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Chapitre 2 La rhétorique de l’environnement

1. L’argumentation : ses cadres et ses procédés

1.4. Les techniques argumentatives

Qu’est-ce que l’argumentation rhétorique ? Pour Ducrot, il s’agit de « d’un effort verbal visant

à faire croire quelque chose à quelqu’un » (Ducrot, 2004 : 19). Dès lors que l’orateur a posé les

fondements de son argumentation, il lui reste encore à élaborer des propositions à vocation logique et à les articuler entre elles. Ces schèmes argumentatifs sous-tendent le raisonnement qu’il choisit de suivre. Afin de ne pas réduire le discours à une suite logique de schèmes, la prise en compte de leur articulation s’avère pertinente car les arguments ne doivent pas être traités comme des éléments isolés les uns des autres. Dans une théorie générale sur l’argumentation (Meyer, 2008 : 97) proposant une synthèse de toutes les approches existantes, Meyer statue que l’argument peut être finalement considéré soit comme une raison pour agir ou penser, soit comme le fruit d’une opposition marquant donc un désaccord, soit comme le produit d’un raisonnement. Cette définition de l’argument dévoile la complexité de la mise en œuvre argumentative au sein du discours. Pour cette raison, nous ne proposons ici qu’une rapide présentation des différents types d’arguments auxquels l’orateur peut avoir recours, leur analyse, pour être pertinente, devant être effectuée en discours en tenant compte des liens les unissant ou les dissociant. Il s’agit donc plus d’évaluer les moyens dont l’orateur dispose que d’en proposer une liste exhaustive.

En premier lieu, Michel Meyer résume bien la construction et le fonctionnement d’une argumentation efficace :

En fait, pour bien comprendre quels sont les arguments qui persuadent davantage, il importe de déterminer comment l’ethos, le pathos et le logos nourrissent l’argumentation en problématiques, d’où sont tirés les arguments. Il est clair que pour argumenter, l’orateur doit s’appuyer sur le non-problématique d’une question, mais s’il peut le faire, c’est qu’il y a du non problématique qui est partagé entre lui et l’auditoire. Cela réduit forcément la distance, produit un accord presque naturel, voire immédiat, entre eux. En mobilisant des savoirs partagés, des opinions communes, des valeurs qui les réunissent, l’orateur annule l’effet de distanciation avec l’auditoire, distance qui se matérialise par leurs différences respectives, leurs rôles, leurs positions distinctes. (Meyer, 2008 : 200)

Ainsi, pour réduire la distance avec l’auditoire, l’orateur doit chercher à construire son argumentation à partir du non-problématique, ou du moins ce qui semble l’être. Pour faire preuve d’une certaine force de conviction, l’orateur peut tenter de recourir à des arguments déterminés comme quasi-logiques par Chaïm Perelman. Il s’agit alors d’arguments qui se présentent « comme

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comparables à des raisonnements formels, logiques ou mathématiques » (Perelman &

Olbrechts-Tyteca, 2008 : 259). Le sentiment de formalité induit par ce type d’argument permet de conférer une allure démonstrative à l’argumentation de par le raisonnement logique qui semble être conduit. Toutefois, ce type d’argument se caractérise justement par sa non formalité effective, susceptible de le fragiliser jusqu’au point de la remise en question.

Dans un système de raisonnement rationnel, l’éventail d’arguments à disposition de l’orateur propose également le recours à l’argument fondé sur la structure du réel. Pour Perelman et Olbrechts-Tyteca (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 2008 : 351), la solidité de cette argumentation réside alors dans la solidarité entre chaque argument, la validité effective de l’un permettant tacitement la promotion de la validité d’un autre. La valeur argumentative provient donc d’un tissage discursif étroit entre les différents arguments. Comment le patchwork argumentatif est-il construit ? Dans ses discours, Barack Obama fournit divers arguments pour aborder la question environnementale, qui sont agencés selon le fil conducteur de la vision que l’orateur souhaite donner sur le sujet. Ainsi, l’étude des liens, notamment au niveau causal, permet de mieux appréhender l’articulation de l’argumentaire et ne doit pas être négligée, la compréhension de la force argumentative résidant dans l’analyse de l’agencement de l’ensemble argumentatif.

Par exemple, les remarques formulées au cours de son discours produit devant l’ONU au cours d’un sommet consacré au changement climatique le 22 septembre 2009 s’organisent selon un tissage discursif prenant en compte les circonstances énonciatives et l’auditoire politique international : Barack Obama débute son discours en évoquant la prise de conscience générale autour du changement climatique et en faisant allusion à la notion d’héritage à léguer. Après avoir insisté sur le caractère universel de ce danger, il expose une vision positive en indiquant la volonté nouvelle des États-Unis de prendre en compte ce problème et d’y remédier. L’orateur explique ensuite les efforts de promotion des énergies renouvelables alors menés, puis la volonté d’investir dans les recherches technologiques de pointe en matière énergétique ainsi que la surveillance de l’exploitation des énergies fossiles. Il fait part d’une certaine volonté de légiférer l’exploitation des énergies pour œuvrer en ce sens ainsi que travailler en partenariat avec les autres pays.

Cette présentation des mesures déjà prises ou en cours d’organisation amènent l’orateur à mentionner les progrès qui restent à faire, mais aussi à détailler les difficultés auxquelles les différents partenaires vont se heurter avant de rappeler que tout un chacun ne doit se trouver d’excuse pour ne pas s’investir dans la lutte contre la menace climatique, l’objectif étant de développer une nouvelle forme de croissance économique sans danger pour l’avenir de la planète. Cette précision constitue l’occasion de rappeler la responsabilité des nations développées et celle des États-Unis, arguant en faveur d’un accord entre les gros émetteurs de dioxyde de carbone. La

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nécessité d’un engagement des nations moins développées est également soulignée par l’homme politique ainsi que le devoir moral des nations développées à les aider à se moderniser et à s’adapter au changement climatique. Le discours se conclut sur la nécessité d’un accord sur la croissance dans de bonnes conditions pour tous les pays et l’annonce de l’engagement des États-Unis dans cette démarche avant de rappeler la difficulté du chemin à entreprendre pour le bien commun planétaire et de rappeler encore la valeur morale que constitue l’héritage planétaire à léguer aux générations futures.

Alors que Barack Obama utilise la notion d’héritage à léguer comme pivot central de son argumentation dans ce discours produit face à l’auditoire de l’ONU, d’autres discours s’articulent plutôt autour de l’argument économique, le développement des énergies renouvelables semblant offrir une possibilité de redressement économique pour le pays à la manière des révolutions industrielles précédemment menées. C’est notamment le cas des discours produits au cours de la campagne présidentielle. À titre d’exemple, au cours du discours produit le 24 juin 2008 à Las Vegas, la volonté de renouveler la prospérité du pays est déterminée comme le fil conducteur de l’ensemble discursif. Ainsi, un ou plusieurs arguments de fond sont choisis par l’orateur en fonction de l’auditoire de destination et de la vocation du discours produit afin de constituer une trame discursive autour de laquelle sont employés les autres arguments.

Si l’argumentation développée par l’orateur demande à être considérée comme un tout, le discours politique, bien que vraisemblablement réfléchi et préparé à l’écrit en amont de l’acte discursif en lui-même, consiste en une prestation oratoire ponctuelle. Ainsi, il appartient à l’orateur de préparer son discours en tenant compte de l’auditoire auquel il peut s’attendre et qui constitue en quelque sorte un cadre participatif à l’élaboration du discours lui-même. De la même manière, le cadre spatio-temporel doit être pris en compte car certaines de ces caractéristiques peuvent aussi contribuer à la construction discursive, ou du moins exercer une influence sur celle-ci. Dominique Maingueneau souligne notamment que :

Tout genre de discours implique un certain lieu et un certain moment

(Maingueneau, 1998 : 52)

Si le discours s’adapte effectivement à un cadre spatio-temporel donné, ce cadre constitue une force agissante sur le discours lui-même. Prendre en compte ce cadre spatio-temporel pour l’analyse de chacun des 32 discours de notre corpus peut permettre de statuer sur la finalité exacte de ceux-ci ainsi que sur les moyens déployés par l’orateur pour atteindre son objectif. De plus, la compréhension du cadre spatio-temporel ne se résume pas à une simple prise en compte du lieu et du moment discursif, mais plutôt à l’appréciation des caractéristiques du lieu susceptibles d’agir sur le

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contenu de la production discursive et sur les événements ainsi que les actes discursifs qui précédent, accompagnent et entourent le discours sujet à analyse. Alors que la question environnementale constitue déjà un terrain propice à débats, remises en cause et même parfois à contestations, impliquant donc des réactions discursives et politiques, que celles-ci soient adverses ou non, la prise en compte des circonstances spatio-temporelles s’avère d’autant plus importante que les conditions de production du discours peuvent être plus ou moins favorables à une production discursive engagée sur le sujet.

Parallèlement, Marianne Doury et Catherine Kerbrat-Orecchioni remarquent le statut particulier qu’occupent l’accord et le désaccord au sein de l’argumentation. En effet, posant le fait que « l’argumentation a son rôle à tenir dès lors qu’il n’existe pas de certitude sur une question

donnée » (Doury & Kerbrat-Orecchioni, 2011 : 65), elles constatent que les théories sur

l’argumentation accordent un intérêt plus remarqué à l’accord dans la mesure où la finalité d’une argumentation est justement d’aboutir à une forme d’accord, même partiel. En ce qui concerne l’étude du traitement de la question environnementale dans les discours d’Obama, l’analyse des marques d’accord, de concession et de désaccord peut permettre de mieux comprendre la construction rhétorique des discours. Alors que Marianne Doury définit l’argumentation comme « un

mode de construction du discours visant à le rendre plus résistant à la contestation » (Doury, 2003 :

13), l’acceptation ou le rejet d’un argument passe par sa formulation et les marques d’accord et de désaccord produites au long du discours. Considérons l’exemple suivant :

Je sais qu'il y a ceux qui ne sont pas d'accord avec la preuve scientifique écrasante du changement climatique. Mais voici la chose : même si vous doutez de la preuve, offrir des incitations en faveur de l'efficacité énergétique et de l'énergie propre est la bonne chose à faire pour notre avenir parce que le pays qui mènera l'économie de l'énergie propre sera le pays qui dirigera l’économie mondiale. Et l'Amérique doit être cette nation.6 (Obama, 27 janvier 2010)

Cet extrait du discours sur l’État de l’Union de 2010 témoigne de la prise en compte par l’orateur de la présence de climatosceptiques au sein du Congrès. Barack Obama n’hésite pas à souligner les divergences idéologiques sur le changement climatique entre lui et une certaine fraction de son auditoire. Si la formulation du désaccord persistant autour de l’existence du changement climatique lui permet de mettre en avant son propre point de vue grâce au sémantisme du syntagme

6 Notre traduction de : "I know that there are those who disagree with the overwhelming scientific evidence on climate change. But here's the thing-- even if you doubt the evidence, providing incentives for energy-efficiency and clean energy are the right thing to do for our future-– because the nation that leads the clean energy economy will be the nation that leads the global economy. And America must be that nation."

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« preuve scientifique écrasante » suggérant implicitement la validité de son propre dire et l’invalidité

de celui des détracteurs du changement climatique, l’orateur développe un argument conciliant les deux points de vue opposés en développant le corollaire économique direct de la promotion de l’énergie propre. Comme le rappelle Ruth Amossy, « la rhétorique s’attache à la recherche du

consensus, ou tout au moins d’un accord sur le raisonnable qui permet de prendre des décisions communes » (Amossy, 2014 : 12-13). Ici, la mise à jour du dissensus existant constitue l’occasion pour

l’orateur de requalifier l’argument environnemental de la promotion de la transition énergétique en argument économique et patriotique afin de transcender les hostilités et d’atteindre une certaine forme de consensus alternatif.

Enfin, la manière dont sont formulés les arguments revêt une importance certaine. En effet, la seule énonciation des arguments compte beaucoup pour leur force argumentative, la validité de l’argument pouvant être renforcée ou au contraire minorée à l’occasion de sa simple formulation. Analyser la crédibilité et la force d’un argument consiste non seulement à prendre la mesure de l’argument lui-même, mais également sa présentation discursive. Néanmoins, il ne s’agit pas de réduire l’analyse de la présentation discursive de l’argument à l’emploi de tropes particuliers. Si l’emploi de figures de style permet de jouer sur l’insistance, l’amplification, l’atténuation, l’opposition, ou encore l’image par substitution ou par équivalence, la formulation des arguments relève des choix de l’orateur pour étayer son discours. Celui-ci peut par exemple tenter d’intensifier sa force argumentative en utilisant des données numériques, ou au contraire choisir de passer des données considérées alors comme trop factuelles sous silence selon la stratégie discursive qu’il décide d’adopter.

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