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A. MEMOIRE(S) DE GUERRE(S)

2. Le traumatisme

2.1. Le traumatisme psychique

2.1.1. Evolution du traumatisme dans l’œuvre de Freud

Freud aborde le traumatisme d’un point de vue intrapsychique et lui confère un aspect «énergétique». Il développe les hypothèses de Janet (1889) sur l’automatisme psychologique

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Bokanowski. T, « Traumatisme, traumatique, trauma », in Revue Française de Psychanalyse, n°60, 2002, p. 745-757.

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qui concernent : le choc émotionnel, l’effraction dans le psychisme, le « corps étranger » interne source d’excitation et le phénomène de dissociation de la conscience. Suite à ces développements il théorisera la notion de « réminiscence » afin de rendre compte de la souvenance brute de l’évènement. La dimension économique du trauma explique davantage ces hypothèses.

Ainsi, afin de mieux comprendre le concept de traumatisme chez Freud, il nous faut retracer

brièvement le cheminement de ce concept dans l’œuvre de Freud. Celui-ci évolue en parallèle

aux nouvelles avancées théoriques de Freud.

Nous pouvons dégager quatre moments clés qui traitent le traumatisme selon différents angles. Bien que Freud tende à annuler ces différentes conceptions, celles-ci sembleraient coexister sur différentes lignes parallèles ou strates concomitantes.

- Le premier moment : la séduction : 1895 à 1897

Depuis le début des travaux de Freud avec Charcot et avec les Etudes sur l’hystérie, en 1895, le traumatisme acquiert une essence sexuelle et, de ce fait, serait intimement lié à la théorie de

la séduction sexuelle qui est à la source de l’organisation de la névrose. Ce modèle s’établit

en deux temps : le moment du traumatisme et celui de l’après coup : c’est seulement comme souvenir que la première scène devient après coup pathogène, dans la mesure où elle provoque un afflux d’excitation interne. Laplanche, généralisera cette conception, que nous développerons plus tard, une conception qui met en avant la théorie de l’après coup et du temps.

- Le second moment : Le fantasme : 1897 et de 1905 à 1920

En 1897, Freud « ne croit plus à (sa) Neurotica » et développe le complexe d’Œdipe. La séduction réelle par l’adulte sur l’enfant n’est plus à l’origine du traumatisme. C’est une origine endogène qui prend le dessus, c’est le fantasme qui désormais donne lieu au traumatisme et préside à l’organisation de la névrose. R. Roussillon appelle ce premier moment le « traumatisme secondaire »63, dans lequel « la situation subjective a été vécue,

représentée puis "secondairement" refoulée. ». C’est le refoulement qui est le mécanisme clef

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de ce traumatisme où le moi refoule des pulsions déplaisantes afin de maintenir une satisfaction inconsciente ; nous pouvons parler à ce moment de réalisation hallucinatoire. Le refoulé, toujours actif dans l’inconscient, menace de faire retour et le moi doit trouver des compromis face au conflit actuel qui l’oppose à ce retour. Il y a à ce moment une mise en place de défenses névrotiques qui se constituent comme une satisfaction substitutive. Nous verrons ultérieurement que lors d’un trauma précoce ou bien d’un traumatisme qui met l’individu face au réel de la mort, on ne parle plus alors de refoulement – sauf s’il y a refoulement de l’événement traumatique et de l’affect ensemble - car il n’y’a pas de représentations possibles, on observe plutôt une mise en place du clivage et du déni.

De 1905 à 1920, en théorisant le développement sexuel infantile et la théorie de la libido, à partir des Trois essais sur la théorie de la sexualité ; les situations traumatiques sont dès lors liées aux fantasmes originaires, aux angoisses afférentes et à leur fixation sur divers stades libidinaux. Tous les traumatismes sont envisagés par référence aux fantasmes inconscients et à la réalité psychique interne.

- Le troisième moment : L’angoisse ; À partir de 1920 :

Conçue économiquement, le traumatisme représente dès lors une effraction du pare- excitation. L’Hilflosigkeit – la détresse du nourrisson – devient le paradigme de l’angoisse par débordement. C’est lorsque le signal d’angoisse ne permet plus au moi de se protéger de l’effraction quantitative.

En 1926, dans Inhibition, symptôme et angoisse Freud met l’accent sur le lien entre le traumatisme et la perte d’objet suite au développement d’une nouvelle théorie de l’angoisse.

C’est en rapport avec ce moment que S. Ferenczi (1931), développera sa théorie du « trauma », toujours actuelle dans la clinique d’aujourd’hui. Selon lui, le trauma est le résultat d’une absence de réponse adéquate de l’objet face à une situation de détresse. Il parle d’un viol de l’affect et de la pensée qui se produit par disqualification de l’affect et par le déni de sa reconnaissance, « c’est cela surtout qui rend le traumatisme pathogène ». Entendons par cette phrase que le trauma peut ne pas être pathogène, ce sont les facteurs environnementaux qui en définissent le sort. Sort qui peut être de l’ordre du clivage somato-psychique ou de clivage narcissique comme conséquence au traumatisme précoce.

Dans L’homme Moïse et le monothéisme en 1924, que Freud souligne que les expériences

traumatiques originairement constitutives de l’organisation et du fonctionnement psychique peuvent entraîner des atteintes précoces du Moi et créer des blessures d’ordre narcissique. Cherchant le noyau du danger, Freud le trouve dans un accroissement, au-delà du tolérable, de la tension résultant d’un afflux d’excitations internes qui exigent d’être liquidées. C’est là ce qui rend compte finalement, selon Freud, du « traumatisme de la naissance ». Par ailleurs, Freud distingue deux effets, positifs et négatifs du traumatisme qu’il relierait à la pulsion de mort. Ferenczi (1934) parle d’une expérience douloureuse négativante qui entraine un clivage auto-narcissique. Ce clivage entraine une expulsion d’une partie du Moi qui devient omnisciente et désaffectée. Il y a intériorisation d’un objet primaire défaillant qui entrave le processus de liaison pulsionnelle et conduit à une défaillance lors de la constitution du narcissisme entrainant des carences représentatives, mutilantes à jamais le Moi.

La pulsion de mort, dans un cas de figure moins archaïque, est étudiée dans les phénomènes de répétitions en l’occurrence dans les traumas de guerre. La répétition entrave le processus de remémoration, spécifique au travail associatif du patient et la compulsion de répétition fait obstacle au déploiement de la libido. Avec l’introduction de la pulsion de mort, Freud introduit la tendance destructive de l’appareil psychique, qui s’oppose à la pulsion érotique.