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B. LA FEMME LIBANAISE ET LA GUERRE

3. La femme libanaise : entre lois des hommes et lois de Dieu

3.1. Du discours légal : la domination comme opérateur psychique

«Être femme au Liban, c’est aussi et surtout être interdite de Parole, et ceci se manifeste dans tous les domaines (…) Comme si, dans la vie publique comme dans la vie privée, la femme était interdite d’exister et s’interdisait elle-même de l’être, dans la mesure où elle se perçoit et se vit souvent comme femme-objet, sans lien avec son corps. Comme si son corps lui-même, objet de plaisir pour son mari et de procréation pour le clan familial, ne lui appartenait pas…

au point qu’elle n’était même pas censée le connaître »237

La soumission de la femme dans la plupart des pays arabes est malheureusement protégée par la loi. Une discrimination accrue, dans les lois et les pratiques, existe à l'égard de la femme libanaise, qui a à peine acquis certains de ses droits fondamentaux. À l'heure actuelle, toutes les lois relatives au statut personnel (mariage, divorce, héritage, tutelle de enfants, filiation etc.) sont liées aux normes de la communauté religieuse. Dans ce pays qui rassemble dix-huit confessions dont le christianisme et l'Islam sont les principales, la religion est un critère majeur qui détermine le sort des individus. Il est donc impossible de parler de la situation des femmes au Liban sans faire référence à l’idéologique religieuse. Pourtant, la constitution libanaise affirme l'égalité de tous les Libanais quant aux droits civils et politiques. Elle déclare que « les Libanais sont d'égale position devant la loi, ils jouissent

également des droits civils et politiques et supportent indifféremment toutes les impositions des devoirs publiques »238. Elle ne mentionne pas expressivement l'équité entre l'homme et la femme, mais exprime la reconnaissance de la parfaite égalité de tous les compatriotes devant la loi.

Cette constitution déclare donc le principe de l'égalité sans aucune discrimination avouée, cependant les lois contredisent cette déclaration, à cause de la rigidité sociale des valeurs et

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Germanos Ghazaly, L., « Imago narcissique, trouble et hystérie chez la femme libanaise », in société libanaise de psychanalyse, 2002

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des normes en ce qui concerne la femme. Bien que le Liban soit une démocratie parlementaire, son système est basé sur les quotas confessionnels, présents aussi dans toutes les autres institutions du pouvoir, ce qui fait que tous les problèmes depuis 1943, date de l'indépendance du Liban, ont été résolus sur la base d'un consensus confessionnel, qui ségrégent en particulier au niveau des droits de la femme. De ce point de vue, il nous paraît essentiel de montrer les façons les plus distinctives de discrimination contre la femme qui découlent des législations libanaises. 239

- L’héritage :

En ce qui concerne l'héritage, chez les musulmans l'homme a la part double. Cependant, chez les chrétiens, même si la loi a changé dans le sens de l'égalité femmes-hommes, sur le plan pratique des tractations sont souvent menées dans le sens de garder l'héritage dans la famille. L'héritage continue en majorité d’être légué au garçon, dans le but de respecter les traditions qui le considèrent comme le conservateur du nom de famille et celui qui aura la charge et le soin de ses parents.

- Le civil juridique :

La loi libanaise s'adresse au peuple en disant qu'ils sont égaux devant la loi, mais d’un autre côté elle recourt à soulever la nullité de la femme s'agissant des lois d'état civil, bien qu'elle ait entériné sa compétence civile et politique, suite à une longue lutte. Cette attitude pose de nombreuses questions surtout lorsqu'elle touche une dénomination essentielle pouvant empêcher la femme d'acquérir des droits, de les exercer. A titre d'exemple, il convient de mentionner l'énoncé de l'article 997 de la loi passée avant d'être modifiée, concernant l'incapacité de la femme de conclure certains types de contrats ; ou la gestion de ses biens qui entre dans le cadre des lois d'état civil auxquelles les autorités ont recours pour justifier la discrimination contre la femme, en se référant aux sectes et aux religions.

- La vie politique de la femme :

La loi libanaise fondamentale (la constitution) proclame l'égalité politique des libanais : égalité de l'admissibilité aux fonctions politiques, au droit de vote et l'éligibilité.

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La femme libanaise a acquis la compétence politique concernant les droits de candidature et de vote en 1953 alors qu'il était réservé aux hommes depuis 1943. Cependant la situation ne s'est pas encore suffisamment améliorée dans ce domaine, et la discrimination suivant le genre reste inchangée. Ce n’est seulement qu’en 1964 qu'une femme entra au parlement. Et depuis, les femmes n'ont pas arrêté de se présenter aux élections législatives, mais à chaque fois la société libanaise et la loi électorale confessionnelle forment un obstacle à leur réussite.

- La femme et le travail :

Il importe de signaler pour commencer que c’est la pression de la situation économique difficile qui a obligé les femmes à commencer à travailler à l’extérieur de chez elles et dans différents domaines.

C'est ainsi qu'au niveau législatif, le code du travail libanais ne discrimine pas entre les salariés sur la base du sexe, déclarant dans son deuxième article que « (…) il est interdit à

l'employeur d'établir une discrimination entre l'homme et la femme qui travaillent en ce qui concerne le genre de travail, le montant du salaire, l'emploi, la promotion, l'avancement, l'aptitude professionnelle et l'habillement ». Le code du travail libanais protège aussi la

femme dans quelques clauses :

• Qui lui donnent un congé de maternité de sept semaines récemment modifié à 10, intégralement payé

• Qui interdissent de lui adresser des avertissements à compter du cinquième mois de grossesse jusqu'à la fin de la maternité ;

• Qui standardisent l'âge de fin de service. Avant cette loi datant de 1986, les femmes partaient à la retraite à des âges relativement bas par rapport aux hommes.

Cependant, quelques clauses de la loi libanaise, dans le domaine du travail et de la sécurité sociale, révèlent quelques marques de discrimination contre la femme, parmi lesquelles on cite:

- Concernant l'indemnité familiale : la loi de la sécurité sociale donne exclusivement à l'employé ou le salarié (masculin) le droit de profiter de l'indemnité familiale, privant ainsi les femmes de ces droits.

sociale, la famille de l'homme et de la femme ne peut bénéficier du même droit concernant la médication, les services d'hospitalisation et les autres aides sociales.

En amont des législations citées, nous retrouvons d'autres types de discrimination que les femmes affrontent quotidiennement. Dans le secteur privé, la loi qui concerne l'égalité des salaires n'est pas toujours appliquée, le congé maternité demeure insuffisant et la femme est la première à être touchée par le licenciement. Enfin, il reste difficile pour une femme mariée de trouver un travail. 


- Le mariage/ le divorce :

Dans la logique conservatrice et religieuse, il n’est pas acceptable qu’une femme épouse un homme qui n'appartient pas à sa religion. Dans les rares cas où la fille a la possibilité de choisir, les statuts personnels de telle ou telle confession lui interdisent de vivre réellement ce choix car ils lui réprimandent la plupart de ses droits d’origines. Plus que ça, ils l’arrachent à sa confession et donc à ses valeurs d’origine.

Le divorce est accordé beaucoup plus facilement à l'homme qu'à la femme. Chez les chrétiens, on note qu'il est difficile tant pour la femme que pour l'homme de dissoudre les liens du mariage. Même dans les cas de violences domestiques, auxquelles sont confrontées certaines femmes ne permettent pas d’y procéder.

- La nationalité :

L'ordre numéro 15 qui date du 19-1-1925 et la loi émise en 11-1-1960 regardent les règlements en termes de nationalité ; au premier article du dit ordre « est considérée comme

libanais, toute personne née d'un père libanais, quel que soit son lieu de naissance. La nationalité se transmet donc par la paternité et non pas par la maternité, sauf dans deux cas : l'enfant trouvé, et celui d'une femme ayant obtenu la nationalité libanaise après la mort de son époux ».

On lit ainsi qu'une grande discrimination touche la femme libanaise mariée à un non-libanais : elle n'a pas le droit de transmettre sa nationalité à ses enfants ni à son mari tandis que la femme non-libanaise mariée à un Libanais devient une citoyenne. De plus, « bâtard » (« laquite ») sera inscrit sur la carte d’identité d’un enfant qui est né hors mariage. La femme ne pourra lui transmettre ni son nom, ni sa nationalité sans mariage à un homme.

Avec la guerre civile de 1975, cette loi s’est d’autant plus fortifiée afin de conserver un quota raisonnable de « pures libanais ». De cette façon, si les femmes libanaises se mariaient avec un réfugié palestinien, elle n’aurait pas le pouvoir d’en faire un citoyen libanais. La haine contre les Palestiniens s’accentua considérablement depuis la guerre civile, une haine qui s’est très vite répandue contre tout différent. Quoi qu’il en soit, c’est la femme libanaise qui en souffre jusqu’aujourd’hui.

- La tutelle des enfants :

L'État libanais, eu réserve à l'article 16 de l'accord pour annihiler toute forme de discrimination contre la femme (CEDAW) liée aux droits, devoirs et responsabilités du mariage, et les responsabilités de la mère s'agissant de ses enfants et la tutelle, il ressort que les Libanais n'obéissent pas à une loi unique regardant leur état civil, mais que chacun obéit aux lois liées à sa secte et à ses tribunaux.

Cependant, les différentes religions s’entendent sur le sujet qui concerne la tutelle des enfants puisqu'elle revient au père. En plus, en cas du décès du père, la mère ne devient pas automatiquement la tutrice de ses enfants : chez les musulmans le grand-père paternel devient leur tuteur légal ou, à défaut, les hommes du côté de la mère. Chez les chrétiens, il faut faire une distinction entre les orthodoxes et les catholiques : chez les premiers le grand-père paternel devient tuteur légal, ou, à défaut la personne désignée par le tribunal ; chez les seconds, le tuteur est celui que le père a désigné avant sa mort ou, à défaut, celui que le tribunal désigne, la mère venant en premier, à moins qu'elle ne se remarie.

D'autre part, la tutelle des enfants pose plusieurs problèmes au niveau quotidien : on cite à titre d'exemple la nécessité d'obtenir l'autorisation du père préalablement au voyage des enfants, y compris avec la mère, et l'autorisation préalable du père à la demande d'un passeport pour les enfants. Sans cette autorisation faite par le père, les enfants ne peuvent quitter le pays.

- L’adultère :

Selon le code pénal, la femme est passible d’être sanctionnée par la loi que l'adultère s'accomplisse au domicile conjugal ou ailleurs, tandis que l’homme ne sera pénalisé que si l’adultère s'accomplit au domicile conjugal, ou si celui-ci agrippe son amante en public. La

pénalité infligée à un homme qui trompe s'étend de 1 mois jusqu'à 1 an de prison à moins qu'il ne soit marié, tandis que la pénalité imposée à la femme qui commet un délit d’adultère est un emprisonnement de 3 mois à 2 ans quel que soit son état marital. L'adultère de l'épouse est pénalisé par la loi à travers des témoignages ou des présomptions, tandis que l’époux adultère est innocenté à défaut de preuves concrètes :« pas une preuve recevable contre le partenaire

sauf les messages et les documents écrits par lui » (Le code pénal, article 487).

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La violence conjugale :

Les violences domestiques ne sont pas criminalisées par le Code pénal libanais jusqu’en 2014. Le Code pénal libanais excluait alors les violences physiques si elles étaient « justifiées » par l’auteur suite à de simples suspicions mais aussi excluait explicitement le viol conjugal de la définition même du viol. Il faut de plus noter que si le violeur épousait sa victime après le crime, celui-ci était exonéré́ par la loi. En effet, l’article 522 du code pénal libanais concernait différents crimes, tels que les viols, les agressions, les rapts et les mariages forcés. Il stipulait que si « un mariage valide est contracté entre l’auteur d’un de ces crimes et la victime, les

poursuites cessent, et si un verdict a déjà été prononcé, son application est suspendue ». En

2011, des propositions d’amendements au Code pénal pour criminaliser le viol conjugal et abolir l’article permettant une exonération de l’auteur du crime qui épouse sa victime ont été́ soumises au Parlement. Ce n’est qu’en 2014, que la réforme de la loi fut accordée. Nous pouvons tout de même dire, que ce qui est criminalisé, ce n’est que la preuve du viol et non pas le viol en soi parce que sans preuves tangibles la loi reste caduque.

« Et cette violence contre les femmes en dit long sur la non-acceptation de cet Autre en soi, le refus de la part féminine, opaque et énigmatique, que les hommes portent en eux-mêmes. La violence signe l’échec de cette capacité de se transcender soi-même « afin d’assurer son unité véritable » (selon l’expression de René Nelli). »240

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