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A. MEMOIRE(S) DE GUERRE(S)

2. Le traumatisme

2.3. L’après-coup et l’événement traumatique

2.3.3. Les temps de l’après-coup

L’après-coup viendrait donc dans un décalage du temps pour essayer de donner signification à une expérience passée dans le temps. L’après-coup prend alors une importance capitale inscrivant l’individu dans une temporalité ; « La théorie de la séduction est une

pensée du temps. C'est une pensée, permettez-moi ce néologisme, "traductive" du temps. »98. Laplanche eu raison de généraliser la théorie de la séduction de Freud, afin de pointer les effets de l’après-coup sur l’acquisition et la conception temporelle de tout être humain formé sur une base de sexualité.

L’inconscient est sexuel mais ne connaît pas le temps, cependant c’est l’après-coup du traumatisme sexuel découlant de l’asymétrie adulte enfant qu’une élucidation temporelle d’un passé par rapport au présent et d’un présent par rapport à un passé est possible de survenir. Donc le ça ne connait pas le temps mais notons que c’est au niveau de la partie inconsciente du moi que Freud a situé les mécanismes de défense principaux (refoulement, régression, rétroaction, etc.), qui eux produisent une temporalité mais une temporalité qui n’est pas linéaire dans la mesure où ils vont bouleverser les chronologies. Nous pouvons alors affirmer comme J. Bernat que : « S’il y a une linéarité temporelle, cela ne concernerait que le système

d’archives de la mémoire, ce que Freud nommait « couches mnésiques ». Mais nous le voyons, à côté de cette mémoire passive des couches, nous devons envisager, non pas une autre mémoire, mais plutôt un mécanisme très actif qui produit une pseudo-mémoire, c’est-à- dire en fait : une histoire. »99

Revoyons de plus près la théorie de la séduction généralisée, en retenant les points qui nous apparaissent intéressents pour la meilleure compréhension de l’après-coup. Cette théorie élargie considérablement la notion d’après-coup. Pour J. Laplanche, la séduction est au principe de la naissance de la sexualité́ et de l’inconscient. C’est en raison de la « situation anthropologique fondamentale », caractérisée par une inégalité́ entre l’enfant et l’adulte, que

98

Laplanche, J., ( 1990), Problématiques VI L'après-coup — La Nachträglichkeit dans l'après-coup, 2006, p. 11

99

Bernat, J., «Psyché n’est qu’après-coup» (les temporalités psychiques), in Cahiers d’études

les soins prodigués à l’enfant sont toujours contaminés par les fantasmes et l’inconscient de l’adulte. Ces messages, infiltrés par le sexuel, qui ont un pouvoir excitant et donc de séduction, suscitent une exigence de « traduction » pour l’enfant, car celui-ci se retrouve face à̀ des excitations qu’il ne peut maitriser. Cette traduction laissera des résidus qui seront à̀ l’origine de la constitution du noyau de l’inconscient de l’enfant. La constitution de l’inconscient à partir de ce qui n’a pas pu être métabolisé du message de l’autre se fait connaitre sous la forme d’une « quintessence d’altérité » (J. Laplanche, 1999). Le traumatisme résulterait des mouvements passionnels des adultes envers l’enfant qui désavouent en même temps sa souffrance psychique. L’enfant, débordé, ne pourrait qu’observer l’évènement traumatique à défaut de pouvoir le traiter psychiquement. La sexualité́ est de ce fait implantée dans le corps de l’enfant et procède d’une origine extérieure. Ce premier trauma fait l’objet d’une tentative de traduction par des liens linguistiques et on peut penser comme K. Nassikas que « le passage du trauma au traumatisme concerne la question du traitement de traces » et par conséquent on peut se poser la question « est-ce que celles-ci (les traces) vont entrer dans

le système traductif et refoulant, du psychisme en se décomposant et se recombinant dans des multiples déplacements et mises en sens sous le primat d'Eros et du principe du plaisir ? »100.

M. Khoury (2009), parlera lui « d’avant-gout » en référence à l’avant-coup développé par C. Le Guen qui estime que la notion d'avant-coup est essentiellement due à la traduction française. Celle-ci introduit l'idée de coup constitué par l'ensemble des frappes primitives qui ont lieu pendant la période où l'infant n'a pas encore acquis la maîtrise de l'utilisation du langage et de son sens symbolique. Nous pensons notamment à la nature de la « première frappe »101, qui pourrait être à l’origine de l’avant-gout/coup. L’événement traumatique porte « un sens clivé, car un rudiment de sens est déjà advenu dans un avant-goût primitif, constitué

de perceptions et d'inscriptions psychiques contemporaines d'angoisses primitives, angoisses touchant l'intégration somato-psychique. »102 De ce fait l’histoire individuelle puise certes de ses couches mnésiques archivées selon un temps linéaire mais ne se construit qu’après-coup, ne se subjective qu’après-coup d’une manière rétrogressive et/ou progressive.

100

Nassikass, K., « Trauma et langage » in Le trauma entre création et destruction, Nassikass, K.,( sous la direction de), L’Harmattan , Paris , 2004, p.39

101

André, J., Les désordres du temps, Paris, Puf, 2010

102

Khoury, M., « L’avant-gout de l’après coup », in Association libanaise Pour le Développement de la Psychanalyse, Beyrouth, 2009

Pour conclure, même dans un contexte où la guerre civile s’est finie depuis à peu près trente ans, certaines traductions après-coup ne permettraient pas une mouvance dans le temps mais entraineraient une fixité traductive : quelque chose du trauma reste intraduisible, irreprésentable et non symbolisable. Nous verrons dans la deuxième partie de cette recherche, que ce sont ces intraduisibles qui se transmettraient à la génération d’après guerre civile sous forme d’objets énigmatiques.