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B L’épuration syndicale ou la Résistance comme enjeu politique

Les dirigeants syndicaux appellent à une épuration de leurs propres rangs afin de restaurer une confiance que les agissements de quelques-uns auraient pu ébranler. En cela, ils se conforment au climat prévalant en France à la Libération. Ainsi, Juliette Harzelec écrit que le syndicalisme

« nřa pas reçu que des coups venant de lřextérieur, il lui en est venu de son propre

113 US n° 59, 15 mars 1950.

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sein. Des militants parmi les plus en vue, parmi les plus remarquables, lui ont porté, par leurs doutes et leurs défaillances des coups peut-être plus rudes que ne lřauraient été les assauts gouvernementaux. Nous devons avoir le courage de condamner ces fautes, de proclamer que lřabstention des uns, les glissements des autres, les trahisons dřune minorité ont jeté le trouble, le découragement, voire le dégoût dans lřâme de nombreux instituteurs et institutrices de France. »115

Lřallusion à André Delmas paraît claire. Lřheure nřétait pas encore, même pour ces anciens camarades de tendance, aux nuances, à la relativisation de ses torts. Son absence dans le combat résistant a affaibli son propre camp à la Libération. Jean Senèze exprime bien, dans le même numéro de L’École Libératrice que la mise à lřécart de certains dirigeants fut effectuée à contrecœur, sous lřempire de la nécessité :

« Il nous a été douloureux certainement de nous séparer dřhommes qui avaient eu notre estime et notre confiance. Quels que fussent nos sentiments personnels, nous ne pouvions accepter à la direction du Syndicat national que ceux dont la fermeté était indiscutable, qui avaient participé à la lutte clandestine, qui nřavaient pas contribué au développement dřorganismes vichyssois ou qui faisaient lřunanimité dans les groupes résistants. Nous qui avons parcouru les départements nous savions trop bien que ne seraient pas tolérés ceux qui avaient facilement accepté la dissolution du Syndicat national... »116

Cette nécessité provient sans doute de deux éléments conjugués. Dřabord, la reconstitution des syndicats dissous permet à une nouvelle génération de militants, légitimée par la résistance, de sřimposer. Cette génération ne souhaite certainement pas effacer ses exploits en oubliant immédiatement le passé. Cette prise de pouvoir par les résistants est un phénomène repérable à tous les échelons syndicaux. Ainsi dans la section SNI de la Somme, Vander Guchten convoque un Conseil Syndical provisoire le 9 novembre 1944. Sa composition témoigne déjà dřun passage de relais, puisque sont mêlés les « anciens conseillers syndicaux dřavant 1939 » et « les résistants qui avaient pu être touchés. » La réunion décide dřentériner cette logique :

« Considérant dřautre part que le nouveau Conseil est PROVISOIRE, puisque des élections normales auront lieu prochainement, quřil nřest peut-être pas mauvais que des jeunes et quřun Conseil de Résistants exerce momentanément une action, la majorité rejette la proposition François et vote pour un Conseil de la Résistance. »117 Le bulletin publie alors pour lřélection des 20 membres du CS, une liste de 32 candidats,

115 EL n° 1, 28 octobre 1944. 116 Idem. Souligné par nous.

qui précise la qualité de résistant, et/ou de membre du CS sortant rééligible. Cette indication joue un tel rôle discriminant que les quatre non-résistants sont battus avec des scores calamiteux118.

La méthode employée dans la section SNI du Puy-de-Dôme est plus expéditive, et cause quelques remous. Le bulletin publie un avis qui revendique lřapparition dřune nouvelle direction résistante :

« Ne peuvent appartenir à la direction syndicale, sur le plan départemental comme sur le plan national, que les camarades qui nřont accepté ni la collaboration avec lřallemand ni la collaboration avec Vichy. (…) Les anciens membres du CS élus dřavant 1940 qui ne seront pas présents à la réunion sans excuses motivées, nřen feront plus partie. Les désignations, la reconstitution du CS, comportent un certain arbitraire ; les circonstances lřimposent et lřont imposé : la place est à ceux qui sřen sont montrés dignes. »119

Il est donc précisé que « tous les nouveaux membres du Conseil syndical ont fait de la résistance. »120 Certains anciens conseillers syndicaux critiquent la méthode employée au nom de la démocratie syndicale. La polémique rebondit à lřoccasion dřune Assemblée Générale houleuse, ce qui explique sans doute que la nouvelle équipe sřappuie sur lřexemple national, en évoquant le premier Conseil National du SNI : « Les membres étaient nouveaux pour la plupart. (…) Ce sont des résistants. »121 Finalement, dřanciens résistants occupent les places du bureau, même si pour lřélection du CS, rares sont les candidats qui indiquent une telle activité122. Ainsi, on ne précise pas le réseau de résistance auquel les candidats ont appartenu, ni leurs faits dřarmes. On crée une catégorie indifférenciée de résistants, par opposition au reste de la population.

Le second élément poussant à lřépuration est la pression du courant unitaire. Paul Delanoue affirme dřailleurs que les négociations entre résistants unitaires et majoritaires du SNI ont porté notamment sur lřépuration123. Le dirigeant unitaire Llado déclare en 1945 : « notre école est menacée, si nous voulons être forts, commençons par nettoyer notre propre maison : cřest une tâche de première nécessité et de salubrité. »124

117 SNI, Bulletin de la Section de la Somme, n° 2, janvier 1945.

118 Sur 1 020 exprimés, ils obtiennent de 139 voix à 263 voix, avant eux le pire score est 483 voix. SNI, Bulletin

de la Section de la Somme, n° 3, avril 1945. Le caractère résistant ou non des candidats est précisé aussi dans la

Mayenne, selon Jacques Cousin, lors de sa communication du 7 novembre 2001 au groupe CHS/Centre Fédéral FEN sur l’histoire du syndicalisme enseignant.

119 SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, n° 7, octobre 1944.

120 CS du 12 octobre 1944. SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, n° 8, novembre 1944. 121 SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, n° 10, janvier 1945 et n° 11, février1945. 122 SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, n° 13, avril 1945.

123 Voir plus haut : II D La présentation de la reconstitution clandestine des syndicats enseignants. 124 EL n° 7, 25 janvier 1945.

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On a souvent accusé le courant unitaire de disposer des éléments dřune polémique au sujet de lřépuration, grâce à sa participation à la Libération de Paris, et dřen user pour intimider leurs adversaires. En effet, ses militants ont occupé le Ministère, le siège de la Ligue de lřEnseignement, celui de la Direction de lřEnseignement de la Seine et en partie le siège du SNI. Ils ont donc eu lřoccasion de consulter un certain nombre de documents. Didier Sapojnik estime ainsi que pour les communistes, « le fait dřavoir occupé les premiers, en août 1944, le ministère de lřEducation Nationale pour y installer Henri Wallon leur a permis de sřemparer des dossiers dont ils ont essayé de se servir ensuite pour mener lřépuration dans lřEducation Nationale. »125 Jacques Girault relève dřailleurs que « tous les sanctionnés syndicaux de 1944 - 1945 attribuent aux seuls communistes le désir de prendre leur revanche. »126 Ce sentiment a certainement été exacerbé par le déroulement de lřaffaire Hagnauer.