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MUTATION DU COURANT UNITAIRE ET

A- Un souffle syndical nouveau

a- Une façon nouvelle d’aborder les différences : l’affaiblissement du rôle des tendances

Comme le note Jacques Girault, la confrontation des tendances syndicales est souvent rude avant-guerre, notamment après la réalisation de lřunité, en 1935, qui « transporte dans le SN un esprit de tendance plus accentué que dans le passé. »96 La tendance majoritaire assure seule lřexercice du pouvoir, et exclut les minorités. Or, le climat change dans le syndicalisme enseignant après la Libération, dans le sens dřune remise en cause du rôle des tendances. Lřheure est au rassemblement de toutes les énergies, à lřémergence dřune nouvelle génération issue de la Résistance. Ce processus se heurte à de nombreuses contradictions, puisque les cultures militantes qui évoluent au sein du syndicalisme enseignant nřont quřatténué leurs différences. Il est difficile de faire abstraction de cette réalité, et les réponses changent selon les territoires et les organisations. De plus, la remise en cause du rôle des tendances évolue dans le temps, nécessitant lřétablissement dřune chronologie.

Prenons lřexemple du Puy-de-Dôme, le 13 novembre 1938, trois motions sřopposent pour le Congrès confédéral, la motion Delmas (secrétaire général du SNI) recueille lřunanimité des cent personnes présentes à lřAG extraordinaire moins 4 voix au profit de la motion unitaire. Les débats sont vifs, malgré le rôle modérateur Ŕ déjà ŕ exercé par le secrétaire général de la

Michel Vernus dans « Parents d’élèves en marche », op. cit. - p. 32.

95 US nº 1, 30 décembre 1944.

section, Jean-Auguste Senèze, qui « ne peut souscrire au terme de colonisation », utilisé par les anticommunistes de la tendance Syndicats97. Il conteste lřidée dřune « croisade idéologique au sein de la CGT. » Les tendances sont donc affichées explicitement et prises continuellement en considération dans la vie de la section. Les premières élections du Conseil Syndical après la Libération se déroulent sans indication de tendance98. Certes le CS du 8 novembre 1945 désigne Senèze comme son candidat au BN par 24 voix contre 6 et 3 abstentions, marquant sa sensibilité ex-confédérée, mais la section pouvait-elle ne pas présenter le secrétaire général du SNI ? Par contre, pour représenter la direction nationale à lřAG, le CS veut inviter au choix Paul Delanoue, Marcel Merville ou Labrunie, connus comme communistes ou bien Marcel Valière, dirigeant de lřEcole Emancipée99.

Les considérations de tendance ne sont plus de mise, et lřexemple vient de haut. Jean- Auguste Senèze, exalte sans cesse dans ses éditoriaux de L’École Libératrice les vertus du consensus interne. Il commente ainsi la première réunion du bureau provisoire : « Lřon sentait la volonté de se dégager de tout parti pris, la volonté de travailler pour lřécole, pour ses maîtres, dans un syndicat puissant, grâce à la cohésion de ses membres. Les discussions furent naturellement vives, mais ordonnées et claires et toutes les décisions prises à lřunanimité. »100 Lors du second Conseil National du SNI, il obtient « des applaudissements unanimes », en intervenant vivement contre « le jeu des positions de principe sans souci de la réalité, des discussions interminables sur des lambeaux de phrases et des demandes de disjonction rappelant par trop les fautes dřavant 1939 »101.

Comment interpréter cette position ? Juliette Harzelec, pourtant peu avare de polémiques internes, proclame dans le même mouvement : « Je considère, donc, quant à moi, les vieilles étiquettes comme démarquées. Jřaimerais ne pas les entendre appliquer avec légèreté, car elles risquent de lřêtre fort injustement et de désunir des forces qui doivent se tendre résolument vers lřavenir. »102 On pourrait estimer que ce comportement est plus facile à adopter pour un dirigeant majoritaire, qui incarne le syndicat, que pour un minoritaire, qui doit se distinguer pour exister. Ce serait alors une posture cachant un affrontement de tendance aussi vif quřautrefois.

Pourtant, Paul Delanoue tient le même langage à propos du Comité Confédéral National de la CGT : « Si différents courants se dessinèrent, si des opinions se confrontèrent, à aucun

97SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 177, janvier 1939. Sur la tendance Syndicats, voir chapitre

1, partie I B.

98SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 13, avril 1945. 99 SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 18, novembre 1945. 100 EL nº 2, 10 novembre 1944.

101 EL nº 12, 15 avril 1945. 102 EL nº 17, 13 juillet 1945.

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moment le débat ne fut passionné. Les délégués, dans leur ensemble, manifestèrent leur conscience de lřintérêt supérieur de la classe ouvrière devant lřennemi commun : lřoligarchie que constituent les trusts industriels et financiers. »103 De plus, le discours de Senèze est nouveau, et il sřaccompagne dřune critique du système des tendances en vigueur dans le SNI avant-guerre et aussi, pour anticiper sur notre propos, après 1948 (cf chapitre 10). Il dresse un tableau idyllique de lřétat dřesprit des militants, espérant peut-être que son volontarisme ait prise sur les évènements : « Finie, lřhistoire des tendances x ou des tendances y. Les instituteurs syndicalistes sřen moquent éperdument. (...) Finie lřépoque où les mots dřordre étaient pris au cours de telle ou telle réunion préalable. »104 Pour lui, le climat qui émane des A.G. départementales est consensuel :

« Un autre trait dominant, cřest la volonté d’union. Les mots majoritaires, minoritaires, Ŗancien ceciŗ, ou Ŗnouveau celaŗ irritent visiblement la quasi-unanimité des camarades. On estime que des hommes de toute opinion, de toute philosophie peuvent parfaitement avoir leur place dans les organismes départementaux ou nationaux sous les seules conditions de connaître les questions qui intéressent les instituteurs, dřêtre sincères, dévoués et loyaux. »105

Tout le monde nřapprécie pas ce discours. La tendance Ecole Emancipée refuse particulièrement toute dilution dans un consensus interne, conformément à sa tradition. Dès la Libération, sous lřimpulsion de Marcel Pennetier, les militants parisiens entreprennent de reconstituer la tendance au moyen de groupes départementaux et dřun organe intérieur, qui assure les liaisons. Ils critiquent la « règle sacro-sainte de lřunanimité »106. En septembre 1946, L’Ecole Emancipée, « revue pédagogique hebdomadaire » reparaît, lřéquipe des Bouches-du-Rhône assure sa publication107.

Mais la concorde est une forte réalité. Elle autorise la constitution de listes uniques pour les élections de nombreux Conseils Syndicaux en 1945. Ainsi, le secrétaire de la section du Rhône, à majorité Ecole Emancipée, explique : « Nous avons pu former une liste unique pour les candidats au Conseil Syndical, le Bureau a été élu à lřunanimité et chaque tendance y est représentée »108. Lřemploi du terme tendance est-il un lapsus ? Il indique lřexistence de deux injonctions contradictoires : refuser le jeu des tendances autrefois en vigueur, être uni, et continuer en pratique à en tenir compte, parfois en les nommant.

103 EL nº 1, 25 septembre 1945. 104 EL nº 12, 15 avril 1945. 105 EL nº 17, 13 juillet 1945.

106 Bulletin des amis de l’Ecole Emancipée, organe intérieur, nº 8, 3 décembre 1945. 107 EE, nº 1, 22 septembre 1946, revue pédagogique hebdomadaire.

108 CARRIE, L’Ecole Libérée, nº 1, octobre-novembre 1945 in DUMAS G., Le syndicalisme des instituteurs du

Dans lřesprit de la plupart des dirigeants syndicaux, lřexistence même des tendances nřest pas en cause, mais les anciennes démarcations doivent évoluer pour limiter la place des courants dans le fonctionnement syndical. Un membre du bureau de la section de la Somme, Vander Guchten, résume cet équilibre dans ses impressions sur le premier congrès du SNI : « Et si des courants dřopinion se sont manifestés ŕ on ne comprendrait dřailleurs pas quřils ne se fussent pas manifestés ŕ jamais ces courants ne se sont cristallisés en tendances comparables à celles que nous avons connues dans le passé. »109 Il en veut pour preuve le vote de nombreuses motions à lřunanimité, ce qui reflète un effort de synthèse entre les diverses positions idéologiques. Didier Sapojnik caractérise bien la situation en écrivant que vers « 1946, les courants de pensée sont encore fluctuants, mal délimités, mais on peut en indiquer les principales composantes idéologiques. »110

Ce flou explique que dans la section du Puy-de-Dôme, on procède à de savants dosages. Trois personnes, dont deux unitaires, font le compte rendu du Congrès national. En même temps, la situation évolue depuis la Libération dans le sens dřune reconnaissance de lřexistence des courants, qui restent une réalité indéniable à tous les échelons. Le secrétaire général ex-confédéré Delafoulhouze se sent obligé de justifier sa demande de clarification des appartenances de courant :

« Pour éviter toute équivoque et faciliter le vote des électeurs, il est bon que les candidats précisent quelle est leur attitude personnelle à lřégard du vote qui a été émis au Congrès sur la motion dřorientation (Indépendance du syndicalisme et structure de la CGT) sur laquelle ne sřest pas fait lřunanimité des congressistes. »111 Le fait même dřexpliquer les motivations de ce souhait prouve que la démarche est délicate. Elle ne concorde pas avec le climat de la Libération, qui laissait la possibilité à un militant de ne pas appartenir à un courant. Les unitaires critiquent cette procédure, préférant sřimmerger dans le syndicat plutôt que se distinguer à tout prix. Elle nřest pas obligatoire, et certains candidats restent sans étiquette. Or, lřun dřentre eux, Balussaud, élu par 18 voix sur 20 dans son canton, revendique peu de temps après le poste de secrétaire général adjoint au nom de la minorité. Cet épisode alimente le soupçon dřune tactique électorale de la part des unitaires, qui présenteraient délibérément des militants cachant leurs opinions112.

Lřannée écoulée voit lřétiolement de ce climat consensuel, dřautant plus quřau plan politique national, les clivages au sein de la gauche réapparaissent. Le discours dominant en 1946 associe donc la reconnaissance de leur existence au refus de leur primat, par la

109 SNI, Bulletin de la Section de la Somme, nº 7, février 1946.

110 SAPOJNIK Didier, « Novembre 1947 - mars 1948 : La Fédération de l’Éducation Nationale (FEN) choisit

l’autonomie », Paris, Le Mouvement Social, nº 92, juillet-septembre 1975 - p. 18.

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valorisation du rassemblement de toutes les énergies. Il est associé à une pratique novatrice, la participation de toutes les tendances à la conduite du syndicalisme enseignant.

b- La codirection de la FGE par toutes les tendances

Les deux minorités concernées réagissent différemment à cette ouverture. La tendance Ecole Emancipée rechigne à participer à la direction effective des affaires syndicales et privilégie la réaffirmation de ses positions. Au contraire, le courant unitaire est désormais associé à tous les niveaux à la gestion de la Fédération. Nous avons déjà signalé la répartition des places au bureau national du SNI à la Libération. Paul Delanoue exerce les fonctions de responsable des questions laïques, poste sensible. Ceci rompt avec les habitudes dřavant- guerre et nřest pas accepté sans mal du côté majoritaire. Le secrétaire départemental du Morbihan, Le Douaran, expose ses appréhensions au premier Conseil National. Il craint la division induite par cette présence au bureau de militants opposés à la majorité113. Jean- Auguste Senèze explique ce changement par lřesprit unitaire de la Résistance : « Nous eûmes, dans la Résistance, la certitude que les principales idéologies qui se manifestaient devaient être représentées dans lřorganisme directeur du S.N., que les décisions devaient sortir de la confrontation de toutes les positions doctrinales. » Il tente de rassurer les majoritaires méfiants en vantant la qualité du travail effectué : « Le bureau sortant a fait preuve, dans le travail syndical, dřune cohésion que les multiples aspects présentés par une situation instable des pouvoirs publics et du pays pouvaient rendre difficile. »114

Paul Delanoue, dans un point de vue, exprime un avis semblable, ce qui atteste de la complicité existant entre les deux chefs de file de courant :

« Nous avons réussi à reconstituer le Syndicat national plus fort quřil nřétait avant- guerre. Des camarades venus de différents courants ont travaillé cordialement. Et nous croyons que, malgré les différences de Ŗtendancesŗ quřil y a entre les uns et les autres, ils ont tous le souci dominant du développement de la fonction enseignante et de lřavenir de lřécole française. »115

Cet équilibre tant vanté nřest pas toujours obtenu dans la sérénité, et les conflits de pouvoir nřont pas disparu. En témoigne le cas de la section de la Seine, stratégique par sa position capitale et par le nombre de syndiqués. Les premières élections suivant la Libération aboutissent à une configuration inédite, du fait du système électoral : les unitaires sont

112SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 20, février-mars 1946 et nº 21, avril-mai 1946.

113 EL nº 12, 15 avril 1945. 114 EL nº 6, 10 décembre 1945. 115 EL nº 7, 25 décembre 1945.

minoritaires en voix, mais majoritaires en sièges116. La crise nřest évitée que par la mise en place dřun bureau à la proportionnelle avec toutes les tendances, et dřun secrétaire général pour chaque courant important : Geneviève Roulon pour le courant unitaire, et Edmond Breuillard pour la majorité nationale du SNI. Une nouvelle élection, organisée en décembre 1945, les départage : les ex-confédérés obtiennent 55,5 % des voix et une majorité de sièges contre 34 % aux unitaires, en recul par rapport à mars 1945. Lřexpérience de direction bicéphale est alors close au profit dřEdmond Breuillard117, ce qui montre que la codirection implique, pour durer, un pôle dominant.

Au SNES également, le courant unitaire exerce des responsabilités non négligeables. Ses dirigeants siègent au bureau en tant que représentants des catégories des agrégés (Louis Guilbert) et des AE (Marcel Bonin). Danielle Pouzache et Alain Dalançon estiment quřils « sont particulièrement écoutés, car ils détiennent des responsabilités importantes dans la grande académie de Paris »118. Le courant unitaire vient dřaccéder aux responsabilités, mais il sřestime lésé dans la répartition des rôles. Dans une réunion du bureau de la FGE, en mars 1946, René Girard, du SNET-Apprentissage, critique la faible représentation « de sa tendance » et annonce que, « des membres de la nouvelle CA poseront la question de lřélargissement de cette représentation. »119 Pour autant, Paul Delanoue devient le numéro deux de la Fédération, chargé des questions de structure et permanent, de même que le secrétaire général, Adrien Lavergne. Les critiques sont moins amènes dans la section SNI du Puy-de-Dôme, avec les réflexions de Georges Buvat : « Jřai eu le regret de voir quřen AG comme au conseil syndical ou au bureau on vise à rendre inefficaces les suggestions des nouveaux responsables pleins dřallant en leur opposant la passivité, lřinertie chronique et systématique des anciens. »120 Au plan national, des sujets comme la composition du secrétariat du SNI réveillent quelques rancœurs, exprimées cette fois par Paul Delanoue : « A la Libération, la nécessité de reconstituer un organisme puissant et uni a primé toute autre considération. Des camarades ont su sřeffacer, les angles ont été arrondis »121. Regrette-t-il de ne pas avoir poussé lřavantage au moment le plus favorable, fort du prestige de la Résistance ? La retenue des unitaires à la Libération est aussi motivée par la phase de redéfinition de la

116 Ce paradoxe s’explique par le fait que le Conseil Syndical est composé de représentants des sous-sections,

élus à la majorité des voix. Les sous-sections correspondent aux cantons et ne sont donc pas toutes peuplées d’une manière équivalente. Le système majoritaire permet donc ce genre de distorsions.

117 HIRSCH Robert, « Les instituteurs communistes dans la section de la Seine du SNI de 1945 à 1967 », pp.

241-260 in GIRAULT Jacques [sous la direction de], Des communistes en France (années 1920 – années 1960), Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, 525 p. - p. 246.

118 POUZACHE Danielle et DALANCON Alain, « Le SNES et le choix de l’autonomie », Points de repères, nº

22, octobre 1999 Ŕ p. 3.

119 EP nº 7, avril 1946.

120SNI, Section du Puy-de-Dôme, Bulletin mensuel, nº 19, décembre 1945-janvier 1946. 121 EL nº 10, 10 février 1946.

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culture syndicale de la majorité, plutôt composite. Dřailleurs, Jean-Auguste Senèze évoque le fait que « des nuances de pensée sont propres à chacun dřeux »122. Il peine à nommer ce courant : « ce que lřon pourrait appeler la tendance ex-confédérée (expression inexacte et impropre) que nous employons à défaut dřautre »123. Une des difficultés provient du fait que cette majorité ne compte pas que des militants modérés, issus de lřamicalisme, politiquement socialistes ou quelquefois radicaux. Depuis le début des années 1930, elle intègre aussi des militants plus radicaux venus dřabord du groupe qui édite La Révolution Prolétarienne, autour de Pierre Monatte, et ensuite de lřEcole Emancipée. Ces militants ont été formés au combat syndical par la Fédération Unitaire de lřEnseignement et malgré une pratique militante réformiste, restent sensibles aux thèses de lřextrême gauche. Ils occupent une place nouvelle dans le courant à la Libération, lui permettant de tenir tête aux communistes et gardent des contacts avec leurs anciens camarades.

La contrepartie de ce pluralisme est lřexistence dřun clivage interne, logique en période de doute. Les unitaires interprètent ainsi la situation prévalant dans le courant majoritaire à la Libération : « Une partie de lřancien courant réformiste, la majorité semble-t-il, cherche une orientation nouvelle dans lřunité avec le mouvement ouvrier. Une nouvelle orientation nationale, démocratique, se réclamant de lřesprit et du programme du CNR tend à se préciser, englobant le courant révolutionnaire et une grande partie des réformistes, dont Senèze, Marie- Louise Cavalier, Soulier, sont les interprètes sur des questions concrètes. »124 Les tentatives de recomposition interne vont donc loin. LřEcole Emancipée les signale publiquement et note que la direction a perdu de sa cohésion. F.D. Serret sřen inquiète :

« A vrai dire, et par delà telle ou telle personnalité du Bureau, cřest la majorité réformiste qui est toute entière entachée de faiblesse et qui va à la dérive. Son aile droite confond ses votes avec ceux des Staliniens, il nřy a plus rien dřétonnant à cela, encore que lřon sache bien où mène ce genre de collusion… Son aile gauche qui compte des militants avertis sent le danger de Ŗcolonisationŗ et il faut espérer quřelle saura trouver la voie du redressement, quřelle saura se rapprocher, le cas échéant, des Amis de lřEcole Emancipée. »125

La frange de la majorité issue de lřextrême gauche sřopposerait donc à lřentente avec les communistes. Ce schéma des minoritaires est sans doute un peu simpliste, et pâtit de lřabsence de lřavis des principaux intéressés, les ex-confédérés. Il a pourtant le mérite

122 Éditorial. EL nº 9, 25 janvier 1946. 123 Éditorial. EL nº 9, 25 janvier 1946.

124 DELANOUE Paul [sous la direction de], Le mouvement syndical des enseignants, op. cit. in ROCHE (P.),

Les Instituteurs communistes, op. cit. - Tome II - p. 92.

125 Compte-rendu du congrès de Grenoble du SNI. EE, nº 1, 22 septembre 1946, revue pédagogique

dřexpliquer la compétition que se livrent deux majoritaires dans la coulisse du congrès de 1945. Marie-Louise Cavalier et René Bonissel postulent pour le poste de secrétaire général du SNI, en remplacement de Senèze, qui part à la retraite126. Ce poste est décisif dans lřappareil syndical enseignant, plus que celui de secrétaire général de la Fédération. Gabrielle Hielle présente la candidature de Marie-Louise Cavalier, qui, selon le livre dřAigueperse et Chéramy, « indique quřelle nřacceptera que si un vote unanime se dégage sur son nom. »127 Elle recueille 14 voix, celles des unitaires et dřune partie de la majorité. Mais deux majoritaires (René Bonissel et Juliette Harzelec) sřopposent à son élection et deux sřabstiennent (Vivès, Jacquemard), en compagnie de Valière et Duthel, de lřEcole Emancipée. Marie-Louise Cavalier, victime de la division de la majorité, refuse donc le poste. Ses opposants comptent effectivement parmi les plus anticommunistes, et lřon trouve parmi eux les représentants de lřEcole Emancipée, très hostiles au PCF depuis la rupture de 1928. Cet épisode est-il une prémisse de lřalliance anti-unitaire ? Il montre que la recomposition interne au syndicalisme enseignant peut prendre le chemin de deux alliances alternatives (avec le courant unitaire ou avec lřEcole Emancipée), entre lesquelles hésite la majorité.

Marie-Louise Cavalier refuse une élection acquise à une large majorité. Son attitude peut