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Roger Hagnauer occupe dřéminentes responsabilités dans le SNI dřavant-guerre : membre du Bureau National, responsable de la Commission dřEducation Sociale. Il appartient au groupe dřextrême gauche « La Révolution Prolétarienne », connu pour son hostilité au PCF. Après sa révocation par Vichy, il obtient un poste de chef de groupe du Secours National. On lřécarte du BN pour cette raison à la Libération, à la demande de Delanoue et ses amis. Il ne cesse de protester contre cette décision et il affirme : à « la première assemblée générale du Syndicat de la Seine, jřai demandé à mřexpliquer. Le président Senèze m’a refusé la parole et ma voix a été couverte par les aboyeurs staliniens. »127 Pour sa défense, Hagnauer affirme avoir utilisé ce poste pour sauver de nombreux enfants juifs128. Après plusieurs tentatives (recours devant la Commission dřépuration de la Section de la Seine, protestations émises à la Confédération…), il prend contact en 1946 avec « de vieux amis dřavant-guerre ». Pierrette Rouquet ne répond pas à sa lettre et Henri Aigueperse, proche du même groupe avant-guerre, le reçoit en présence de René Vives, dirigeant historique du syndicat, sans donner suite à lřentretien. Ses anciens camarades de tendance rejettent donc Roger Hagnauer, notamment à cause de la pression exercée par les militants unitaires.

125SAPOJNIK Didier, L’autonomie de la Fédération de l’Éducation Nationale lors de la scission syndicale de

1947 et son organisation, Maîtrise, Paris I, [J. Droz], 1972, 164 p. - p. 19.

126 GIRAULT Jacques, « Itinéraires de militants responsables du Syndicat national des instituteurs pendant la

Seconde Guerre Mondiale », Communication au groupe CRHMSS/Centre Fédéral FEN sur l’histoire du

syndicalisme enseignant, p. 11.

127 1 BB 23, Lettre de Hagnauer aux membres du BN du SNI et de la CA de la FEN, le 3 janvier 1950.

128 Cette version est défendue par l’institution qu’ils ont créé, sise à Sèvres. De plus, Jean-Pierre Le Crom juge

« excessive » la sévérité manifestée à son encontre, d’autant que certains dirigeants du Secours National s’opposent au régime de Vichy in Syndicats nous voilà ! Vichy et le corporatisme, préface de Robert O. Paxton,

Lřun des seuls à le défendre est Marcel Pennetier. Dans un article de L’Ecole Emancipée intitulé « Contre toutes les calomnies », il explique que le journal proche du PCF L’Ecole laïque parle du collaborateur Zoretti en ces termes : « Chef de file avec Delmas, Hagnauer, Belin, de ceux qui préféraient la Ŗservitude à la mortŗ et ne voulaient pas Ŗmourir pour Dantzigŗ, il fut lřun des plus actifs éléments de lřéquipe des Munichois ». Pour Marcel Pennetier, lřauteur de ces lignes en « plaçant à côté du nom fasciste Zoretti celui dřHagnauer, (…) tente de faire croire que celui-ci a eu une attitude pro-hitlérienne », ce quřil conteste. Il précise quřHagnauer ne milite pas à lřEE, pour ajouter quřil « nřest pas nécessaire que celui qui est attaqué soit un des nôtres pour que nous nous élevions contre la calomnie. »129 Est-ce lřindice dřune certaine solidarité de militants qui sřélèvent contre ce quřils considèrent comme des excès de lřépuration syndicale ? Nous formulons cette hypothèse en considération de lřactivité déployée à partir de 1948 par lřun des responsables de la tendance, Henri Vidalenche, pour obtenir le réexamen du cas de militants épurés, comme André Lavenir, ancien membre du cabinet dřAbel Bonnard130.

Hagnauer obtient enfin, au congrès fédéral de 1949, que son cas soit examiné à nouveau, par un jury dřhonneur. Il est alors militant de la FEN-FO, et soutenu par cette tendance. A cette occasion, les unitaires fournissent leur version dřune réunion du BN du SNI qui avait permis une confrontation avec Roger Hagnauer en septembre 1944. Ils regrettent dřailleurs la disparition du procès-verbal officiel et affirment que Delanoue, qui faisait office de procureur, conclut son intervention en déclarant :

« Cřest là une question de principe, qui est, du reste, déjà tranchée, puisque le bureau du SNI est constitué sans lui.

Hagnauer, en larmoyant, plaida les circonstances atténuantes, évoqua sa révocation, sa situation matérielle difficile ; des Ŗamis lřavaient aidé dans sa détresse, pour lui trouver un petit poste de bureaucrate au Secours nationalŗ. Convenait-il de lui en tenir rigueur ? Au surplus, il avait donné son adhésion à une organisation de Résistance. Du reste, il ne pouvait être, puisquřIsraélite, réintégré dans lřenseignement. (….)

Delanoue posa à ce moment-là une question à Senèze, dont Hagnauer sřétait prévalu, en déclarant Ŗquřil avait adhéré à une organisation de Résistanceŗ :

ŕ A quelle date, cette adhésion ? demanda Delanoue à Senèze. ŕ En Juillet 1944, répondit Senèze.

Là-dessus, Hagnauer quitta la salle, sans serrer la main à personne, en claquant la Paris, Éditions de l’Atelier, 1995, 410 p. - pp. 371-372.

129 EE nº 5, 18 novembre 1946.

Chapitre 1 87 porte.

Pour conclure, Senèze déclara : ŖLa cause est entendueŗ. »131

Ce compte-rendu ne peut certes être considéré comme un document fiable pour établir les faits, mais notre but nřétant pas de juger cette affaire à notre tour, il nous permet de constater que la principale accusation contre Roger Hagnauer repose sur son absence de résistance. Or cřest un point discriminant pour participer à nouveau au Bureau National du SNI, le cas de René Vives excepté. Le principe du jury dřhonneur retenu, son application restait à définir. Hagnauer, sûr de lui, pose plusieurs questions à Lavergne :

« 2° Aurai-je le droit de Ŗrécuserŗ certains juges ? Si oui, je récuse évidemment ceux qui par conviction ou par obéissance ont approuvé les immondes accusations de lřorgane officiel de la valetaille stalinienne.

3° Peut-on proposer des juges choisis hors des organismes élus ? Si oui, je propose des camarades retraitées, dřune probité indiscutable : Marthe Pichorel, Marthe Bigot, L. Mérat, Vives, Boulanger, L. Roussel, G. Vidalencq. »132

Il propose principalement des dirigeants ex-confédérés de la FGE dřavant-guerre, nřexerçant plus de responsabilités syndicales, ou des membres du groupe « La Révolution Prolétarienne ». Adrien Lavergne apprécie modérément cette initiative et lui répond : « Je ne pense pas quřil třappartient de proposer des juges. Dřailleurs, le jury dřhonneur ne comprendra que des camarades, et non des juges, chargés dřapporter une solution claire à une question qui sera certainement controversée. (…) Je mřemploierai à ce que les débats du jury soient conduits avec impartialité, et avec un souci de documentation indispensable. »133 Ce à quoi Roger Hagnauer rétorque : « En quoi ma suggestion de choisir comme Ŗjugesŗ des camarades qui ne participent pas à nos luttes de tendances, est-elle impertinente ? Nřa-t-on pas le droit de récuser des juges qui ont pris parti ? »134

Cet échange montre que Roger Hagnauer espérait profiter des changements survenus dans la FEN depuis la Libération : ses ennemis communistes ne participent plus à la direction du syndicat. Lřépoque est propice à la réouverture de son dossier dans un esprit moins passionnel. Lavergne entretient une correspondance régulière avec lui en employant des formules de courtoisie (« Mon cher Hagnauer »). Il le rassure même sur la personnalité du président du jury :

« Tu peux avoir confiance en son Président. Sous des allures réservées, parfois tranchantes, Grange a le souci très net de ses responsabilités, et il est, par ailleurs,

131 1 BB 23, affaire Hagnauer, Compte-rendu du BN du SNI de septembre 1944. 132 1 BB 23, Lettre de Hagnauer à Lavergne, le 26 novembre 1949.

133 1 BB 23, Réponse de Lavergne à Hagnauer, le 6 décembre 1949. 134 1 BB 23, Lettre de Hagnauer à Lavergne, le 13 décembre 1949.

décidé à apporter toutes précisions sur ce que certains ont appelé un peu cavalièrement Ŗle cas Hagnauerŗ. Je te demande de préciser à notre ami Grange ton désir quant à la conduite de la discussion. »135

Cependant, le secrétaire général de la FEN affiche une position impartiale, et sřefforce surtout de préserver la sérénité de Roger Hagnauer, prompt au soupçon, ce quřindique la suite de sa lettre : « Contrairement à ce que tu penses, nous nřavons nullement lřimpression dřentretenir autour de cette affaire une lourde confusion. De même, je ne crois pas que le vote fut déterminé par de savantes combinaisons politiques. » Cette attitude peut sřexpliquer par la volonté de défendre ceux de ses amis, Senèze en tête, qui ont écarté Hagnauer en 1944. Ainsi, les représentants du SNI refusent de participer au jury, arguant de la « chose jugée »136.

La deuxième raison serait une certaine méfiance envers la tendance FO, qui constitue le principal soutien dřHagnauer. G. Walusinski le secrétaire de la FEN-FO écrit même à Lavergne pour regretter la lenteur de la mise en place du jury dřhonneur :

« Il ne třéchappera évidemment pas que tout nouveau délai pourrait apparaître comme une manœuvre dont ne pourraient tirer profit que ceux qui ont accusé sans preuve. Le camarade Hagnauer a été victime dřune injustice ; il continue à être victime quand de tels calomniateurs lřattaquent. Il est légitime quřavec promptitude les moyens lui soient offerts dřobtenir réparation. »

Lavergne répond en lřinformant de lřavancement du dossier et en lřassurant que « lřintérêt de tous est que la lumière soit faite sur les accusations portées contre Hagnauer. »137 Le refus de la majorité autonome de le soutenir complètement provoque cette remarque dřHagnauer : « Je regrette que cette agitation autour de ma personne te fasse perdre un temps précieux. Mais en suis-je responsable ? Si quelquřun avait le droit dřexprimer quelque ressentiment, en reprenant contact avec la Fédération, cřétait moi. »138

La position en retrait de la majorité se manifeste également par le choix dřimpliquer les tendances CGT et FO dans le jury dřhonneur, ce que FO ne demandait pas. Finalement, le jury dřhonneur réhabilite Hagnauer en 1950, ce qui ne relance pas sa carrière syndicale139. Les questions dřépuration disparaissent alors de la scène syndicale.

SYNTHÈSE

135 1 BB 23, Lettre de Lavergne à Hagnauer, le 23 janvier 1950.

136 1 BB 23, Lettre de Hagnauer aux membres du BN du SNI et de la CA de la FEN, le 3 janvier 1950.

137 1 BB 23, affaire Hagnauer, Lettre de Walusinski à Lavergne, le 28 novembre 1949 et réponse de Lavergne à

Walusinski, le 6 décembre 1949.

Chapitre 1 89

La Résistance structure des comportements syndicaux sur la longue durée, en témoignent les débats sur le cas Hagnauer en 1950. On retrouve encore des références à la Résistance en 1958, dans cette lettre du secrétaire de la section FEN de lřAube : « Dans lřensemble les camarades semblent comprendre la gravité de la situation et le danger que représenterait De Gaulle. (...) Sřil est trop tard demain, en tout cas faire comprendre que la Résistance commence. »140 Certes, ces déclarations restent isolées, et les débats mémoriels ne prennent jamais le pas sur lřactualité syndicale. Surtout, la guerre froide et la redistribution des cartes quřelle implique obscurcit les enjeux mémoriels et les solidarités de la résistance, leur laissant la portion congrue.

La question de la Résistance obtient donc son effet maximal à la Libération, juste après les faits. Elle légitime la prise du pouvoir syndical à tous les échelons par une nouvelle génération militante. Ces militants ressentent une solidarité, qui les pousse à inventer les voies dřune codirection du syndicalisme enseignant (chapitre 2).

Le courant unitaire sřinsère pleinement dans ce mouvement, sřétant illustré durant les années sombres. Le bénéfice quřil en tire est quantitatif : ses effectifs font un bond, malgré la répression de lřoccupant, il attire au-delà des adhérents du PCF. Il apparaît aussi symbolique : en recréant des sections SNI, en relançant la parution de L’Ecole Libératrice, le courant unitaire acquiert une crédibilité nouvelle. Logiquement, il cherche à prolonger cette situation en développant sa mémoire de la Résistance, en critiquant les autres mémoires. Il apparaît comme le promoteur le plus intransigeant de lřépuration, a contrario de ses concurrents de lřEcole Emancipée. Ceux-ci apparaissent à contre-courant à la Libération, par leur refus des formes consacrées de la Résistance, et par leur volonté de ne pas modifier leurs analyses sur la « guerre impérialiste ». Affaiblis, ils perdent au profit des unitaires le statut de principale minorité. LřEcole Emancipée se réinsère, difficilement, dans le SNI, grâce au soutien dřune majorité intéressée par un contrepoids à la minorité unitaire. La majorité se voit obligée de composer, ses principaux dirigeants dřavant-guerre ayant failli durant les années sombres. Elle construit sa mémoire de la Résistance, avec ses martyrs exclusifs, Lapierre et Rollo, et invite à tourner la page.

Cette description ne doit pas occulter la variété des situations, et notamment la plus grande unité des syndicats des enseignements secondaires et supérieurs sur cette question. Ils avaient refusé dřexclure les communistes en 1939 et ont conservé une certaine unité dřaction pendant lřoccupation. Enfin, les positionnements des tendances, les questions mémorielles bénéficient

139 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale, op. cit. Ŕ p. 168.

dřun retentissement maximal dans une période où le syndicalisme enseignant est à reconstruire, donc plus instable.

C

HAPITRE

2

1944

-

1946

:

L

A REDÉFINITION DU SYNDICALISME

ENSEIGNANT

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