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A. MEMOIRE(S) DE GUERRE(S)

1. De l’identité du Liban aux identités en guerre

1.4. La guerre ou le support identitaire

1.4.3. La guerre ou le meurtre justifié

Ce qui conduit au meurtre dans la guerre se situe dans le déchainement de la pulsion de mort – qui de par sa destructivité interne et déliaison pulsionnelle, amènerait discrètement le sujet vers sa propre mort ou bien à détruire l’extérieur.

La pulsion de mort est une tendance à la réduction absolue des tensions - principe de

Nirvana- retour vers l’état inorganique, vers la mort. Celle-ci atteste de la compulsion de

répétition dans la vie psychique qui se place dans un « au-delà du principe de plaisir »

(S.Freud, 1920) mais apparaît comme plus originaire et élémentaire que le principe de plaisir.

La pulsion de mort est donc une aspiration « au narcissisme négatif ou de mort » (A. Green, (1983)), recherchant la passivation intégrale de l’appareil psychique. Elle pousse à la déliaison, à la séparation. Elle sera également considérée par Freud (1924), dans Le problème

économique du masochisme, comme une pulsion d’emprise, volonté de puissance. La

destructivité apparaît alors comme une manifestation de la pulsion de mort. La pulsion de mort, telle qu’envisagée par A. Green (1983), connaîtrait deux modes d'exposition :

- Diachronique : la pulsion de mort est la première pulsion et elle a pour but le retour à l’inorganique, la mort.

- Synchronique : il y a simultanéité et lutte constante entre pulsions de mort et pulsions de vie. Celles-ci sont marquées par les dénominations synonymiques : pulsions d'amour/pulsions de destructions. Il s’agit principalement dans ce mode d’expression

49

Balsamo, M., « Ruines. Parcours de la destructivité », in Psychanalyse de la destructivité, Dominique Cupa ( sous la direction de)., EDK, Groupe EDP Sciences, 2006, pp. 133-150.

de processus permanents d'intrication et de désintrication : « Ce qu'il faut admettre,

c'est le couple construction-destruction, amour-haine en antagonisme et en agonisme parce que nous sommes faits de ce couple et tout ce que nous faisons n'est rien d'autre que la considération de leur intrication et de leur désintrication 50».

Selon S. De Mijolla-Mellor (2011), la guerre meurtrière serait le produit de « la pulsion de

cruauté ». Contrairement à la haine, l'agressivité ou la destruction celle-ci ne connaît pas

d'objet extérieur et l’ignore dans son altérité. « Elle attaque l'étranger qui est haïssable parce

qu'il dérange l'omnipotence narcissique des débuts de la vie. ». 51

Dans les éliminations de masse où la barbarie et la destruction prennent la couleur de l'agressivité et du sadisme, il y a « échec du fantasme qui sous-tend la cruauté, échec qui va la transformer en barbarie au sens du retour du refoulé. »52 Comme nous l’avons vu avec Freud, S. De Mijolla-Mellor reprend l’hypothèse selon laquelle la culture nait par le meurtre : « la

pulsion de tuer est aussi fondamentalement inscrite dans la nature humaine que la pulsion sexuelle elle-même. »53. Il y aurait une fascination morbide à tuer. C'est la sublimation qui dirige les pulsions vers d'autres buts.

S. De Mijolla-Mellor donne trois figures qui pourraient expliquer pourquoi ce passage à l'acte:

- Tuer pour défendre son identité - Tuer pour survivre

- Tuer par ivresse de la toute-puissance

Pour l' « actant » donner la mort, ne serait pas donner la mort à un sujet semblable mais il serait question de réduire l'autre au statut d'objet dont il serait convenable de s'en débarrasser pour - dans le cas du Liban - des motifs de vengeance ou idéologiques. La guerre justifie le meurtre. Être celui qui donne la mort pourrait protéger au sujet d'en être la victime. La guerre pousse des personnes -qui n'ont pas de pathologies au crime- à tuer. La guerre donne

50

Green, A., (1983), Narcissisme de vie, narcissisme de mort, Paris, Éditions de Minuit, 2007

51

Mijolla-Mellor De, S., La mort donnée, Essais de psychanalyse sur le meurtre et la guerre, Paris, PUF, 2011, p.40

52

Ibid, p. 42

53

naissance à des criminels. « La potentialité criminelle est souvent déclenchée par le vécu d'un

déni de justice. »54

La guerre met en avant le passage à l’acte et ce qui était de l’ordre du fantasme bascule dès lors dans l’acte, « fantasme et acte criminel s'épaulent dans une relance réciproque: la réalité

n'est jamais aussi parfaite que le fantasme, pourtant c'est bien l'expérience de l'acte qui lui donne vie et permet de le perfectionner. »55. Nous reviendrons en détail sur la question du fantasme quand nous étudierons la question de l’après coup. Puisque si la guerre transperce le fantasme pour s’agir dans la réalité et sur « le coup », dans son après, le fantasme doit pouvoir se restituer et faire l’objet d’une histoire, d’un temps linéaire, d’un passé, d’un souvenir, d’un récit, d’une mémoire.

Pour conclure sur ce chapitre, nous avons vu que le Liban est depuis tout temps un terrain d’affrontement et de guerre. Le Liban apparaît comme étant divisé sur un niveau géographique et historique. Cette scission met l’unité de l’identité libanaise en péril et génère de grandes différences concernant la question des origines. La confession paradigmatique de cette division déchaine des violences innommables sur le différent, le haïssable et l’impure. La guerre, dans ce contexte, apparaît comme l’unique moyen que l’individu libanais a trouvé pour se défendre contre un autre différent et menaçant : détruire avant d’être détruit. Les identités libanaises sont ainsi, paradoxalement maintenues à travers l’acte de guerre.