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Chapitre 2 La construction argumentative du discours environnemental d’Obama

2. Les procédés employés

2.1. Le pouvoir de la représentation imagée

Le traitement de la question environnementale, notamment en ce qui concerne le réchauffement climatique, fait parfois appel à différentes représentations imagées. Le recours à ces représentations particulières permet à l’orateur de capter l’attention de son auditoire à travers une mise en œuvre visuelle du contenu du discours. Interpeller ainsi l’imaginaire confère plus de force au propos qu’un simple exposé de faits parfois éloignés des centres d’intérêts des membres de l’auditoire. Parmi les différentes représentations imagées données à voir par l’orateur, la métaphore occupe une place particulière dans les discours notamment dédiés à des auditoires grand public. Nous adoptons une conception large de la métaphore dans laquelle nous considérons certes les relations de substitution d’un mot par un autre, mais aussi « la relation de sens qui s’établit à l’intérieur d’un

énoncé » (Herschberg-Pierrot, 1996 : 194). Par exemple, dans son discours du 24 juillet 2008 à Berlin,

Barack Obama déclare :

« Au moment où nous parlons, des voitures à Boston et des usines à Pékin sont en train de faire fondre la calotte glaciaire de l’Arctique, réduisant le littoral sur les rives de l’Atlantique et générant de la sécheresse dans les fermes depuis le Kansas jusqu’au Kenya. »87

(Obama, 24 juillet 2008)

Mettre en évidence les liens de cause à effet qui régissent le réchauffement climatique revient à évoquer ce phénomène sans le nommer. La relation analogique effectuée par l’orateur illustre le fait que les rejets de CO2 issus des voitures de Boston et des usines de Pékin exercent une

87 Notre traduction de : "As we speak, cars in Boston and factories in Beijing are melting the ice caps in the Arctic, shrinking coastlines in the Atlantic, and bringing drought to farms from Kansas to Kenya."

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incidence climatique de réchauffement à d’autres endroits de la planète. En évitant d’aborder cette thématique sous un angle plus classique avec des données chiffrées ou des faits scientifiques, l’orateur parvient à sensibiliser son auditoire sur le phénomène en le rapprochant de son univers de connaissances et de compréhension. Ainsi, illustrer les conséquences du réchauffement climatique sous une forme interprétable facilement par tout un chacun confère plus de force à la thématique qu’une description scientifique du phénomène. Les membres de l’auditoire n’ont pas de connaissance particulière à avoir sur le phénomène pour en comprendre le fonctionnement de cause à effet. Affirmer que le fonctionnement des voitures et des usines de tel ou tel pays produisent un impact sur la calotte glaciaire et constituent des facteurs de sècheresse ailleurs sur la planète permet non seulement de mesurer l’ampleur planétaire du phénomène, mais aussi de mieux évaluer l’incidence des actes de chacun dans le processus global du réchauffement climatique.

Dans cet exemple, la métaphore employée pour illustrer le processus du réchauffement climatique occupe également une fonction argumentative. Pour Marc Bonhomme, « les figures

tendent à escamoter la loi de passage entre les arguments et les conclusions qui en découlent, ce qui offre deux avantages : elles permettent une argumentation rapide, plus impulsive que convaincante ; elles simplifient la démarche argumentative en homogénéisant ses composantes et en gommant ses aspects défavorables. » (Bonhomme, 2009 : § 38). En quoi cette métaphore correspond-elle bien à

cette perception de l’usage argumentatif des figures ? D’une part, avoir recours à cette métaphore permet à l’orateur de formuler autrement les données susceptibles d’être contestées par les détracteurs de la cause climatique. D’autre part, l’usage de cette métaphore pose le lien de cause à effet entre les émissions de CO2 et leurs conséquences sur le climat comme acquises. Comme l’orateur n’a pas à justifier scientifiquement le processus de réchauffement climatique et à élaborer une argumentation logique à ce sujet, la métaphore offre une perspective argumentative plus subtile et plus percutante.

Cette métaphore sur le réchauffement climatique est reprise plus loin dans ce même discours du 24 juillet 2008 à Berlin :

« Engageons-nous à ne pas laisser à nos enfants un monde dans lequel le niveau des océans monte, la famine s’étend et les tempêtes terribles dévastent nos terres. Engageons-nous à ce que toutes les nations – y compris la mienne – agissent avec le même sérieux que la vôtre, et réduisent leurs émissions carbonées dans l’atmosphère »88 (Obama, 24

juillet 2008)

88 Notre traduction de : "Let us resolve that we will not leave our children a world where the oceans rise and famine spreads and terrible storms devastate our lands. Let us resolve that all nations – including my own – will

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Dans ce second extrait, le réchauffement climatique est encore évoqué à travers la représentation imagée de ses conséquences potentielles avec la montée du niveau des océans, la famine et les tempêtes. Le réchauffement climatique n’est donc pas explicitement nommé par l’orateur. Seule la cause du phénomène est mentionnée avec les émissions carbonées. Bien que l’expression du lien de cause à effet se fasse de manière plus explicite que dans le premier extrait, ce passage métaphorique conserve une dimension particulièrement percutante en s’appuyant sur la notion d’héritage à léguer aux générations futures.

L’exploitation des sources d’énergie renouvelables est elle aussi introduite de manière métaphorique. La représentation imagée de la transition énergétique s’exprime à travers l’emploi de 12 occurrences du verbe harness (voir annexes p. - 421 -). Par exemple, Barack Obama déclare dans son premier discours d’investiture :

We will harness the sun and the winds and the soil to fuel our cars and run our factories. (Obama, 20 janvier 2009)

L’observation de la phrase originellement prononcée dans le discours du président américain révèle les problèmes posés par le passage d’une langue à l’autre. Si l’équivalent brut de harness peut certes être « exploiter » en langue française, cette proposition de traduction entraîne la perte de la représentation imagée donnée à voir par l’orateur. La plupart des traductions publiques proposent le verbe « dompter » pour transmettre l’idée de harnachement initialement convoyée par la forme verbale anglophone. Lorsqu’il emploie le verbe harness, Barack Obama exprime de manière plus ou moins imagée l’action de l’homme dans l’exploitation des ressources naturelles que sont le soleil, le vent et le sol. Ne pas mentionner l’énergie solaire, l’énergie éolienne et la géothermie par leur propre nom relève d’un choix discursif opéré par l’orateur afin de conférer une dimension pastorale et poétique à cette exploitation. De plus, la puissance de l’homme sur les éléments naturels est mise en valeur par l’intermédiaire des bénéfices que l’homme peut retirer de son environnement. Le choix discursif de Barack Obama témoigne d’une certaine volonté de proposer aux citoyens américains une perception renouvelée de leur environnement.

Les espoirs économiques de Barack Obama font parfois appel à un usage métaphorique des mots de l’environnement pour évoquer la prospérité économique à gagner en effectuant une transition énergétique. On dénombre 5 occurrences du verbe flourish (voir annexes p. - 421 -), soit

fleurir, dans le corpus de discours. L’emploi de ce verbe pour évoquer le renouvellement industriel

des États-Unis illustre la volonté qu’entretient l’orateur de lier la thématique qu’il aborde à ses choix act with the same seriousness of purpose as has your nation, and reduce the carbon we send into our atmosphere."

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lexicaux. De la même manière, l’homme politique fait référence à des industries bourgeonnantes,

burgeoning industries (Obama, 16 février 2010). Ces emplois métaphoriques mettent en œuvre un

lexique relatif à l’environnement qui rappelle particulièrement le printemps. Associer discrètement le renouveau industriel à l’idée de printemps confère une dimension positive au plan de relance économique fondé sur la promotion des énergies renouvelables. C’est d’ailleurs le renouvellement qui se trouve valorisé par cette représentation imagée de la reprise industrielle. Barack Obama utilise le même genre d’associations d’idées en d’autres circonstances lorsqu’il déclare :

Le soleil brille parce de bonnes choses sont en train de se passer.89

(Obama, 19 mai 2009)

Cette affirmation, placée en guise d’introduction au discours produit par Barack Obama pour annoncer la mise en place de normes concernant la consommation des véhicules, atteste de l’enthousiasme de l’orateur, mais elle témoigne aussi de l’assimilation implicite de l’orateur des mesures prises en faveur de l’environnement à des conditions météorologiques positives. L’emploi de telles représentations imagées répond aux finalités discursives de l’orateur. Ainsi, ce qui pourrait être perçu comme une contrainte par la société américaine, à savoir une évolution industrielle tournée vers la transition énergétique ou la mise en place de normes restrictives, se trouve associé à des images plaisantes par l’orateur. Même si ces images ne constituent pas un argument en faveur de la transition, elles agissent sur les dispositions de l’auditoire en permettant à l’orateur de relier un symbole plaisant de l’environnement aux mesures qu’il annonce.

La représentation imagée d’ordre biblique accompagne aussi la notion de transition énergétique dans le discours de Barack Obama. Après avoir parlé de l’addiction du pays envers le pétrole, le président américain déclare par exemple :

Maintenant, il y a une parabole à la fin du Sermon sur la Montagne qui raconte l'histoire de deux hommes. Le premier construisit sa maison sur un tas de sable, et elle fut bientôt détruite quand une tempête frappa. Mais le second est connu comme le sage, car quand « la pluie est descendue, et les inondations sont venues, et les vents ont soufflé, et ont battu sur cette maison, elle n'est pas tombée, car elle était fondée sur un roc ».

Elle était fondée sur un roc. Nous ne pouvons pas reconstruire cette économie sur le même tas de sable. Nous devons construire notre maison sur un roc. Nous devons créer une nouvelle fondation pour la

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croissance et la prospérité - une fondation qui nous fera évoluer d'une ère d'emprunt et de dépenses à une ère où nous économisons et investissons ; où nous consommons moins à la maison et envoyons plus d'exportations à l'étranger.90 (Obama, 14 avril 2009)

L’analogie effectuée entre la parabole biblique et l’économie des États-Unis par Barack Obama assimile la construction de l’économie américaine autour du pétrole à la maison bâtie sur le tas de sable tandis qu’une économie fondée sur l’exploitation d’énergies renouvelables pourrait être symbolisée par la maison bâtie sur le roc. Utiliser une parabole religieuse pour défendre la promotion des énergies peut paraître surprenant, mais comme le précise Liliane Crété « l’homo americanus est

un homo religiosus » (Crété, 2012 : 118) dont le mode de pensée a conservé nombre de traces du

passé puritain du pays. Se référer à une image biblique inscrit donc la promotion des énergies renouvelables dans les conceptions religieuses des Américains et donne à voir une particularité rhétorique du discours politique américain. Une telle représentation imagée vise certes à susciter l’adhésion des citoyens américains en faisant appel à leur univers de références et de croyances, mais elle instille aussi une dimension de sagesse religieuse au concept de transition énergétique. La transition énergétique s’apparente alors à un devoir moral et à une démarche positive ancrée dans les valeurs historiques du pays.

À l’inverse, Barack Obama produit des images en discours qui associent la consommation de pétrole à du négatif. Alors que la dépendance est envisagée et introduite sous l’angle addictif par l’orateur, les habitudes de consommation de ce pétrole sont elles aussi assimilées à des sensations désagréables :

Dans une économie qui dépend si lourdement du pétrole, la hausse des prix de la pompe affecte tout le monde : les travailleurs, les agriculteurs, les camionneurs, les restaurateurs, les étudiants qui ont la chance d'avoir une voiture. Les entreprises voient que les prix croissants à la pompe affaiblissent leurs résultats financiers. Les familles ressentent un pincement lorsqu'elles remplissent leur réservoir. Et pour les Américains qui luttent déjà pour s’en sortir, une

90 Notre traduction de : "Now, there's a parable at the end of the Sermon on the Mount that tells the story of two men. The first built his house on a pile of sand, and it was soon destroyed when a storm hit. But the second is known as the wise man, for when ‘the rain descended, and the floods came, and the winds blew, and beat upon that house, it fell not: for it was founded upon a rock.’

It was founded upon a rock. We cannot rebuild this economy on the same pile of sand. We must build our house upon a rock. We must lay a new foundation for growth and prosperity-- a foundation that will move us from an era of borrow and spend to one where we save and invest; where we consume less at home and send more exports abroad."

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hausse des prix du pétrole rend vraiment leur vie beaucoup plus difficile. Ça fait mal.91 (Obama, 30 mars 2011)

Si l’orateur dépeint les conséquences de la dépendance énergétique au pétrole, il décrit également les sensations ressenties à l’occasion de la consommation de pétrole. Déclarer que les familles « ressentent une pincée » en faisant le plein de leur voiture consiste à attribuer des sensations physiques désagréables au mode de vie basé sur la consommation de pétrole. L’orateur établit subtilement une image très négative de cette consommation à travers l’image employée. L’orateur fait appel à l’univers de sensations de son auditoire dont il interpelle plus particulièrement l’attention en établissant un lien synesthésique entre consommation de pétrole et douleur. La conclusion de ce passage discursif s’appuie également sur la douleur éprouvée par les citoyens américains en rapport avec les prix du pétrole. En procédant ainsi l’orateur conditionne son auditoire à reconnaître l’imperfection d’un système économique fondé sur la consommation de pétrole. L’image produite fait appel à des sensations désagréables afin que l’auditoire adhère plus facilement à la promotion des sources d’énergies renouvelables et des économies d’énergie qui se trouvent associées à des sensations positives. C’est non seulement une image qu’il donne à voir, mais aussi à ressentir. L’emploi de représentations imagées constitue l’occasion pour l’orateur d’amplifier le contraste qu’il souhaite établir entre l’économie fondée sur le pétrole et celle fondée sur les énergies renouvelables.

91 Notre traduction de : "In an economy that relies so heavily on oil, rising prices at the pump affect everybody-– workers, farmers, truck drivers, restaurant owners, students who are lucky enough to have a car. Businesses see rising prices at the pump hurt their bottom line. Families feel the pinch when they fill up their tank. And for Americans that are already struggling to get by, a hike in gas prices really makes their lives that much harder. It hurts."

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