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Nous étudions un groupe social situé dans le champ éducatif et sa traduction syndicale, sans négliger lřarrière-plan politique. Notre thèse se place donc à la croisée de lřHistoire Sociale, de lřHistoire Politique et de lřHistoire de lřEducation.

Selon Antoine Prost: « On ne conçoit plus aujourdřhui dřhistoire sociale qui ne prenne en compte lřunivers des pratiques sociales concrètes, celui des représentations, des créations symboliques, des rites, des coutumes, des attitudes devant la vie et le monde, bref lřunivers de ce quřon appelé un temps les Ŗmentalitésŗ, celui des cultures et des pratiques culturelles. »88 Dřune part, notre thèse participe de lřétude des représentations. Nous étudions donc la manière dont les acteurs syndicaux se présentent et se perçoivent (les identités), leur idéologie et comment ils se représentent leurs adversaires. Alain Blanchet et Anne Gotman nous invitent à une certaine prudence en la matière : « le propre dřune représentation est de ne jamais se penser comme telle, et dřocculter les distorsions et déformations quřelle véhicule inéluctablement. »89 Nous nřoccultons pas la fonction de légitimation des représentations et veillons à distinguer les représentations à lřœuvre dans lřactivité syndicale enseignante, qui sont liées à des besoins concrets différenciés. A lřinverse, appréhender le discours syndical dans sa globalité permet de saisir les points nodaux de cette synthèse.

Dřautre part, outre les systèmes de représentation, « pensées construites », il nous semble important dřanalyser leur combinaison avec les pratiques sociales, « faits expériencés »90. Dřabord parce quřun thème classique des polémiques politico-syndicales les oppose. Ainsi, un appel unitaire de 1948 dénonce la majorité : « un abîme se creuse inévitablement entre les décisions de ses congrès et lřapplication quřon en fait par la suite, entre la théorie et la pratique syndicale. »91 Ensuite parce que lřétude du fait syndical se heurte à la compréhension de leur articulation. Henri Heldman évoque cette question à propos de la CGT, il reconnaît « une spécificité de la pratique syndicale de la CGT », mais note que la direction confédérale

du dépouillement qu’il a effectué au siège du PCF.

88 PROST Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996, 330 p. Ŕ p. 232.

89 BLANCHET Alain, GOTMAN Anne, L’enquête et ses méthodes : l’entretien, Paris, Nathan, 1992, 125 p. -

p. 26.

Introduction 41

« nřen est pas moins porteuse dřun projet de société qui nřest pas à lřévidence partagé par lřensemble de ses adhérents. »92 Pourtant, Sabine Erbès-Seguin remarque que « les objectifs généraux et la pratique courante » des syndicats apparaissent en toute clarté : « Beaucoup plus que celle dřautres groupes, leur activité sřexerce au grand jour ; elle est de ce fait, directement repérable et analysable. »93 Nous pouvons donc étudier la manière dont le syndicalisme enseignant combine plusieurs registres, discursifs et dřaction (politique, professionnel, de la révolte, de lřintégration au système etc...), et les utilise selon les circonstances.

Denis Segrestin définit les pratiques syndicales comme « les dimensions du mouvement ouvrier qui peuvent sřappréhender en dehors de tout contenu événementiel et indépendamment de tout discours idéologique : rapports à la base, structures, politiques revendicatives, modes et niveaux des relations paritaires, etc... »94 En les étudiant, nous relevons lřinvitation de Michel Pigenet à ne pas « négliger lřordinaire des congrès par où se manifestent, dans la banalité et la routine, les préoccupations, les manières de sentir et les comportements les plus terre-à-terre des délégués. »95 Avec lřimportance que nous accordons à lřétude des pratiques syndicales, la difficulté dřanalyse réside dans le caractère officieux, banal de lřactivité quotidienne. Le caractère routinier des pratiques diminue leur visibilité. On ne pense pas à les signaler parce quřelles relèvent de lřimmédiateté, quřelles sont dřautant plus efficaces que les codes auront été naturalisés. Les militants ne peuvent réfléchir tous les jours à leur façon de procéder dans lřurgence. Nous souhaitons traquer les manifestations de ces normes de militantisme, en faisant la part de lřévènementiel et du rituel.

Convaincus de lřimportance des croisements interdisciplinaires pour lřavancement de la recherche historique, nous avons utilisé les théories sociologiques. En cela, nous tâchons de suivre le programme défini par Gérard Noiriel : « Plutôt que de continuer à opposer lřhistoire et la sociologie, le temps est venu de voir comment elles pourraient collaborer et se compléter. »96

Notre recherche sřinscrit dans une perspective constructiviste et compréhensive. Peter Berger et Thomas Luckmann établissent un postulat fondamental à nos yeux : « lřobjectivité du monde institutionnel, même si elle apparaît massivement à lřindividu, est une objectivité produite et construite par lřêtre humain. »97 Philippe Corcuff illustre les conséquences de la

91 EL n°21, 4 mars 1948.

92HELDMAN Henri, « A propos de trois ouvrages sur la CGT », Communisme, n°2, 1982 - p. 104. 93 ERBÈS-SEGUIN Sabine, Démocratie dans les syndicats, Paris, Mouton, 1971, 188 p. - p. 10. 94 SEGRESTIN Denis, « Du syndicalisme de métier au syndicalisme de classe », op. cit. - p. 161.

95 PIGENET Michel, « Les finances, une approche des problèmes de structure et d’orientation de la CGT (1895-

1914) », Paris, Le Mouvement Social, n°172, juillet-septembre 1995 - p. 67.

96 NOIRIEL Gérard, Sur la « crise » de l’histoire, Paris, Belin, 1996, 341 p. Ŕ p. 170.

97 BERGER Peter, LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klincksieck,

perspective constructiviste : « les réalités sociales sont appréhendées comme des constructions historiques et quotidiennes des acteurs individuels et collectifs. Cet enchevêtrement de constructions plurielles, individuelles et collectives, ne relevant dřailleurs pas nécessairement dřune claire volonté, tend à échapper au contrôle des différents acteurs en présence. »98

Enfin, nous adoptons une posture compréhensive, au sens weberien, cřest-à-dire que nous nous attachons à restituer le sens de lřaction des acteurs, en se gardant dřimposer une problématique extérieure99. Sabine Erbès-Seguin affirme lřimpossibilité « dřétudier les mécanismes nés de lřaction des hommes sans prendre en compte la façon dont ces hommes expriment les objectifs de leur action. »100 Cette démarche ne consiste pas à retranscrire fidèlement les propos des acteurs, mais à les prendre en compte et à les insérer dans notre analyse globale. En effet, outre des archives syndicales, nos sources comprennent des entretiens, et leur confrontation met fréquement en relief les contradictions entre ces matériaux, comme entre les souvenirs des acteurs eux-mêmes.