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A. MEMOIRE(S) DE GUERRE(S)

1. De l’identité du Liban aux identités en guerre

1.3. Les identités libanaises

1.3.2. L’identité nationale libanaise : entre confusion et confession

« Inscris, je suis arabe (…) en tête de la première page Moi je ne hais pas mes semblables

et je n’agresse personne Mais… si jamais on m’affame je mange la chair de mon spoliateur

Prends garde… prends garde à ma faim et à ma colère ! »33

Sur un plan socioculturel, la société libanaise, présente un attachement au collectif, attribue une grande valeur à la famille et laisse très peu de place à l’individu pour s’exprimer. L’identité semblerait caduque en dehors du groupe d’appartenance. Nous verrons dans le chapitre B de la première partie « La femme libanaise et la guerre», que l’identité féminine libanaise se déssine comme le paradigme de cette problématique. L’identité individuelle est donc comme happée par sa communauté en dehors de laquelle l’individu ne peut ni exister ni se définir. S. Déjeux (1992) dira, « c’est le groupe qui importe plus que l’intimité ;

l’introspection n’est pas de mise dans la société traditionnelle »34.

F. Azar (1999), dans son étude de l’identité des groupes communautaires au Liban dira : «La

société libanaise, constituée de dix-huit groupes confessionnels, s’est développée à travers la valorisation de l’élément identitaire religieux et à sa confession s’est nourri des traditions et codes culturels religieux et confessionnels. Le Libanais s’est autocatégorisé comme chrétien ou musulman (par référence à sa religion), comme sunnite, chiite, catholique, maronite, etc. (par référence à sa confession) » 35. D’un point de vue social, l’identité serait alors constituée d’éléments qui se référent aux attributs (qualités ou défauts) personnels et d’autres éléments qui se réfèrent à l’appartenance sociale. Dans la même logique paradoxale à l’identité que

33

Darwich, M.,(1964), « Carte d’identité », in Poèmes palestiniens, Paris, Les Éditions du Cerf, 1989

34

Déjeux, J., La littérature magrébine d’expression française, PUF, Paris, 1992

35

Azar F., Constitution identitaire et appartenance confessionnelle au Liban, Paris, L’Harmattan, 1999, p.34

nous avons décrite plus haut, celle-ci « se construit à partir d’un double mécanisme de

différenciation et d’identification à l’environnement qui est un agent primordial dans la perpétuation d’une identité particulière personnelle (et) collective. L’identité est en partie produite par la société et par l’héritage culturel »36. Le sentiment d’identité n’existe que quand l’individu est conscient de son appartenance sociale et ce n’est que cette appartenance

active à un groupe qui engendre un sentiment de différenciation et de valorisation.

1.3.2.1.La question des origines: entre phénicité et arabité

L’histoire et l’existence du Liban en tant qu’entité ont depuis toujours fait l’objet de dispute entre les libanais. Le territoire géographique et le choc des origines ont alimenté ce conflit. Nous retrouvons d’une part, un Liban décrit par les uns comme « arabo-musulman » et d'autre part conçu par les autres comme un « Liban phénicien ».

Malgré la proximité géographique du Liban avec les pays arabes, les chrétiens du Liban et plus exactement les maronites ont toujours considéré que le Liban est entièrement indépendant des autres régions arabes. Alors que les musulmans (majoritairement des Sunnites) pensaient que le Liban faisait partie de la nation arabo-musulmane. D’autres mouvements nationalistes, regroupant toutes les confessions, se basaient sur la géo-politique pour soutenir l’hypothèse que le Liban fait partie de la Grande Syrie ou les régions qui constituent « Bilad el Cham » ( la Syrie, le Liban, la Palestine et la Jordanie ).

A. Beydoun (1986), rend bien compte de ce conflit chrétien/musulman qui semble donc être un conflit des origines : « L’historien chrétien et l’historien musulman sentent tous deux une

menace planer sur leur identité en tant qu’elle est rapport à l’origine. Le Chrétien voit la source du danger dans l’islam et dans l’arabisme et le Musulman la trouve incarnée dans le Chrétien et dans l’Occident».37

La question du différent au Liban se personnifira dans la personne d’une différente conféssion mais l’origne de la menace de ce différent semble être bien plus profonde que celle d’une question confessionnelle. C’est tout le pan de l’histoire, de la descendance et des origines qui

36

Ibid, p. 15

37

Beydoun, A., « Identité confessionnelle et temps social chez les historiens libanais contemporains », in Revue française de science politique, 36ᵉ année, n°2, 1986. pp. 282-286

sont remis en question à travers la rencontre avec le différent. Un différent qui à donc le pouvoir d’annhilation de l’autre et de son identité ( entre autres confessionelle.).

Les chrétiens sont ainsi en proie à une angoisse constante d'être envahis par les musulmans et vice versa.

La guerre civile de 1975 - une des guerres du Liban- ne semblerait alors pouvoir trouver fin que dans la mise en commun d’une histoire commune. Au fil des massacres et des guerres, entre chrétiens et musulmans, druzes et chrétiens, sunnites et chiites … etc, les différentes confessions se sont de plus en plus repliées sur leur communauté. La guerre est terminée depuis 1990, mais les libanais ne se mélangent guère et se marient encore moins hors de leur communauté.

1.3.2.2.L’ « Oumma » : entre haine et amour

L’individu libanais est considéré comme « partie intégrante du Tout, de cette Oumma,

partie qui l’englobe et le désire au point de viser à lui faire oublier sa dimension de sujet désirant » (Déjeux, 1992). Cependant, cette « Oumma » (littéralement mère en français),

cette patrie, ce pays qu’est le Liban qui ne fait pas l’objet d’un « Tout » est divisé , fissuré et semble prêter les libanais à des fantasmes divergents concernant leurs origines, leur terre d’origine, leur nature et leur confession. Nous sommes renvoyés à la notion d’autochtone, qui a pour sens général commun (« originaire du lieu en question ») et qui est une notion fondamentalement violente. Selon M. Detienne (2009), il faudrait être vigilant à ce mot

[politique] qui renverrait directement à un lien abusif du pouvoir puisque celui-ci évoquerait

un lien profond avec la terre et hermétique au mélange. Dès lors, le droit du sol et le droit à la nationalité sont exclus « aux autres ». Le « mythe de l’autochtonie », logique de purification du lien entre le sang, le mythe, la mort et la terre « devient très vite une « Identité meurtrière»,

une vérité qui tue, qui tue massivement quand elle s’en donne les moyens. »38. Définir l’identité nationale, qui se veut singulière et « mythiquement autosuffisante » à partir de l’autochtonie ne ferait qu’accentuer la haine envers les non-autochtones, les impures. La haine de l’autre, du différent devient alors essentiellement meurtrière et l’amour de soi et du semblable n’est plus de l’ordre du faire (de la participation de l’homme à sa terre ; de « faire

38

Detienne, M., « Des métamorphoses de l'autochtonie au temps de l'identité nationale », Cités, vol. 37, no. 1, 2009, pp. 147-153.

souche »39 ; de s’enraciner) mais de l’ordre de soi, de l’identité qui vient du sol. Aimer ailleurs rimerait alors avec trahison mais souvenons-nous que le narcissisme peut témoigner d’une violence « « irrationnel » au service du destin de l’Eros, quand les pulsions de vie

s’enlisent dans l’épaisseur d’étayages narcissiques dont les « répétitions » (latin : re-petere = réclamer, rappeler toujours à soi) deviennent mortifères. »40. Notre étude qui porte sur l’interdiction de s’unir au différent (l’autre confessionnel, l’impur, la menace) depuis la guerre civile semble donc trouver son origine dans cette haine de l’autre diffèrent et essentiellement impure. Cependant, cette préservation contre l’ennemi et qui « rappelle toujours à soi » à une composante mortifère en soi. Nous retrouvons ici le dilemme du sujet libanais : aimer ailleurs et trahir son identité d’appartenance ou bien n’aimer que le semblable et sombrer sous le poids de la répétition ?