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B. LA FEMME LIBANAISE ET LA GUERRE

2. La femme et la guerre

2.1. L’identité féminine en guerre : entre sexe et pouvoir

2.1.1. Au-delà du sexe : l’identité de genre

Pendant la guerre, l’identité féminine semble s’être réduite au réel anatomique de son sexe. La guerre semble avoir alors retiré au sexe masculin ou féminin sa capacité constructive. En temps de guerre l’homme est celui qui détient le pénis et la femme est celle qui ne l’a pas. Les études sur le genre ont engagé un vaste débat autour de la différenciation des sexes et du clivage masculin-féminin. Celui-ci serait une fiction construite par le discours dominant et normatif de l'hétérosexualité. L'établissement de ce binarisme - ordre supposé/imposé et idéologie tenant lieu d'universel - exclut le fait que les sexes puissent être multiples. Ces études, nous semblent pouvoir illustrer le pouvoir et la domination de l’homme encore

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Freud, S., (1932), « La féminité », in Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1971, p. 151

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Ibid, p. 152

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d’actualité au Liban et plus féroce que jamais. L’apport de la « French Theory » (Deleuze, Derrida, Foucault, etc. …), invite à analyser non simplement la place des femmes et des hommes dans l'histoire mais à déconstruire ces catégories même d'hommes, de femmes, qui organisent un système binaire et inégalitaire.

Les premiers emplois psychologiques du terme de genre se sont développés aux Etats- Unis dans les années 1950 dans le cadre d’une recherche établie par le psychologue John Money en rapport avec des enfants intersexués ou hermaphrodites. Il a démontré qu’indépendamment de leur formule chromosomique et de leur anatomie interne, ces enfants se sentent appartenir au sexe dans lequel ils ont été élevés. C’est en 1955, que J. Money fournit une distinction entre le genre, « gender », qui est psychosocial et le sexe qui ne serait que de l’ordre biologique. La distinction sexe-genre sera reprise par le psychanalyste américain Robert Stoller afin de mieux comprendre et travailler avec les patients transsexuels. Il ne semblerait y avoir de sexe avant le genre. C'est le genre qui organise le sexe. Le sexuel serait antérieur à la différence des sexes, voire à la différence du genre. Pour J. Laplanche (2003), qui introduit la catégorie du genre en psychanalyse, le genre précède le sexe, mais c'est le « sexe » qui organise les genres et non le contraire. Il réintroduit, avec cette catégorie, qui reste « souvent absente ou impensée par Freud »210, celle du « message énigmatique » propre à la théorie de la séduction généralisée. Selon L. Lauffer (2014), l’introduction des études sur le genre en psychanalyse n'est pas que théorique mais aussi institutionnelle. «

Revenir à ce qui a fait le tranchant subversif de l'invention de la psychanalyse comme méthode et pratique »211. C'est par la sociologie, l'anthropologie et l'histoire que la notion de genre intègre le champ épistémologique. Scott, historienne, interroge les catégories de la différence liées à la différence des sexes. Dans sa réflexion, l'identité « femme » n'est pas considérée comme point de départ de la réflexion mais exclusivement comme lieu de

controverse. Scott (2012), définit le genre comme : « Un mode fondamental de signifier les rapports de pouvoir (...). Une catégorie utile, un élément constitutif des relations sociales fondées sur les différences perçues entre les sexes »212.

210

Laplanche J., Sexual . La sexualité élargie au sens freudien, Paris, PUF, 2003, p. 162

211

Laufer L., « La psychanalyse est-elle un féminisme manqué ? », in Nouvelle revue de psychosociologie, n° 17, 2014, p. 17-29

212

« La peau et la chair nous exposent autant au regard de l'autre qu'au contact et à la

violence. »213

J. Butler (1990 ; 2004) critique la fonction constitutive de la différence sexuelle. Selon elle, la sexuation est incontestablement polarisée par la division entre masculin et féminin, mais celle-ci se fait d’une façon beaucoup moins tranchée que ce dont une société a besoin pour se construire. La différence sexuelle aurait pour objectif la dénaturalisation du désir et de la sexualité. Selon Butler l’enfant ne se forme ni agit naturellement, car depuis sa naissance , il se développe dans un milieu de normes et d’incidences qui favorisent sa socialisation, et lui passent les codes de la vie sociale, l’enseignent à manipuler son corps et, plus loin de son sexe biologique , à le munir d’un genre.

Pour Butler, le genre est également le résultat d'une performance. Elle met en évidence les diverses manières par lesquelles les sujets représentent une masculinité ou une féminité : à travers des postures, des gestes et des styles vestimentaires, etc.… Elle examine de plus les institutions et les espaces qui entretiennent ce processus de sexuation, comme la médecine, l'école, l'espace public, etc.…

Le masculin et le féminin ne représentent pas le rôle puisqu’ils renvoient à une notion relationnelle. Donc comment les masculinités, les féminités se définissent-ils les uns par rapport aux autres ? Pour répondre à cette question Butler, met l’accent sur la construction culturelle de toute sexualité dans les rapports de pouvoirs existants. Selon l’auteur, la culture a la capacité de barricader le genre encore plus que la biologie. Son étude porte à la fois sur une œuvre de re-conceptualisation du corps, et du genre, et sur la mise en lumière du travail des normes qui délimitent ce qu'est une vie humaine vivable. Selon elle, « l’expression « identité

sexuelle » n'a pas de sens », puisque de par son sens philosophique elle ne semble prêter qu’à

confusion.

Selon J. Butler, genre, sexualité, désirs sont des constructions contingentes. Il ne serait pas possible d'expliquer le rapport entre des « universalités concurrentes », mais plutôt de penser leur concomitance, leur jonction. Butler va jusqu’à se demander si la seule manière de penser les sexes est à travers la question de la différence. Pouvons-nous imaginer et inventer d'autres modalités de sexuation ?

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Il serait de plus vain de dissocier les répétitions de rôle auxquelles chacun s’attribue la tâche selon le masculin ou le féminin, des représentations de genre véhiculées par le langage. Ainsi la désignation, la nomination et la reconnaissance sont d’un intérêt capital. Le genre est un système qui entraine de la différence (valeurs, attributs féminins, masculins) et, en même temps, de la hiérarchie. La diversité biologique est alors indéniable dans la compréhension du genre. Tout dépend de ce que la culture fait de cette diversité : comment elle la saisit, comment elle l’interprète ? C’est souvent en lui donnant un caractère binaire et en la réduisant à deux opposés complémentaires.

La notion de genre concèderait alors à une approche critique sur les constructions de toutes catégories. Butler n’hésite pas à imaginer un autre ordre qui dérange la structure et qui la rend trouble. La promiscuité complexe entre le genre et la sexualité est créatrice de trouble. Selon elle, le sexe lui-même est aussi une fabrique.

Le genre interroge la subjectivité d'une époque : les genres sont mouvants et changeants dans le temps et l’espace. Le genre n'est donc pas uniquement le sexe social mais une catégorie discursive façonnant le corps sexué. C'est le processus du discursif qui intéresse le genre. Il est avant tout un concept, un outil conceptuel utilisé par des chercheurs travaillant sur les rapports entre homme et femme. Il s'agit d'études, d'un vaste champ interdisciplinaire et non d'une théorie.