• Aucun résultat trouvé

B. LA FEMME LIBANAISE ET LA GUERRE

1. La femme et la culture

1.2. La femme dans la culture : entre Eros

« La femme est l'image et le symbole de la terre. »188

En 1908, Freud dévoile la femme comme la porteuse des intérêts sexuels de l’humanité. Elle apparaît comme celle qui régule la libido de l’homme. Freud dit ainsi que : «

pour la morale sexuelle culturelle nous dominant seraient caractéristiques le transfert des exigences féminines à la vie sexuée de l’homme et la prohibition de tout commerce sexuel, à l’exception de celui qui est conjugal et monogame »189. La femme est donc considérée comme celle qui fait tenir les exigences de la culture. Freud, lui relève deux fonctions :

- Celle de veiller sur la reproduction - Celle de mettre en valeur la vertu

Dans la première fonction, Freud se penche sur le destin maternel de la femme. La culture semblerait alors avoir le pouvoir de façonner la femme en mère (nous reviendrons sur ce point dans la deuxième partie de cette recherche, chapitre C- 1. « Existe-t-il UNE mère des temps de guerre ? »)

187

Roussillon, R., Postface de : Schaeffer, J. Le refus du féminin. Paris, éd PUF, 2013

188

Khalifa, S., (1990), L’impasse de Bab Essaha, Alger, Elyzad poche, 2015

189

Freud, S., (1908), « La morale sexuelle « culturelle » et la nervosité moderne », Œuvres complètes, Vol VIII, 1906-1908. Paris, éd PUF, 2007, p. 197.

Ce collage entre le destin maternel de la femme et de la femme pose le problème de la sublimation féminine. En effet, Freud suppose que la femme, une fois mère, est incapable de sublimer, étant donné que son enfant lui apporte une entière satisfaction. Cependant, Freud généralise cette logique sur toutes les femmes, mères ou pas encore : celles-ci sont, selon lui incapables à la sublimation. Freud suppose alors deux destins à la femme : soit avoir un enfant, soit sombrer dans la névrose : « L’expérience montre aussi que les femmes auxquelles,

en tant que véritables porteuses des intérêts sexuels de l’être humain, n’a été donné en partage que dans une faible mesure le don de sublimer la pulsion et auxquelles, certes suffit le nourrisson comme substitut de l’objet sexuel, mais non l’enfant qui avance en âge, que les femmes, dis-je, contractent sous le coup des déceptions du mariage des névroses graves et affligent durablement leur vie. »190

Dans la deuxième fonction de la femme dans la culture, (celle de la vertu), Freud sous-entend que le désir de l’homme ne se civilise qu’à travers sa rencontre avec la femme. Dans cette optique, la femme serait celle qui contiendrait le caractère primitif, bestial, des pulsions de l’homme. P-L. Assoun dira à ce propos : « Si l’homme n’avait pas de rapports à la femme, il

vivrait en foule ; c’est parce qu’il aime la femme qu’il a vocation à la kultur ! En ce sens, elle serait le facteur d’universalité. »191

Dans son texte Le malaise dans la culture (1929), Freud retrace le chemin de la formation de la famille jusqu’à son époque. Selon lui, lorsque l’homme primitif se rendit compte que la femme pouvait non lui servir en tant qu’outil de travail mais aussi comme partenaire sexuelle pouvant assouvir sa satisfaction génitale il décida de la maintenir auprès de lui. Les femmes, dans l’intérêt d’être auprès de leurs enfants, restent près de l’homme (si possible le mâle dominant). Freud va alors mettre l’accent sur la nécessité de travailler et sur la puissance de l’amour comme les fondateurs princeps de la culture et de la vie sociale de l’homme. Cependant, ce processus de la culture se construit différemment selon qu’il s’agisse de l’homme ou de la femme puisque « pour ce qui est de l’homme, de l’objet sexuel trouvé en la

femme, pour ce qui est de la femme, de la portion détachée d’elle qui est l’enfant. Eros et Anankè sont ainsi devenus les parents de la culture humaine. »192

190

Ibid., p. 210.

191

Assoun P.-L., Freud et la femme, Paris, Payot et Rivages, 2003, p. 275.

192

Bien que, Freud semble exclure la femme de la sublimation, il n’en demeure pas moins qu’il la place du côté de l’Eros. Selon lui, elle est dotée d’un rôle pacificateur des pulsions de l’homme et elle lui permettrait de « converger dans l’Eros »193. Telle une muse, qui rendrait l’homme plus apte à la sublimation.

Cependant, même si la femme apparaît comme la salvatrice de l’humanité en garantissant la reproduction, et comme une figure de l’Eros en « domptant » les pulsions de l’homme, celle- ci se voit lésée par le mariage qui est paradoxalement le lieu qui lui permettrait d’assurer ses fonctions. Le mariage est selon Freud, le théâtre des déceptions les plus ardentes. L’insatisfaction de la femme à travers le mariage serait si grande que la névrose serait la seule issue à la femme. En ce sens, Freud incrimine la culture et l’éducation rigide enseignée à la femme sur le mariage puisque c’est l’interdiction au savoir imposé par la culture qui laisserait la femme dans l’ignorance. « On peut constater facilement que la thèse selon laquelle la vie

sexuelle est prototypique d’autres modes de fonctionnement s’applique spécialement à tout le sexe féminin. L’éducation refuse aux femmes de s’occuper intellectuellement des problèmes sexuels, alors qu’elles apportent pourtant avec elles le plus grand désir de savoir, elle les effraie en condamnant un tel désir de savoir comme non féminin et comme étant le signe d’une prédisposition au péché. Voilà que cette frayeur les détourne de la pensée en général, que le savoir est pour elles dévalorisé. »194 Il apparaît clairement entre ces lignes, que les capacités intellectuelles de la femme sont ravalées par l’éducation et par ce que la culture attend des femmes, à savoir « être mère ». Cette ignorance génèrera la frigidité de la femme et la déception de son mari. Ce serait pour cette raison, selon Freud, que le mariage se noie et les troubles névrotiques émergent. L’éducation et la culture imposent alors une répression des pulsions sexuelles de la femme jusqu’au mariage. Cependant, même ultérieurement au mariage, d’autres contraintes persistent quant à la contraception et au but des relations sexuelles ayant pour fin la procréation. Ainsi la pulsion libérée, quant à elle, se montre « endommagée » : pour la femme il semblerait impossible de jouir pleinement de sa sexualité. Ceci renverrait à la condition humaine en soi qui impose la castration.

193

Ibid., p. 276.

194

1.2.1. … et Thanatos

Freud pense le rôle de la femme dans son rapport aux enjeux culturels. Selon lui, la femme serait contradictoire et s’opposerait aux attentes de la culture. Freud dit alors « Les

femmes représentent les intérêts de la famille et de la vie sexuelle ; le travail culturel est devenu toujours davantage l’affaire des hommes, il leur assigne des tâches toujours plus difficiles, les obligeant à des sublimations pulsionnelles, auxquelles les femmes sont peu aptes. (…) C’est ainsi que la femme se voit poussée à l’arrière-plan par les revendications de la culture et qu’elle entre avec celle-ci dans un rapport d’hostilité. »195. La femme est alors absolument opposée à l’homme et elle apparait une contrainte à la société.

Dans L’inquiétante étrangeté, Freud (1919) dira que l’inquiétant du sexe de la femme est étroitement lié au complexe de castration et révoque l’angoisse. Cependant, ne pouvons-nous pas penser que ce sexe ne rappellerait pas uniquement la castration mais aussi la mort, le retour au « pays natal », à l’utérus et au ventre de la mère ? « L’inquiétant est donc dans ce

cas aussi le chez-soi d’autrefois, l'anciennement familier »196.

Freud en 1926, dans La question de l’analyse profane, dira que ce n’est que le temps – ou la fin- qui pourrait sauver la femme : « chez la femme, d’abord la menstruation, ensuite le

mariage, plus tard la ménopause. Finalement, le vrai secours c’est la mort »197. Cette conception fataliste renvoie à une conception malheureuse et dramatique du destin de la femme.

1.2.2. La femme et la horde primitive : L’impensable du meurtre au féminin

Tuer le père n’est pas l’affaire de la femme. En revanche, elle en apparaît tout d’abord l’enjeu. Si les frères se révoltent et tuent le père c’est afin de pouvoir jouir à leur tour de la femme et d’être à l’image du totem (le père mort). En reprenant le mythe du père de la horde primitive dans Totem et tabou et au-delà de la loi structurante qu’il symbolise à travers l’interdit du meurtre et de l’inceste, Freud (1921) nous amène à repenser le statut de la femme

195

Ibid., p. 290.

196

Freud, S., (1919), « L’inquiétante étrangeté », in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Saint- Amand, Folio essais, 2008

197

dans le mythe. Celle-ci, change de position : elle passe du statut d’enjeu du combat à la figure de la séductrice et même à celle de l’initiatrice du combat père-fils. Ainsi, loin du mythe de l’innocence féminine et plus qu’un enjeu au meurtre du père, celle-ci recèlerait un désir de se débarrasser du père tout puissant. P-L Assoun dira « seulement cette exclusion du meurtre et

de l’état de droit fonderait aussi bien son innocence : il se pourrait que la psychanalyse, dans ses relations à la féminité, s’emploie à solder les effets ambigus de cette innocence, sur la scène du désir comme celle de la kultur, c’est-à-dire ce que vaut une innocence de l’omission de l’acte dans lequel s’est opéré le départage primitif de l’interdit et de la culpabilité »198. Ainsi, la femme, objet sexuel du père, - sans passer à l’acte mais en passant par l’autre masculin- et à travers la séduction et la tentation, aurait entrainé les fils à commettre le meurtre du père. Le mythe de la horde primitive renverra alors l’homme à la culpabilité, et la femme au statut d’épouse et de mère.