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Malgré lřemploi de lřexpression « syndicalisme enseignant », nous centrons notre étude sur la FEN, syndicat qui domine largement le secteur éducatif public. Sa puissance la dispense dans les années 1950 de toute concertation avec ses concurrents syndicaux. Elle varie certes selon les ordres dřenseignement, les syndicats FEN de lřenseignement secondaire se contentant de nettes majorités électorales. Néanmoins, les débats importants se déroulent en son sein. Le SGEN (CFTC puis CFDT) nřouvre une brèche dans le quasi-monopole exercé

68 PROST Antoine, Histoire de l’enseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, 1977, 524 p. - p. 452. 69 AUBERT Véronique, « Système professionnel et esprit de corps », op. cit. - pp. 79-80.

70 Le syndicat, l’école normale, la FCPE… BACOT P., « Le comportement électoral des instituteurs », Paris,

Introduction 35

par la FEN quřà partir des années 196071. Maurice Agulhon évoque cette atmosphère à propos de lřEcole Normale Supérieure dřUlm à la Libération : « Il nřy a eu longtemps quřun seul syndicat, le SNES. On parlait dřailleurs Ŗduŗ syndicat tout court. Je pense que la majorité des élèves était syndiquée »72. La position dominante de la FEN et de ses syndicats se maintient parce quřelle représente la profession, devenue institution sociale73. Ses rapports avec les autres syndicats enseignants sont instructifs.

Pourquoi ne pas se contenter de lřanalyse du SNI ? Après tout, il domine la FEN, dont il représente lřorganisation la plus puissante et la mieux structurée. En 1954, 75 % des effectifs fédéraux proviennent de ce seul syndicat74. Composante essentielle de la FEN dans cette période, le SNI apparaît même plus important et plus riche quřelle, au point de négocier une place spécifique dans toutes les instances officielles, aux côtés de sa Fédération. Etudier la Fédération sans le SNI aboutirait à ignorer lřorigine de la majorité de ses décisions, telle que lřautonomie. A lřinverse, on ne saurait arguer de cet état de fait pour réduire lřétude du syndicalisme enseignant à celle de ce syndicat, conformément à une tentation fréquente. La cohabitation avec les syndicats dřautres secteurs de lřEducation nationale crée de multiples difficultés au SNI, quřil aurait pu éviter en conservant son indépendance. Par conséquent, il faut admettre que la Fédération représentait une valeur ajoutée pour son activité. Lřhistoire de la FEN est justement celle dřune montée en puissance progressive, qui mérite analyse.

De plus, procéder de la sorte ne livrerait pas les clés de compréhension du syndicalisme des autres ordres dřenseignement. La FEN tente dřélaborer une synthèse des cultures qui cohabitent en son sein. Les différences touchent tous les domaines, du rapport aux syndiqués aux formes de structuration interne. Naturellement, une connaissance approfondie du SNI reste nécessaire pour lřétude de la FEN, et quelquefois nous nous basons uniquement sur ce syndicat. Cependant, lřétude des autres syndicats et de la Fédération en soi nous paraît indispensable, pour appréhender leur interrelation. La diversité de la FEN émane donc de deux axes : lřaxe professionnel, avec les nombreux conflits entre ses syndicats, et lřaxe idéologique, avec les luttes entre courants.

Ce pluralisme interne ne se résume pas à la majorité et au courant unitaire. Une troisième tendance sřexprime dans la FEN, la tendance syndicaliste-révolutionnaire Ecole Emancipée (EE). Cette tendance participe de lřoriginalité de la FEN : les militants dřextrême-gauche bénéficient rarement dřune position reconnue dans les syndicats. Elle mériterait une analyse

71 Les syndicats FEN recueillent 84 % des voix aux élections paritaires enseignantes de 1953, contre 10 % au

SGEN. SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Les Syndicats de fonctionnaires depuis 1948, op. cit. Ŕ p. 75.

72 Interview de Maurice AGULHON, le 5 janvier1999. Points de repères, n °23, février 2000 - p. 42.

73 L’analyse vaut pour les verriers : « la fédération CGT, c’est l’unité historique » du corps. SEGRESTIN Denis,

« Du syndicalisme de métier au syndicalisme de classe », op. cit. - p. 168.

particulière, et donc un travail en soi. Celui-ci se serait imposé dans notre thèse sřil était apparu que lřEE constitue une opposition aussi importante que le courant unitaire. Or, elle sřavère marginale, recueillant 6,6 % des mandats au congrès de la FEN de 1954, ne dirigeant aucun syndicat national de la FEN, et très peu de sections départementales. Il est donc permis de douter de la capacité de lřEE de se transformer en un syndicat alternatif crédible et de mettre en œuvre ses orientations de manière indépendante. Cette tendance dispose dřune marge de manœuvre limitée, en regard de celle du courant unitaire.

LřEcole Emancipée entretient des relations ambiguës avec la majorité réformiste. En effet, elle ne sřinvestit pas dans les directions, déléguant cette responsabilité à la majorité, tout en collaborant quelquefois avec elle (entre 1946 et 1949), voire en fusionnant, dans le cas du SNES. Elle se cantonne le plus souvent à une intervention notable dans les débats théoriques de la FEN. Elle justifie cette alternance de splendide isolement et dřalliance avec la majorité par son hostilité irrémédiable au PCF et au stalinisme. Cela entrave toute relation triangulaire avec le courant unitaire et fige les rapports de force internes. La contribution de lřEE à la définition du modèle FEN se limite à la période dřaffirmation de sa proximité avec la majorité, qui lui donne lřoccasion dřinfluencer efficacement le sort de la FEN en 1948. Les militants EE légitiment le choix de lřautonomie sur le plan idéologique et historique, ils rédigent lřessentiel de la motion Bonissel-Valière, manifeste de lřautonomie du SNI et de la FEN. Aussi la question de lřunité maintenue, de lřinteraction avec la majorité nous semble-t- elle moins pertinente que dans le cas du courant unitaire.