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La tendance Ecole Emancipée ne présente pas officiellement son activité résistante dans les

34 VIRIEUX (D.), « Résistance - Professions. », Le Mouvement Social, op. cit. - p. 133. 35EL n° 1, 28 octobre 1944.

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colonnes de L’Ecole Libératrice, ce qui génère le sentiment que lřinaction a été son lot. Cependant, elle est lřobjet dřune allusion dans lřhistorique de Senèze :

« Les difficultés de communication nous avaient mis dans lřimpossibilité de joindre le Sud et le Sud-Ouest de la France, où dřautres camarades ont mis debout lřorganisation syndicale. Cette large fraction dřune quinzaine de départements est représentée au bureau par deux délégués de ce troisième mouvement syndical. »36 Cette présentation nřécarte pas toute interrogation, puisque la tendance Ecole Emancipée était aussi implantée avant la guerre au Nord de la France. Quřont fait ses militants ? Ont-ils participé à la Résistance dans leur ensemble, ou ont-ils majoritairement attendu la fin de la guerre ? Il nřest pas dans notre objet de mener des recherches approfondies sur la question, mais les travaux historiques et les propos exprimés dès la Libération peuvent nous éclairer.

Les actes de résistance recensés par Senèze sont situés (vaguement) dans la zone Sud. Le journal de la tendance explique, en 1946, les circonstances de la mort du marseillais Jean Salducci : « Participant plus tard aux luttes clandestines, Salducci est arrêté et envoyé dans un camp de concentration allemand dřoù il ne devait pas revenir. »37 Le parcours résistant du dirigeant de la tendance est exemplaire. Sa notice du Maitron indique quřil « fut le chef du mouvement ŖCombat universitaireŗ. Il éditait, rédigeait et distribuait le journal clandestin Combat du Sud-Est. En février 1942, il entra dans les Forces françaises de lřintérieur. Il fut arrêté à Marseille le 28 avril 1943 avec plusieurs autres membres du réseau ŖCombatŗ » et mourut en déportation38. Cependant, ces informations ne sont pas communiquées aux lecteurs du journal de la tendance, qui ne semble pas en tirer une fierté comparable à celle exprimée par les autres tendances, au sujet de leurs propres martyrs. On peut donc sřinterroger sur le lien entre lřactivité résistante de Jean Salducci et quelque réseau enseignant national que ce soit. Or la question qui nous préoccupe est celle de lřattitude générale de la tendance Ecole Emancipée pendant les années sombres.

LřEcole Emancipée ne cherche nullement à sřexpliquer sur cette période. Dans un climat de consensus patriotique, elle se situe résolument à contre-courant. Ainsi, la revue L’Ecole Emancipée ŕ qui ne reparaît quřen septembre 1946 ŕ ne consacre aucun article à la Résistance dans son premier numéro, a contrario des autres journaux syndicaux. Lřéditorial note simplement : « LřEcole Emancipée renaît. De nombreux camarades souhaitaient et attendaient impatiemment sa reparution. Hélas ! Leur joie sera gâtée par le vide creusé dans nos rangs par la perte de tous ceux, parmi les meilleurs dřentre nous, qui ne verront pas cette

36Ibid.

37article de G. et L. Bouët, EE n° 2, 6 octobre 1946. Les bulletins ronéotypés de l’Ecole Emancipée entre 1945 et

1946, moins représentatifs d’un courant qui se reconstruit, n’évoquent pas non plus d’actes de Résistance.

résurrection. »39

Le second numéro de L’Ecole Emancipée après la Libération, contient le seul article consacré explicitement à lřattitude de la tendance pendant la période de la guerre. Rédigé par Gabrielle et Louis Bouët, vétérans de la tendance, il sřintitule : « Nos morts »40. Il ne représente pas un compte-rendu de la résistance des militants de la tendance, mais un dernier hommage à tous ceux qui sont décédés au cours des sept années dřinterruption de la publication du journal.

Lřarticle revêt la forme dřune liste chronologique, qui nřaccorde pas dřimportance particulière aux morts pour faits de résistance. Ainsi dans un paragraphe consacré à lřannée 1941 se côtoient les cas suivants :

« au camp de concentration de Châteaubriant tombaient comme otages sous les balles allemandes deux militants du Finistère, Pierre Gueguen et Marc Bourhis (…). A la même époque, Mme Bajard, ancienne militante du Syndicat de Saône-et-Loire, succombait après une chute de bicyclette. »

Quelques cas de résistance sont mentionnés, ainsi en 1944 : « notre camarade André (Basses-Alpes), réfugié dans le maquis, fut assassiné par les miliciens de Darnand. ». Mais sur les quatre décédés auxquels une « mention spéciale » est décernée, un seul, Jean Salducci, a participé à la Résistance. Elise Avenas est morte de maladie après plusieurs mois de prison en 1940, lřarticle ne précise pas la raison du décès de François Bernard en 1940, enfin Gilbert Serret, déplacé dřoffice à la montagne par le régime de Vichy, a été retrouvé noyé dans un gouffre en 1943. Ils sont mis en exergue pour leur activité au sein de la tendance avant le conflit, et non pour ce quřils auraient pu faire pendant.

Le journal ne manifeste pas pour autant de penchant pour le régime de Vichy, et il signale que de nombreux militants ont subi des sanctions administratives de sa part. Mais dřautres militants de la tendance ont-ils exercé des activités clandestines ? Dans son livre, Paul Delanoue affirme : « il nřy avait plus de mouvement ŖEcole Emancipéeŗ nationalement organisé chez les enseignants. Il nous faut, toutefois, noter avec satisfaction que dans le département de lřOise, les dirigeants de la Section du SNI avec Lermillier et Taupinard, travaillèrent fraternellement à nos côtés. »41 Notons que cette section reste aujourdřhui encore un bastion de lřEcole Emancipée. Mais Paul Delanoue affirme quřil ne sřagit que dřune exception, précisant que des contacts ont existé avec des militants Ecole Emancipée de Vendée. A lřappui de cette idée, lřexamen des biographies des principaux dirigeants de la tendance indique que la majorité dřentre eux, bien que révoquée par Vichy, ne sřengage pas

39EE, n° 1, 22 septembre 1946. 40 EE n° 2, 6 octobre 1946.

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dans la Résistance : Gilbert Serret, Jean Aulas, Maurice Dommanget, Louis Bouët, Henri Sarda, Henri Féraud, Henri Vidalenche, Raymond Guilloré42...

Lřexemple de la section à majorité Ecole Emancipée de lřHérault est révélateur de la difficulté de lřanalyse. Paul Delanoue déclare à propos de cette section : « une démarche de notre part se heurta à une fin de non-recevoir absolument catégorique. »43 Il laisse ainsi entendre que les militants Ecole Emancipée de lřHérault étaient « attentistes », selon son expression. Or, la biographie dans le Maitron de Marcel Valière, figure des militants Ecole Emancipée du département, établit son activité résistante : « De Pâques 1941 à septembre 1944, il appartint à un mouvement de résistance qui publiait l’Insurgé. Membre du comité régional Languedoc-Roussillon, il diffusa le journal dans la région. En août 1943 plusieurs camarades ayant été arrêtés, ayant lui-même participé à lřévasion de trois résistants de la prison militaire allemande de Montpellier, il dut quitter lřenseignement pour échapper aux recherches de la Gestapo. »44 Cette activité explique dřailleurs que sa tendance soit restée majoritaire dans la section de lřHérault à la Libération. Ceci confirme le fait que la question de la résistance reste inséparable de celle de la personnalité des militants, et ne se limite pas à un problème idéologique. Une autre explication possible sřappuie sur lřabsence de mention de cette activité dans le journal de la tendance, alors que Valière est un ancien secrétaire général de la Fédération Unitaire et lřun des deux représentants Ecole Emancipée au BN du SNI : la participation à la Résistance ne constitue pas un facteur de légitimité à lřintérieur de la tendance.

Le cas dřun autre militant, qui joue un rôle important dans la tendance après la Libération, Marcel Pennetier, illustre les raisons de lřisolement des militants de cette tendance durant la guerre. Il utilise son pavillon de Créteil pour ronéotyper « dès septembre 1940 les premiers numéros de La Vérité, journal clandestin du POI pendant la guerre. »45 Cette activité clandestine est risquée, mais elle sřassimile difficilement à une action classique de résistance, puisque justement ce militant trotskyste refuse lřunion sacrée quřelle opère, au-delà des clivages de classe, et critique son nationalisme. Ce désaveu fondamental de la forme dominante prise par la Résistance en France explique la position délicate des militants de lřEcole Emancipée à cette époque.

Peut-on alors suivre Paul Delanoue, quand il conteste le brevet de résistance donné par Senèze ? : « jřai recherché des traces de lřactivité de ŖLřEcole Emancipéeŗ. Je nřen ai pas

41DELANOUE (P.), Les enseignants. La lutte syndicale, op. cit. - p. 215.

42 Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op. cit. 43DELANOUE (P.), Les enseignants. La lutte syndicale, op. cit. - p. 215. 44 Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op. cit.

45 Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, op. cit. Le Parti Ouvrier Internationaliste est un

trouvé. Lřun de ses militants dřavant guerre, Jean Aulas, mřa déclaré Ŗtu ne trouveras rien ; cette guerre ne nous concernait pasŗ. »46 Son propre livre amène à nuancer ce genre dřaffirmation, en relevant la variété des cas personnels. La participation à la Résistance de militants Ecole Emancipée du Sud de la France est avérée, mais ceux-ci ne peuvent représenter lřensemble de la tendance, contrairement à la présentation effectuée par Senèze dans L’Ecole libératrice.

D La présentation de la reconstitution clandestine des syndicats