent, « Le rôle de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement dans l’émergence de l’identité communiste enseignante en France (1919 - 1932) », Cahiers d’Histoire, Revue

d’Histoire Critique, Paris, nº 85, 2001/2002, pp. 111-126 - p.117.

22 in Paul Delanoue, Les enseignants. La lutte syndicale, op. cit. - p. 379. 23 Compte-rendu du CN du 23 juillet 1945 in EP nº 2, octobre. 1945. 24 Congrès FEN de 1947, Séance du 17 mai matin - p. 82.

ont des difficultés considérables à résoudre, mais il est non moins prouvé quřils peuvent avoir une vie active, une vie particulièrement intense, surtout dans les centres universitaires. »25

Il cite des syndicats actifs : les Bouches-du-Rhône, le Tarn, les Pyrénées-Orientales, la Gironde, la Région Parisienne. Outre la valorisation des sections unitaires, surreprésentées dans les exemples fournis par le chef de file de ce courant, on peut noter le caractère défensif de cette intervention, loin des bilans triomphalistes des syndicats nationaux. En effet, Paul Delanoue se voit contraint de reconnaître quř« un certain nombre de syndicats départementaux nřont pas encore une vie extrêmement intense, quřils se heurtent à de grosses difficultés, particulièrement dans les départements ruraux où les personnels du second degré sont très peu nombreux. » Ainsi, lřAube et lřAriège ne sont toujours pas dotées de syndicat départemental de la FEN, trois ans après la Libération26. Les difficultés ne proviennent pas de la guerre, mais de lacunes propres à la Fédération, qui peine à exister au plan local, lacunes qui se prolongent dans la période 1945-196027.

Lřactivité de la direction nationale de la fédération, handicapée par le manque de permanents, est lřobjet de critiques publiques de la part du bureau du SNES, phénomène exceptionnel. Il « demande que la vie de la Fédération soit plus active : publication dřun bulletin, fonctionnement des commissions »28. Cependant, ces critiques ne doivent pas masquer la responsabilité des syndicats nationaux. Ceux-ci limitent les moyens de leur fédération pour préserver leur liberté dřaction ; ils versent une cotisation médiocre à la FGE. Paul Delanoue demande donc au nom du SNI que la FGE soit « dotée des moyens matériels suffisants (cotisation), de lřappareil administratif indispensable et de la publication nationale commune susceptible de développer lřesprit de solidarité parmi tous les membres de lřenseignement. »29

Lřarticle 5 des nouveaux statuts de la FEN confirme en 1946 la place des syndicats nationaux : « La Fédération est administrée par une commission administrative de 38 membres titulaires et 17 membres suppléants, présentés par les syndicats nationaux et les syndicats départementaux et élus par le Congrès au scrutin de liste. »30 Les syndicats nationaux disposent de la possibilité de filtrer les candidatures aux responsabilités fédérales. Lřappareil fédéral manque donc de pouvoir statutaire, il ne peut guère imposer de décision à ses syndicats. Ainsi, Paul Delanoue, toujours au congrès de 1947, se demande sřil est possible à la Fédération dřagir « dřune manière autoritaire ». Il répond par la négative et précise que

25 Congrès FEN de 1947, vendredi 16 mai, matin - p. 23. 26 Congrès FEN de 1947, vendredi 16 mai, matin - p. 24. 27 Cf chapitre 9.

28 US nº 10-11, 10-25 mai 1945.

29 EL nº 5, 25 novembre 1945. La faiblesse de la cotisation est aussi signalée par Marcel Valière. 30 EP nº 7, avril 1946.

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« ce nřest absolument pas souhaitable en aucune manière. Du reste, les statuts fédéraux ne le permettent pas en ce moment. »31 Il propose au nom de la CAF, de maintenir les statuts jusquřau prochain congrès, tout en déplorant des faiblesses, ce que le congrès entérine32.

Ce débat statutaire atteste la fragilité de lřappareil fédéral dans son ensemble. Il se déroule à propos de la volonté fédérale dřunification des syndicats nationaux, débat participant aux choix décisifs opérés par le syndicalisme enseignant dans cette période.