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A. MEMOIRE(S) DE GUERRE(S)

2. Le traumatisme

2.2. Les traumatismes de guerre

2.2.3. Hypermnésie ou amnésie traumatique ?

Dans Destin du traumatisme, A. Houballah (1996) distingue deux façons de travailler avec un patient selon que le traumatisme soit hypermnésique ou amnésique. Selon cet auteur, la névrose traumatique amnésique survient dans la première ou deuxième partie de l'enfance tandis que la névrose traumatique hypermnésique est production des agents extérieurs c'est-à- dire peut survenir après un accident, guerre, etc. 
Si le sujet, victime du traumatisme « devient

amnésique, cela signifie qu'après-coup s'est produit un refoulement, et le symptôme ici présent ne fait que témoigner d'un retour du refoulé. Si, en revanche, le facteur traumatogène

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Idem, p. 117

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Ciccone, A. ; Ferrant, A., Honte, culpabilité et traumatisme, Paris, Dunod, 2015, p. 38

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demeure présent dans le conscient, ne cessant de se répéter au point d'entraver l'activité du sujet, on parle alors d'hypermnésie, car celui-ci n'arrive pas à l'oublier »85. 
Pour l'auteur la stratégie à adopter face à ces deux types de « névrose » sera tout à fait différente : pour la première le travail consiste à lever l'amnésie, à restituer la scène traumatique oubliée et pour la névrose traumatique hypermnésique le travail consiste à faire oublier l'événement. Le traumatisme se caractéristique par la fixation de la mémoire, soit sur l'événement proprement dit, soit sur un élément précis. La victime ne cesse de ruminer, de se remémorer. C'est dans ce deuxième volet que se comptent les traumatisés de guerre.

Or, l’hypermnésie ou l’amnésie n’est pas à mon sens question de souvenir ou d’oubli d’événements traumatiques mais il est ici question de traces. En effet, nous le savons : le traumatisme instaure deux temps, celui d’avant l’événement et celui d’après. François Marty, évoque un troisième temps, « l’instant à l’état pur » « ce temps du traumatisme devenant lui-

même un hors temps, ne parvenant pas à se constituer en souvenir et, par la même, difficile à intégrer d’autre élément de la vie psychique. »86. A la façon du corps étranger qui ne peut s’intégrer aux représentations génère un sentiment d’une inquiétante étrangeté en soi. Cette présence à annuler devient une présence à l’intérieur de soi. L’événement qu’il soit rappelé ou pas, continue d’agir à l’intérieur de soi comme un corps étranger souvent manifester par une destruction de soi. C’est en ce sens que tout traumatisme fait trace dans l’appareil psychique qu’il soit oublié ou remémoré. S’ils n’ont pas accès à la mémoire directement, ces évènements se manifestent autrement soit par la répétition soit par le clivage et le déni.

D'après Freud, le clivage dans la névrose est un mécanisme de défense qui vise à protéger le Moi d'une représentation d'événements, d'une sensation insupportable qui éveille des affects pénibles. Dans ce cas, il s'agit d'un refoulement à la base d'un conflit névrotique. Dans le cas d'une névrose traumatique, quand il s'agit de non-sens, d'un trou dans le signifiant, le refoulement nous apparaît impossible faute de non-représentation et symbolisation. L’oubli d'un événement se fait par l'enfermement de cet événement dans un lieu totalement isolé du reste de la personnalité et inaccessible au sujet lui-même c’est le clivage narcissique dont parle Ferenczi. Le but de ce clivage est de se protéger contre la douleur qui a accompagné l'événement, ou même contre le risque de destruction psychique qu'il a fait courir au sujet. 


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Idem, p.75

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Ce n'est que progressivement, au fur et à mesure de l’élaboration par la psyché de l’évènement traumatique, que le travail du refoulement peut s'installer. Quand il y a refoulement, il y a oubli et possibilité de souvenir. Cependant, quand la trace n’est encore qu’une trace hors représentation on ne peut encore parler de souvenir. Dans le cas d’un traumatisme il s’agit d'une reviviscence de l'état brut, une mise en acte avec sa charge émotionnelle qui a accompagné le vécu. L'image du réel de la mort qui ne trouve aucune représentation ne se comportera pas comme un souvenir mais elle restera intacte. Faute d’accès au conflit psychique, elle ne s’inscrit pas dans un temps linéaire mais la trace surgie inchangée dans le moment présent. Ce qui s’est passé ne passe pas et se rejoue avec toujours la même force, colmatant passé, présent et future. D'après Fischer87, dans le traumatisme on trouve un effet paradoxal concernant la mémoire : « d'un côté, il l'empêche de faire son

travail d'oubli et, de l'autre, il crée des formes d'amnésie par rapport à l'événement ». 
D. Marcelli (2014) parle pertinemment de « trace anti-mnésique » : un évènement traumatique qui ne peut s’inscrire dans le travail de mémoire, un travail de réécriture perpétuel dans le temps. En effet, l’évènement garde sa caractéristique traumatique quand il persiste de façon intemporelle et inchangée. « Cette trace anti-mnésique ne peut pas être oubliée, elle n’a pas

de devenir. (…) le travail habituel de la mémoire ne peut s’y effectuer (…) Aucune mise en récit possible dans la trace anti-mnésique. »88. Il y a possibilité d’un discours autour de l’événement mais celui-ci est mécanique, non métabolisé afin d’être transformé en narrativité subjective, le discours est pris dans une répétition, soumis à la violence des perceptions qu’a provoquées l’événement traumatique. Pour mettre en récit un évènement et l’inscrire dans une continuité existentielle, nous dit D. Marcelli, il faut pouvoir l’intégrer dans un schème de pensées qui requiert lien et inhibition – renoncement- aux autres possibilités qui auraient pu former l’énoncé.