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A. MEMOIRE(S) DE GUERRE(S)

1. De l’identité du Liban aux identités en guerre

1.3. Les identités libanaises

1.3.1. Le paradoxe de l’identité : s’identifier et se différencier

1.3.1.3. L’identité à l’épreuve de la culture

« L’unique amour possible, du reste, est celui qui survient de la ségrégation, de l’unification d’un groupe via l’exclusion de l’autre, contraint à rester en dehors de l’identité ainsi définie et à en recevoir les pires insultes. »29

Le processus de la culture, la construction du lien social et l’inscription dans la culture ne sont possibles que lorsque le sujet peut assumer la tension permanente et inévitable entre ce qui est de l’ordre de son irréductible individualité et ce qui ressort de la culture, du collectif, du social, avec ses normes, ses contraintes, ses exigences, avec l’ordre symbolique qui intègre le manque, les règles, les limites, la temporalité et les différences.

Freud, aborde le phénomène de la culture dans son rapport à l’amour. Le problème lié à la culture est très bien reformulé par M. Balsamo (2006), « comment aimer celui qui diffère

28

Ibid, p. 46

29

Balsamo, M., « Ruines. Parcours de la destructivité », in Psychanalyse de la destructivité, Dominique Cupa ( sous la direction de)., EDK, Groupe EDP Sciences, 2006, pp. 133-150.

tant de moi ? Mais surtout, comment respecter possiblement ce précepte lorsque l’on a affaire à la cruauté de l’être humain, à sa détermination à abuser de moi, à me maltraiter et à me tuer ? »30 . La question de la menace de l’autre sur soi apparaît comme étant à l’origine du

processus culturel. Pourtant la culture suuppose une reconnaissance qui elle-même suppose

le regard de l’autre or « Comment acceuillir l’Autre, l’étranger, sans abandonner “l’être qu’on était”? Comment donc accueillir l’Autre sans nous perdre nous-même? »31

Dans Le malaise dans la culture, Freud (1929), dira que « sont culturelles toutes les

activités et valeurs qui sont profitables à l'homme en mettant la nature à son service ou en le protégeant des autres hommes »32 L'amour est à la base de la culture parce que la vie en

commun est fondée sur l'amour – comme nous l’avons développé dans le chapitre au dessu, Freud distingue deux formes d’amour qui fondent la culture : l'amour originel – homme- femme – et l'amour inhibé quant aux buts – frères-soeurs-amis. Cependant, l’amour n’est pas si simple à se forger dans une culture et il semble dans un premier temps s'opposer à la culture. En effet, l'amour s'oppose aux intérêts de la culture puisqu’il écarte l'homme de la

chose publique et que celui-ci ( l’amour) est restrint par les interdits que pose la culture.

Selon Freud, la culture se développe en deux phases :

- Par le totémisme, qui suppose l'interdit du choix d'un objet incestueux : « le choix

d'objet est réduit au sexe opposé, la plupart des satisfactions extra-génitales sont interdites comme perversions » ( Freud, 1929)

- Par le tabou, la loi et la coutume. La culture lie de manière libidinale les membres de la communauté les uns aux autres. En effet, l'autre « est si semblable à moi que je peux

m'aimer moi-même en lui ».

Néanmoins, Freud, suggère qu’il n’y a aucun intérêt à aimer l'étranger. Il est absurde et impossible d'aimer l'autre comme soi-même. La tendance humaine à l’agréssion de l’autre semble innhérente à la nature humaine , ainsi « L'existence de ce penchant à l'agression

(...) est le facteur qui perturbe notre rapport au prochain et oblige la culture à la dépense qui est la sienne ». ( Freud, 1929).

30

Idem

31

Affaya, M.N.E., « L’interculturel ou le piège de l’identité », opcit.

32

C’est alors que Freud met l’accent sur les forces antagoniques qui habitent l'homme et qui s'affrontent dans un combat sans fin : Eros – la pulsion dont la tendance est de rassembler les êtres vivants en unités grandissantes, en liant les individus par leur libido – et Thanatos – la pulsion d'agression et de mort, qui tend à détruire l'Eros. Cette conception de Thanatos à travers la culture nous aidera à comprendre dans le chapitre plus bas, la question de la pulsion de mort, de destruction, de déliaison et de cruauté à l’œuvre dans la guerre.

Dans cette visée, l’accent est mis sur l'impact des processus culturels sur l'appareil psychique individuel. Le surmoi de la culture qui condamne les vœux interdits inconscients (incestueux ou parricides), a donc un rôle de taille sur le fonctionnement psychique individuel. Le surmoi de la culture donne naissance au sentiment de culpabilité que selon Freud le point/frein le plus important au développement de la culture. « Le

sentiment de culpabilité n'est au fond rien d'autre qu'une variété topique de l'angoisse » (

Freud, 1929) et le rôle de la religion serait – entre autres- de donner l’illusion de pouvoir délivrer l'humanité de ce sentiment de culpabilité. Ce sentiment de culpabilité se manifeste en besoin d'auto-punition. L'intrication de la pulsion de mort et de la fonction sexuelle donne naissance au masochisme, qui devient l'expression centrale de la pulsion de mort. L'agression n'est que la partie projetée à l'extérieur, avec le second dualisme pulsionnel, la pulsion de mort semble avoir trouvé sa place au cœur du moi et elle ne peut plus être directement combattue.

Selon Freud, la communauté témoigne d’un surmoi de la culture qui est doté de ses propres exigences et qui s’expriment sous la forme de l'éthique, afin d'écarter au mieux le penchant naturel de l’homme à l'agression. Celle-ci ne peut s’établir suivant le commandement religieux judéo-chrétien « aime ton prochain comme toi-même » puisqu’«

une inflation aussi grandiose de l'amour peut seulement en abaisser la valeur » ( Freud,

1929). L'éthique, trouvant son support par la religion, revendique ses promesses d'un au- delà meilleur que la culture qui à elle seule ne pourrait pas offrir.

1.3.2. L’identité nationale libanaise : entre confusion et