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B. LA FEMME LIBANAISE ET LA GUERRE

3. La femme libanaise : entre lois des hommes et lois de Dieu

3.2. Le féminin en religion : de l’énigme au refus

3.2.2. L’énigme du féminin et la religion monothéiste

Partant du récit de la chute de l’homme dans la genèse, les hommes condamnent la femme. Elle par qui le serpent est passé pour introduire le péché et ses conséquences dans le monde. Après avoir culpabilisé la femme, - « C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné du fruit de l'arbre, et j'ai mangé !»246-, l'homme continue à la juger sévèrement en s'appuyant sur certains passages des Ecritures dont celui-ci : « Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras tes fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi »247. Freud qualifiera cette souffrance typique d’un masochisme d’ordre féminin.

Ainsi, revenir sur la création de la femme telle qu’elle a été décrite dans la bible semble intéressant. Cela pourrait servir à introduire sa fonction séparatrice dans l’univers phallique entre l’homme et Dieu (fonction dont l’homme la rend coupable.).

L’homme est premier : « création divine ». La femme est seconde : elle ne descend pas directement de Dieu et c’est de la côte du masculin qu’elle se différencie de celui-ci en tant que femme. A travers la genèse, la naissance d’une femme nous apparaît dans un entre-deux : entre Dieu et l’homme. Voici comment est décrite la création de la femme dans la Genèse :

« Dieu dit : Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. (…)

Et l'homme donna des noms à tout le bétail, aux oiseaux du ciel et à tous les animaux des champs ; mais, pour l'homme, il ne trouva point d'aide semblable à lui. Alors Dieu fit tomber

245

Khair Badawi, M-T, « La sexualité à l’épreuve » in KHAIR-BADAWI M-T ; SOBH A ; NACOUS L.C ; CHAMOUN I.A et al., (Colloque), La femme libanaise témoin de la guerre, Ligue des états arabes, mission de Paris, Beyrouth, 1989, p. 117

246

La bible sous la traduction de Lemaître De Sacy, (Gn 3, 12), Bouquins, 2008 p9

247

un profond sommeil sur l'homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. Dieu forma une femme de la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena vers l'homme. Et l'homme dit : Voici cette fois celle qui est os de mes os et chair de ma chair ! On l'appellera femme, parce qu'elle a été prise de l'homme. »248.

Celle-ci, la femme construite, fabriquée, advenue, sera appelée femme « Ischsha » car elle fut tirée de l’homme « Ish »249. Ce n’est qu’après « la faute » commise qu’elle reçoit d’Adam un nouveau nom, Hawwâh/Eve : la mère de tout vivant. Eve est aussi la première femme à transgresser l’ordre de Dieu : elle est en ce sens responsable du péché originel et de l’exil du paradis perdu. Eve sera ainsi responsable de tous les maux de la terre car face à son péché vont être introduits comme punition : le mal, la souffrance, le travail et la honte de la nudité. Cela reviendrait à dire qu’elle fut l’introductrice de la différence des sexes et de la castration de l’être pur.

La femme apparaît comme une malédiction et vient séparer l’homme de Dieu. La femme produit donc une dysharmonie qui rompt l’harmonie phallique entre l’homme et Dieu. La femme est le principe séparateur qui va contre le Un phallique et l’ennui, en introduisant l’altérité. Le danger que suscite la sexualité féminine se retrouve dans cette figure originellement incarnée par Eve. Ce concept féminin est aussi incarné à travers bien d’autres figures dans la bible judéo-chrétienne : Lilith, Dalila, et Salomé. On retrouve cette « femme vampire » aussi dans la littérature de la Grèce antique, incarnée par Aphrodite, la Sirène, Hélène de Troie, Clytemnestre et bien d’autres. Comme le relève H. Abdelouhed, la construction de l’origine nécessite deux temps : « le premier est celui de la séparation (sortir

de l’indistinction originelle et confuse), le second est celui qui annonce le sexuel »250. La cote d’Adam qui sera appelée femme combinera « de pair avec le sexuel et la mort. ».251

L’harmonie qui vient d’être brisée est liée à l’identification totale à Dieu : « être seul

c’est être Dieu »252 . Viendrait-elle séparer l’homme en deux ? Introduire du féminin dans le masculin ? « Ainsi, la côte une fois enlevée va définir un coté homme, un coté femme »253 . 248 Ibid., (Gn 2, 18 ;24) p8 249 En Allemand: “ je” 250

Abdelouahed, H., Figures du féminin en Islam., PUF, 2012

251

Idem

252

Moscovitz, J-J., « Cote d’Adam, sexuation et désir du psychanalyste » in Psychanalyse actuelle , Mars 2007.

253

L’homme ne sera plus réduit à son sexe masculin, mais surtout ne sera plus divin. Un peu plus loin, dans la genèse, on lit : « Dieu créa l’homme à son image, homme et femme. ». Le masculin comme le féminin ne peut se réduire au réel du sexe. Le féminin dans la femme ne peut non plus se réduire à devenir, comme Eve, mère de tout vivant. Celui-ci semble s’énoncer au-delà du sexe féminin, au-delà de l’objet du désir de l’homme et au-delà du maternel. On pourrait dire que sa place se trouve « dans cet écart radical entre homme et

femme, qui n’appartient ni à l’un ni à l’autre comme tel et participe de ce point de réel qui advient à l’existence et à sa limite. »254. On retrouve à travers cette description originaire une figure énigmatique du lieu de la femme.

Selon Freud, la religion, création de l’homme, tenterait d’expliquer le monde : « Nous

arrivons ainsi à cette singulière conclusion : de tout notre patrimoine culturel, c'est justement ce qui pourrait avoir pour nous le plus d'importance, ce qui a pour tâche de nous expliquer les énigmes de l'univers et de nous réconcilier avec les souffrances de la vie, c'est justement cela qui est fondé sur les preuves les moins solides. »255. Cependant, à l’énigme de la femme, la religion (ici judéo-chrétienne) n’a répondu que par une énigme.

Tabarî, (historien du Coran, né en 839 au Tabaristan et mort en 923 à Bagdad) s’éloigne du pèché originel qui caractérise la pensée judéo-chrétienne, afin de mettre l’accent sur la jalousie envers la descendance, qui serait au soubassement de la culture islamique. En effet Adam et Eve, semblent jaloux de leur descendance respective (prophète Mohamed et Fatima). Une jalousie qui ferait de la figure de la femme une femme envieuse et d’une mère meurtrière qui « porte sur sa fille, regard envieux et hostile jusqu'au désir d'extermination » 256devient la

Mère des toutes les mères, symbole de maternité́ et de la jeunesse du genre humain.

Bien plus qu’une énigme mais une forme redoutable d’être. Nous retrouvons la figure de cette femme fatale personnifiée en Islam par Zaïnab qui sera « Fatale car elle bouleversera l’idée

du bien et du mal dans la Cité, bouleversera l’idée de la paternité, forçant le destin de la filiation en islam et provoquant le verset du hijab (le voile). »257. Cette énigme, nous la retrouvons dans la psychanalyse même. L’incompréhension de Freud et son propre effroi face au sexe féminin n’ont pas manqué de marquer ses théories sur le développement sexuel de la

254

Idem

255

Freud, S. (1927), L'avenir d'une illusion, Quadrige/PUF, 2008, p27

256

Abdelouahed, H., Figures du féminin en Islam, opcit, p.37

257

femme. Cette énigme de la sexualité féminine entraine selon Freud d’une part, le refus du

féminin commun aux deux sexes et qui est à saisir dans une logique anale ou phallique. Un

sexe féminin invisible, secret, étranger et porteur de tous les fantasmes dangereux. Il est inquiétant pour les hommes parce qu’il leur renvoie une image de sexe châtré qui leur fait craindre pour leur propre sexe, mais surtout parce que l’ouverture du corps féminin, sa quête de jouissance sexuelle et sa capacité d’admettre de grandes quantités de poussée constante libidinale sont source d’angoisse, pour l’homme comme pour la femme.