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Chapitre 1 Les particularités du discours sur l’environnement d’Obama

2. Les fondements du discours environnemental d’Obama

2.2. La référence à la morale

Barack Obama fait régulièrement appel au caractère moral de la sauvegarde de l’environnement afin de pouvoir soutenir son argumentation en faveur de la promotion des énergies renouvelables, de la réduction des émissions dans l’atmosphère, et par conséquent de la lutte contre les effets néfastes du réchauffement climatique. Quels sont donc les divers éléments moraux qu’il avance pour assurer des fondations solides à son argumentation ? Barack Obama souligne notamment que la planète constitue un héritage qui sera légué aux générations futures :

Prenons la résolution de ne pas laisser à nos enfants un monde où le niveau des océans augmente, où la famine se propage et où des tempêtes terribles dévastent nos terres.60 (Obama, 24 juillet 2008)

Barack Obama enjoint l’auditoire à prendre conscience du type de planète qui pourrait être légué aux générations futures si aucune action n’est entreprise pour lutter contre le réchauffement climatique en utilisant une forme impérative propre à la langue anglaise de type let us + verbe. Cette forme particulière présente l’intérêt de mettre en valeur le caractère collectif de l’injonction de par la présence du pronom personnel complément us : la collectivité se trouve représentée en tant qu’entité personnelle, contrairement au système d’impératif français qui transmet cette notion de collectivité à travers la terminaison –ons portée par le verbe « prenons ». Avec la forme let us, l’individu se trouve tout autant mis en évidence que l’action à réaliser. Le tableau qu’il dresse s’avère plutôt apocalyptique comme il évoque la montée du niveau des océans, les famines et les tempêtes. Dans le discours de Barack Obama, chaque Américain se trouve donc confronté à ce tableau pour le moins effrayant. Si la qualité de l’héritage à léguer est soulignée, il va encore plus loin dans ce même discours lorsqu’il déclare :

C’est le moment de rendre à nos enfants leur avenir.61

Au-delà de la simple évocation de la notion d’héritage, l’orateur sous-entend que les générations futures risquent d’être spoliées d’un héritage légitime. Au niveau sémantique, « rendre » suppose la restitution d’un dû à son propriétaire : déclarer qu’il faut « rendre » leur avenir aux enfants équivaut à dire que cet avenir a en quelque sorte été volé ou détruit par les choix de la génération actuelle. L’emploi du verbe à particule give back illustre bien ce processus de restitution, la particule

back indiquant la notion de retour. Si « rendre » sous-entend implicitement la responsabilité de la

60 Notre traduction de : "Let us resolve that we will not leave our children a world where the oceans rise and famine spreads and terrible storms devastate our lands."

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génération actuelle dans la qualité de l’héritage qui sera légué à ces générations, cette responsabilité est aussi parfois directement exprimée :

Serons-nous la génération qui laissera à nos enfants une planète en déclin, ou un monde propre, sûr et prospère ?62 (Obama, 4 août 2008)

Cette question illustre le choix qui se pose aux Américains en toile de fond de la politique énergétique à mener aux États-Unis. L’alternative proposée à travers cette question n’en est pas vraiment une dans la mesure où l’orateur oppose implicitement la vision d’un héritage de qualité à celle d’un héritage empoisonné aux enfants. L’orateur implique son auditoire en employant un

« nous » collectif incluant l’ensemble de la population alors que dans les deux exemples précédents il

n’impliquait cette collectivité qu’à travers le lien de possession de « nos enfants » mettant en avant le lien de filiation existant entre la génération actuelle et la génération en devenir. En utilisant ce

« nous » pour souligner le caractère décisif du choix à effectuer, Barack Obama place la génération

actuelle face à ses responsabilités quant à l’héritage planétaire qui sera légué aux futures générations. Le choix factice qui est proposé dans sa question fait tacitement appel à l’obligation morale de veiller à transmettre un héritage de qualité à ces générations à venir. Cette obligation morale se voit encore complétée :

Nous pouvons regarder d'autres pays créer les industries et les emplois qui alimenteront notre avenir et laisser à nos enfants une planète qui se deviendra plus dangereuse et invivable jour après jour.

Ou nous pouvons choisir un autre futur.63 (Obama, 4 août 2008)

Alors que Barack Obama reformule son alternative quant au choix du type de futur que tout un chacun souhaite léguer aux générations futures à la forme assertive, il ajoute une nouvelle dimension relative aux conditions économiques à venir à l’issue du choix qui sera effectué. Les deux perspectives possibles dans la logique de l’énonciateur sont introduites par l’intermédiaire d’une modalité épistémique avec « nous pouvons » et s’articulent autour de la conjonction de coordination

« ou ». Si l’orateur crée l’illusion d’un choix, le contenu de la première proposition n’a rien

d’engageant : « regarder » dénonce ici une certaine forme de passivité dans les événements avec l’adoption d’une posture d’observateur opposée à la posture agissante des autres pays exprimée par

62 Notre traduction de : "Will we be the generation that leaves our children a planet in decline, or a world that is clean, and safe, and thriving?"

63 Notre traduction de : "We can watch other countries create the industries and the jobs that will fuel our future, and leave our children a planet that grows more dangerous and unlivable by the day.

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le verbe « créer ». De plus, la nature de l’héritage alors obtenu s’avère particulièrement négative : l’orateur évoque une planète « plus dangereuse et invivable ». L’emploi de la forme superlative amplifie le caractère négatif de deux adjectifs faisant déjà état d’un potentiel de nuisibilité. Bien que l’alternative suggérée par un « autre futur » reste vague, « autre » supposant simplement une différence, la seconde proposition s’impose en toute logique à l’auditoire. La stratégie discursive de Barack Obama s’opère ici par la dissuasion : comme l’un des deux choix proposés semble totalement déraisonnable, le choix se trouve naturellement orienté par l’orateur vers la proposition relative à la thèse qu’il défend.

Dans son discours du 6 août 2008, Barack Obama abandonne cette approche sous forme de choix et affirme :

Nous pouvons diriger le monde, sécuriser notre nation et laisser à nos enfants une planète plus sûre et plus saine que celle dont nous avons héritée.64 (Obama, 6 août 2008)

Cette évolution du discours témoigne d’une certaine volonté de prendre en compte l’héritage que la génération actuelle a elle-même obtenue des générations précédentes. Toutefois, l’orateur souligne l’intérêt de faire fructifier et évoluer positivement cet héritage en faveur des générations suivantes. Bien que l’homme politique choisisse de ne pas accentuer fortement la responsabilité de la génération actuelle, il sensibilise néanmoins son auditoire en jouant sur la fierté américaine et en impulsant indirectement une autre forme d’obligation morale fondée sur ce sentiment.

Cette notion d’héritage est envisagée par l’orateur dans une perspective à long terme :

Au cours des dernières semaines, le vice-président élu Biden et moi-même avons annoncé certains des leaders qui nous conseilleraient en ce qui concerne les défis américains du XXIe siècle, de renforcer notre sécurité, de reconstruire notre économie, de préserver notre planète pour nos enfants et nos petits-enfants.65 (Obama, 20 décembre 2008)

Telle qu’elle est présentée, la préservation de la planète constitue un « défi » pour la génération actuelle afin d’assurer un avenir de qualité aux générations à venir désignées par « nos

enfants et nos petits-enfants ». L’orateur n’utilise pas le terme de générations futures et préfère

utiliser les termes d’enfants et petits-enfants car le sémantisme de ces deux mots confère un

64 Notre traduction de : "We can lead the world, secure our nation, and leave our children a planet that is safer and cleaner and healthier than the one we inherited."

65 Notre traduction de : "Over the past few weeks, Vice President-Elect Biden and I have announced some of the leaders who will advise us as we seek to meet America's twenty-first century challenges, from strengthening our security, to rebuilding our economy, to preserving our planet for our children and grandchildren."

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caractère filial et familial à la démarche entreprise. Cette présentation de l’enjeu environnemental aligné sur d’autres préoccupations telles que la sécurité et la reconstruction de l’économie témoigne de l’importance de cette thématique aux yeux de l’orateur et met à nouveau en avant l’obligation morale de relever une certaine mission de transmission d’un pays et d’un monde en bon état de fonctionnement à tous les niveaux.

Dans la conception de Barack Obama, l’obligation morale envers les générations futures est également entendue au niveau mondial et ne se réduit pas à la communauté américaine :

Ces discussions internationales ont essentiellement eu lieu depuis près de deux décennies, et nous avons très peu d’effets probants autres qu’une accélération accrue du phénomène du changement climatique. Le temps de discussion arrive à son terme. C'est l’aboutissement : nous pouvons adopter cet accord, faire un pas en avant important, continuer à l'affiner et à bâtir sur son fondement. Nous pouvons le faire, et tous ceux qui se trouvent dans cette salle feront partie d'une entreprise historique, digne de celles qui rendent la vie meilleure pour nos enfants et nos petits-enfants.66 (Obama, 18 décembre 2009)

Le président américain fait ici appel au sens moral des divers représentants politiques présents au sommet de Copenhague. Tout d’abord, l’orateur dresse un bilan plutôt cinglant sur les effets obtenus à la suite des discussions sur le climat sous la forme d’une antiphrase mettant en adéquation la notion de réussite portée par « probant » avec l’accélération accrue du phénomène du changement climatique. Ainsi, l’orateur pose l’idée d’un échec des discussions et la nécessité d’agir. Qualifié d’« entreprise historique », l’effort commun à effectuer pour parvenir à un accord sur le climat est valorisé par l’orateur. Si Barack Obama choisit de mettre en avant la notion d’urgence de cet accord à finaliser quitte à se trouver retravaillé par la suite, l’homme politique américain souligne également la vocation morale du projet en évoquant les conséquences positives, à savoir « une vie

meilleure » pour les générations futures. Comme dans ses discours produits devant un auditoire non

politique, Barack Obama emploie « nos enfants et nos petits-enfants » pour mentionner le futur. Utiliser des liens familiaux en parlant d’une politique planétaire à instaurer permet à l’orateur de jouer sur le pathos impliqué par la situation d’une part, puis d’instiller l’idée d’une cohésion internationale en tissant un lien familial commun entre les différentes nations.

66 Notre traduction de : "These international discussions have essentially taken place now for almost two decades, and we have very little to show for it other than an increased acceleration of the climate change phenomenon. The time for talk is over. This is the bottom line: We can embrace this accord, take a substantial step forward, continue to refine it and build upon its foundation. We can do that, and everyone who is in this room will be part of a historic endeavor-- one that makes life better for our children and our grandchildren."

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Les catastrophes environnementales constituent également l’occasion de rappeler cette obligation morale de changer les pratiques actuelles pour assurer un futur de qualité aux générations à venir :

Chaque jour, nous envoyons près d’un milliard de dollars de notre patrimoine à des pays étrangers pour leur pétrole. Et aujourd'hui, en regardant le Golfe, nous voyons un mode de vie entier mis en péril par un nuage menaçant de pétrole brut.

Nous ne pouvons pas confier nos enfants à cet avenir.67 (Obama, 15 juin 2010)

Bien que la conclusion à laquelle aboutit l’orateur ne mette pas particulièrement en avant la notion d’héritage, elle souligne les obligations morales maternelles et paternelles envers leur progéniture. Déclarer « Nous ne pouvons pas confier nos enfants à cet avenir » revient à rappeler que tout parent doit veiller à la sécurité de sa descendance, « confier » supposant au niveau sémantique le fait de disposer d’un certain capital confiance permettant de déléguer la garde d’un enfant. L’orateur soulève les problèmes majeurs relatifs à la consommation intensive de pétrole pour les Américains : le coût de cette ressource, la dépendance aux pays étrangers qui la fournissent et les dangers potentiels de son exploitation en prenant en compte l’exemple de la marée noire de Louisiane. La perspective de confier des enfants à un tel type d’avenir ne correspond pas aux obligations morales parentales.

Cette conception se trouve intensifiée dans le temps :

Nous allons répondre à la menace du changement climatique, sachant que ne pas le faire constituerait une trahison envers nos enfants et les générations futures.68 (Obama, 21 janvier 2013)

Barack Obama présente la lutte contre le réchauffement climatique comme un impératif. L’inaction est assimilée à une forme de trahison à l’égard des générations à venir. Le nom « trahison » est chargé d’un sémantisme fort, indiquant un acte de déloyauté qui peut éventuellement s’apparenter à une démarche criminelle. La responsabilité de la génération actuelle se trouve donc fortement engagée par l’orateur, une génération ne pouvant moralement aspirer à trahir sa descendance. L’obligation morale se trouve encore amplifiée par la mention des « générations

67 Notre traduction de : "Each day, we send nearly $ 1 billion of our wealth to foreign countries for their oil. And today, as we look to the Gulf, we see an entire way of life being threatened by a menacing cloud of black crude. We cannot consign our children to this future."

68 Notre traduction de : We will respond to the threat of climate change, knowing that the failure to do so would betray our children and future generations. »

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futures » dans leur ensemble. L’assertion de l’orateur s’inscrit comme un impératif moral fort :

combattre le réchauffement climatique consiste à lutter pour assurer de bonnes conditions de vie à sa progéniture, mais aussi à garantir la perpétuation de l’histoire du pays.

De la même manière, Barack Obama déclare aussi :

Mais pour le bien de nos enfants et de notre avenir, nous devons faire davantage pour lutter contre le changement climatique.69 (Obama, 12

février 2013)

Dans cette assertion, Barack Obama n’évoque pas uniquement l’avenir des générations futures, mais aussi celui de la génération actuelle. L’échéance des conséquences climatiques est donc raccourcie, ou du moins présentée avec une proximité susceptible de sensibiliser l’auditoire dans la mesure où il s’agit alors de préserver son propre avenir. Alors que l’obligation morale envers l’héritage à transmettre est toujours présente, elle est indiquée dans une forme quelque peu atténuée par rapport aux exemples précédents. Elle retrouve une certaine intensité dans le dernier discours du corpus :

Ils ont reconnu que la planète se réchauffe et que l'activité humaine y contribue.

La question maintenant est de savoir si nous aurons le courage d'agir avant qu'il ne soit trop tard. Et la manière dont nous répondrons aura un impact profond sur le monde que nous ne laissons pas seulement à vous, mais à vos enfants et à vos petits-enfants.70 (Obama, 25 juin

2013)

Le discours étant produit devant un auditoire universitaire, Barack Obama évoque le monde qui sera laissé aux étudiants, soit dans un avenir plutôt proche, mais aussi celui qui sera légué à la descendance de cet auditoire dans une perspective à long terme : il s’adresse directement à son auditoire en utilisant la 2ième personne du pluriel « vous » et en faisant référence à « vos enfants et à

vos petits-enfants ». En ce sens, le discours prend l’allure d’une adresse directe à l’auditoire pour

évoquer l’avenir. Puisque lutter contre le changement climatique constitue un objectif moral à remplir pour pérenniser l’avenir de ces générations en devenir, l’urgence à mener ce combat contre

69 Notre traduction de : "But for the sake of our children and our future, we must do more to combat climate change."

70 Notre traduction de : "They've acknowledged the planet is warming and human activity is contributing to it. So the question now is whether we will have the courage to act before it’ s too late. And how we answer will have a profound impact on the world that we leave behind not just to you, but to your children and to your grandchildren."

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le réchauffement de la planète est particulièrement mise en avant lorsque Barack Obama se demande si les États-Unis, ou du moins la communauté américaine évoquée par l’usage d’un « nous » collectif, auront le « courage d’agir avant qu’il ne soit trop tard ». Alors que le « courage » se caractérise par une force d’âme particulière se manifestant en cas d’épreuve à surmonter, l’orateur fait appel à une des composantes de l’esprit américain. S’il n’indique pas de date limite précise, l’échéance ne peut être envisagée qu’à court terme étant donné que l’auditoire présent est considéré comme un héritier de la situation climatique qui doit être transmise en étant réglée. Cette dimension est de nouveau soulignée plus tard dans ce même discours :

Parce que vous et vos enfants, et les enfants de vos enfants, devrez vivre avec les conséquences de nos décisions.71

Ici, Barack Obama assure à son auditoire que les décisions qui seront prises à l’heure actuelle seront celles qui auront un impact sur la vie de leur génération et des suivantes. L’orateur met en valeur les liens de parenté qui unissent les différentes générations en les énumérant sous la forme

« vous et vos enfants, et les enfants de vos enfants ». Accentuer la filiation et les obligations morales

envers ces descendances vise à sensibiliser un auditoire jeune à ses propres intérêts, mais aussi à ses propres responsabilités à venir. En annonçant l’avenir sous cet angle particulier, Barack Obama adopte une posture se rapprochant de celle d’un prophète climatique. Cette perception du devoir à accomplir pour assurer un avenir serein aux générations futures est ensuite reprise sous la forme d’une vision projective :

Et un jour, nos enfants et les enfants de nos enfants nous regarderont dans les yeux et ils nous demanderont, avons-nous fait tout ce que nous pouvions alors que nous aurions pu résoudre ce problème et leur laisser un monde plus propre, plus sûr et plus stable ? Et je veux pouvoir dire, oui, nous l'avons fait. Ne souhaitez-vous pas cela ?72

Dans ce passage du discours, Barack Obama établit une scène fictionnelle mettant en scène des générations à venir susceptibles de s’interroger sur les actions qui ont été entreprises pour leur assurer de bonnes conditions de vie grâce à la lutte contre le réchauffement climatique. Cette hypotypose se construit dans un avenir indéfini, l’orateur la situant « un jour » dans le futur. On remarque le recours à une construction syntaxique étrange : la première question posée est adressée

71 Notre traduction de : "Because you and your children, and your children’ s children, will have to live with the consequences of our decisions."

72 Notre traduction de : "And someday, our children, and our children’ s children, will look at us in the eye and they'll ask us, did we do all that we could when we had the chance to deal with this problem and leave them a cleaner, safer, more stable world? And I want to be able to say, yes, we did. Don’ t you want that?"

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à un « nous » collectif témoignant plus de l’auto-questionnement de l’orateur que d’une question fictivement posée par les générations futures. L’orateur répond à cette question directement en