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B. LA FEMME LIBANAISE ET LA GUERRE

3. La femme libanaise : entre lois des hommes et lois de Dieu

3.2. Le féminin en religion : de l’énigme au refus

3.2.4. La fétichisation de l’hymen

En évoquant, les tribus sauvages dans son texte Le tabou de la virginité, Freud (1918) peint le comportement sexuel de certaines d’entre elles. Freud met l’accent sur le fait que les relations qui engagent les femmes sont prohibées dans nombreux événements, tels que par exemple pendant les guerres. Ce tabou vis à vis de la femme évoquerait selon Freud une crainte à l’égard de celle-ci : « Peut-être ce qui fonde cette crainte c’est le fait que la femme

est autre que l’homme, qu’elle apparaît incompréhensible, pleine de secret, étrangère et pour cela ennemie. L’homme redoute d’être affaibli par la femme, d’être contaminé par sa féminité et de se montrer alors incapable. »266 . Freud poursuit et n’hésite pas à situer la femme elle- même en tant que tabou : « on pourrait dire que la femme dans son entier est tabou. La femme

n’est pas seulement tabou dans les situations particulières qui découlent de sa vie sexuelle : menstruation, grossesse, délivrance et couches (...) »267.

265

Schaeffer J., « Peur et conquête du féminin à l’adolescence dans les deux sexes, Adolescence », opcit, p.265.

266

Freud, S., (1918), « Le tabou de la virginité », in, La vie sexuelle, Paris, PUF, 1999, p. 71.

267

La situation des femmes dans le monde arabe, bien qu'elle revête différentes formes et façons de faire, tend vers le monde des interdits et des tabous. D’ailleurs dans la langue arabe, la femme (Hourma, Harims au pluriel) a la même racine étymologique que tabou (Haram). Une langue, d’une « richesse sémantique extraordinaire », mais qui place la femme comme tabou et au destin malheureux. « Le mot vierge ‘adhrâ’ », à titre d’exemple, ne désigne que la jeune

fille. Il ne se dit jamais au masculin, comme si l’homme était soustrait à tout devenir, à toute évolution et à toute historisation. On naît homme, on ne le devient pas. (…). La femme reste un corps, possédé quand l’homme le désire ou pris dans les fonctions domestiques d’ici-bas. Qu’en est-il de sa jouissance à elle ? Comment sera-t-elle récompensée ? Un voile sur sa sexualité de femme. Son destin se trouve ainsi scellé : obéissance ici-bas et chasteté dans l’au-delà. Ainsi en va-t-il des femmes. »268.

Le féminin menace la religion et c’est donc sans surprise qu’elle gardera sous contrôle ce « trou » qui lui fait tant peur. Au Liban, comme dans la plupart des pays arabes, la sexualité des femmes est sous constant examen social et parental : les femmes doivent être vierges au mariage. L’honneur de la famille repose sur le vagin de la fille. « Les hommes, mais aussi les

mères, chacun selon la place qu’il occupe dans le système patriarcal, veillent sur l’hymen de la fille. »269 L'honneur est une notion qui ne concerne que les hommes et une « femme propre » est celle qui garde l'honneur de sa famille à travers sa pureté : sa virginité. De ce fait, « la virginité renvoie à l’honneur de la famille et constitue l’une des modalités

importantes de la transmission mère- fille ».270 Donc, « la place qui garde l’honneur de la

famille existe chez les femmes c’est le vagin, et ce n’est pas le phallus, pour cela il faut faire attention de notre honneur, c’est-à-dire notre femme »

Depuis le plus jeune âge, cette surveillance s’opère et peut prendre des formes d’emprise dans la relation primaire dans laquelle le « corps de la fille devient une sorte

d’objet partiel en vue de la satisfaction de pulsions sadique-anales. »271 Nous verrons dans la suite de cette recherche que la transmission de l’interdiction de s’unir au différent dans la relation mère-fille se manifestera de la même façon sur la descendance féminine. Dans un

268

Abdelouahed, H., « Ce voile qui cache la forêt », opcit

269

Bouatta, C., « Violence maternelle et emprise », Dialogue, vol. 198, no. 4, 2012, pp. 135-144.

270

Merini, A- F., « Le nom et le féminin », La clinique lacanienne, 2005/1 no 8, pp. 141-152

271

contexte d’après-guerre, l’honneur serait maintenu par l’union au semblable autant que par l’état de l’hymen de la femme.

Nous pouvons donc inscrire « les comportements maternels dans des cadres culturels et

sociaux renvoyant à une société patriarcale qui met sous surveillance l’individu et particulièrement la femme, pendant que, d’autre part, une lecture centrée sur la dimension psychique révèle que la relation mère-fille272. »

Au Liban, la division entre une femme vierge et une femme non vierge est présente jusque dans la langue. La femme : « Al-mar’a » est la femme qui n’est plus vierge alors que la fille « Al-benet » est la femme vierge. Etre « mar’a » non mariée est un tabou. Ce clivage laisse la femme d’après-guerre en souffrance. Une femme absente au désir et à elle-même. Une femme qui ne se définit que par son appartenance à sa famille/religion et par son appartenance à son mari futur. Un mari qui ne sera que le reflet d’une alliance contre l’ennemi, l’autre et le différent. Un homme pour qui « Al-benet » se donnera pour être mère. Notons que La femme reléguée dans son rôle de mère et d’épouse n’a pratiquement pas eu de rôle culturel, artistique ou littéraire avant le vingtième siècle. Les quelques rares documents signés par des femmes, l’étaient toujours par l’expression « Oum » ou mère de leur fils ainé. Au Liban, la femme ne se définit qu’en référence au monde masculin : soit « benet » fille du père, « mar2a » femme du mari ou « Oum » mère du fils ainé. Jamais femme de son corps, n’appartenant qu’à elle- même. Il faut souligner que même aux yeux de la loi libanaise confessionnelle, le statut de la femme –à elle seule- est annulé, puisque celle-ci ne peut rien transmette : ni sa confession, ni son nom, ni son héritage.

Pour conclure, pouvons-nous penser que si la religion est aussi prégnante dans les pays arabes, ce n’est pas uniquement dans le but de « protéger, d’apaiser et de consoler » (Freud, 1927) l’homme face aux questionnements sur l’origine et sur la mort, mais aussi, se protéger/ se défendre/ rejeter le féminin?

La religion ne nous apparaît pas alors dans ce contexte d’après-guerre comme la raison de la domination masculine mais plutôt comme le moyen collectif de légitimer le patriarcat, de véhiculer la haine meurtrière de la guerre et de maintenir la femme sous contrôle. Nous pouvons ainsi entendre la liberté, sous un angle social, la liberté toujours entendue comme une tendance, peut être considérée comme la possibilité d’expérimenter cette « forme de

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légèreté et de grâce dans le simple fait d'exister, au-delà des occupations, au-delà des sentiments forts, au-delà des engagements, (…) De ce petit plus qui nous est donné à tous : le sel de la vie »273.