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Chapitre 2 La rhétorique de l’environnement

1. L’argumentation : ses cadres et ses procédés

1.3. Les fondements de l’argumentation

En premier lieu, le point de départ de l’argumentation, à savoir les prémisses ainsi que les différentes liaisons et aménagements prévus par l’orateur pour faire passer son discours doivent être objets d’analyse. Chaïm Perelman précise :

L’orateur, en utilisant les prémisses qui serviront de fondement à sa construction, table sur l’adhésion de ses auditeurs aux propositions de départ, mais ceux-ci peuvent la lui refuser, soit parce qu’ils n’adhèrent pas à ce que l’orateur leur présente comme acquis, soit parce qu’ils perçoivent le caractère unilatéral du choix des prémisses, soit parce qu’ils sont heurtés par le caractère tendancieux de leur présentation.

(Perelman & Olbrechts-Tyteca, 2008 : 88)

L’importance de ces prémisses ne peut être occultée et doit être prise en compte en amont de toute argumentation. Ainsi, l’orateur a la possibilité de se fonder sur des faits, qui sont communément acceptés et qui bénéficient pour cette raison d’un statut particulièrement privilégié, ou sur des vérités constituées par une mise en relation de différents faits. De la même manière, il peut s’appuyer sur diverses présomptions, qu’elles relèvent de la normalité ou de la vraisemblance. Parallèlement, l’orateur peut recourir à différentes valeurs. Chaïm Perelman pense que l’usage des valeurs « ne prétend qu’à l’adhésion de groupes particuliers » (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 2008 : 88). Néanmoins, cette utilisation est envisageable devant un auditoire à groupes multiples, notamment s’il s’agit de valeurs morales fortes qui présentent une valeur universelle ou quasi-universelle. Enfin, Chaïm Perelman inclut encore la référence aux hiérarchies ainsi qu’aux lieux communs ou spécifiques à son inventaire de possibilités. Ces dernières alternatives ne sont certes pas négligeables car elles accordent à l’orateur la liberté de s’appuyer sur des éléments relevant du domaine du préférable, qui, même s’ils semblent moins sûrs, ont le mérite de laisser l’illusion du choix à l’auditoire.

Pour élaborer son argumentation, l’orateur doit effectuer un choix judicieux parmi toutes les données qu’il sait pouvoir utiliser. Ainsi, il va effectuer un tri et une sélection des éléments sur lesquels il peut s’appuyer. L’importance des éléments qu’il choisit de laisser de côté ne doit pas être occultée pour autant. En effet, ce n’est pas nécessairement ou exclusivement du fait de leur inutilité que l’orateur va faire le choix de les passer sous silence. En ce qui concerne les données retenues par l’orateur pour construire son argumentation, Chaïm Perelman spécifie que :

L’étude de l’argumentation nous oblige en effet à tenir compte non seulement de la sélection des données, mais également de la façon

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dont on les interprète, de la signification qu’on choisit de leur attribuer. C’est dans la mesure où elle constitue un choix, conscient ou inconscient, entre plusieurs modes de signification, que l’interprétation peut être distinguée des données que l’on interprète, et opposées à celles-ci. (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 2008 : 161)

Comme l’orateur effectue un travail de modelage des données qu’il choisit de retenir pour ses fins argumentatives, analyser l’exploitation interprétative qui est faite des données ainsi que le cheminement qui conduit précisément à cette interprétation est utile. En effet, ce processus résulte parfois d’un choix personnel, mais il peut également révéler une certaine conception du monde, dévoilant alors les liens entre pensée, langage, argumentation et représentation du monde.

Pour Chaïm Perelman, l’orateur dispose de plusieurs moyens pour construire et aménager les données dont il dispose. D’après lui, l’usage de qualifications telles que l’épithète ajoute des aspects non négligeables à la réalité qu’il propose à voir dans sa production discursive. Un tel aménagement vise à aboutir au sens requis pour construire une argumentation solide. L’usage des notions revêt une importance toute particulière :

Ces notions, aussi longtemps que leur emploi ne suscite pas de difficultés, se présentent également comme des données sur lesquelles on croit pouvoir tabler, et sur lesquelles on table en effet efficacement.

(Perelman & Olbrechts-Tyteca, 2008 : 174)

Ainsi, l’emploi de notions adaptées contribue régulièrement à la force oratoire. Choisir d’utiliser un adjectif épithète plutôt qu’un autre permet d’adapter le discours. Parler d’énergie verte, d’énergie propre ou encore d’énergie alternative ne recouvre pas les mêmes réalités et les mêmes visées politiques. De la même manière parler de réchauffement climatique et de réchauffement planétaire ne produit pas le même effet. Alors que l’adjectif climatique semble éloigné des sujets de préoccupation personnels, l’adjectif planétaire établit un lien entre l’homme et le phénomène grâce à la référence à l’endroit où il vit. De plus, certaines notions offrent à l’orateur une malléabilité particulière. Cette plasticité des notions constitue un véritable outil rhétorique pour l’orateur qui mérite d’être analysé. En effet, jouer sur cette propriété de la notion permet à l’orateur de s’octroyer le droit de proposer une réalité sous un angle personnalisé.

Si l’orateur souhaite obtenir l’adhésion de l’auditoire, il cherche également à convaincre de la pertinence des arguments politiques qu’il développe et propose. Comment la plasticité des notions peut-elle être mise à profit par l’orateur à des fins argumentatives ? Par exemple, il peut exploiter le flou suggéré par une lexie telle que gaz naturel. L’emploi de cette lexie rappelle la distinction suggérée par Dominicy entre les notions « poreuses » qui plongent l’interprétation « dans

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l’indécision » et les notions « confuses » dont » le critère pertinent ne nous fait jamais défaut »

(Dominicy, 2002 : 130). Dans ce cas, plaider pour le développement d’une énergie qualifiée de naturelle permet de donner l’impression que l’orateur agit en faveur de l’environnement alors que cette notion recouvre une réalité bien différente, notamment lorsqu’elle est employée pour évoquer le gaz de schiste dans les discours d’Obama. Emmanuelle Danblon va même plus loin en estimant qu’il

« paraît illusoire de penser qu’on puisse avoir des données dont le contenu soit parfaitement neutre, comme si elles reflétaient fidèlement la réalité brute » (Danblon, 2002a : 93). Dans cette perspective,

chaque donnée est susceptible d’instiller un flou notionnel de manière plus ou moins subtile. Parallèlement, l’orateur agit sur les notions qu’il emploie en opérant « une réduction structurelle » ou à l’inverse en produisant une amplification qui « élargit la notion » (Danblon, 2002b : 228).

La mise en forme des données dans le discours doit également être sujette à analyse. Selon Perelman la présentation discursive des données ne peut être dissociée de leur contenu. Il émet notamment le constat suivant :

Nous savons que certaines façons de s’exprimer peuvent produire un effet esthétique, lié à l’harmonie, au rythme, à d’autres qualités purement formelles, et qu’elles peuvent avoir une influence argumentative par l’admiration, la joie, la détente, l’excitation, les reprises et les chutes d’attention qu’elles provoquent, sans que ces divers éléments soient analysables en fonction directe de l’argumentation. (Perelman & Olbrechts-Tyteca, 2008 : 192)

Cette pensée qui refuse de dissocier le fond de la forme et du style adopté sert de fil conducteur à l’analyse. La manière de dire et parfois même la mise en scène de ce dire contribuent au renforcement ou à l’affaiblissement de l’argumentation. Ainsi, les choix lexicaux laissent transparaître les modalités de la pensée de l’orateur si bien qu’il semble nécessaire de comprendre les sélections lexicales et notionnelles pour affiner la compréhension de l'argumentation proposée au sein du

corpus de 32 discours. De la même manière, l’usage de figures rhétoriques participe de l’élaboration

argumentative. Les figures offrent d’une part une fonction ornementale et d’autre part la possibilité de faire passer le message d’une manière différente. Par conséquent, elles contribuent à l’argumentation dans la mesure où elles visent à produire un effet ou à créer une réaction chez l’auditoire. Ce point de vue s’inscrit dans une conception plutôt large du rapport entre l’emploi de figures et l’argumentation elle-même. L’emploi de figures rhétoriques n’est pas anodin dans le sens où l’auditoire est mis à contribution, consciemment ou inconsciemment, dans la construction de l’argumentation. Lorsque l’orateur emploie une métaphore, il formule son énoncé d’une manière plus poétique qu’à travers un constat brut et il impose à son auditoire de passer par la visualisation de la

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représentation imagée. Par exemple, Barack Obama évoque, dans le discours prononcé à Berlin en juillet 2008, le lien unissant la pollution automobile et la fonte des calottes glaciaires par le biais d’une représentation métaphorique sans même nommer le phénomène de réchauffement climatique.

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