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Chapitre 4 Prédiscours et cadre prédiscursif

3. Typologie des discours sur l’environnement

3.2. Les différents types de discours sur l’environnement

Comme le fait remarquer Dryzek, les problématiques environnementales émergent dans le discours politique à la fin des années 1960, alors qu’à la même époque se trouve prise la première photo de la Terre depuis l’espace. La publication de ce premier cliché aérospatial de la planète Terre constitue le point de départ de la prise de conscience que l’humanité vit bel et bien dans un espace limité. Dès lors que la planète peut être ainsi visualisée et conceptualisée comme un espace déterminé, des inquiétudes quant à l’épuisement des ressources naturelles font rapidement surface à leur tour. Considérant la possibilité d’une éventuelle raréfaction de ces ressources, la croissance de la demande liée à l’explosion démographique s’impose comme une menace pour la survie humaine. Le discours environnemental adopte une tournure survivaliste, notamment sous l’influence du Club de Rome qui effectue des projections et des spéculations sur les limites de la croissance en 1972, dressant alors un tableau très sombre pour l’avenir.

Ainsi, le discours survivaliste est empreint d’inquiétudes quant à la capacité des écosystèmes à supporter l’accroissement incessant de la demande en ressources naturelles enclines à s’épuiser. Le ton dramatique adopté afin de mettre en avant la nécessité de la protection de l’environnement pour des raisons de survie convoie son lot d’images et de métaphores illustrant le destin tragique envisagé pour la planète ainsi que son hypothétique effondrement à la manière des cataclysmes dépeints dans les textes bibliques bien souvent. L’avenir de la planète est présenté sous un angle apocalyptique. Le discours de Barack Obama se teinte ponctuellement de cette notion de cataclysme :

Aucune nation, qu’elle soit grande ou petite, riche ou pauvre, ne peut échapper à l'impact du changement climatique. La montée du niveau de la mer menace chaque littoral. Des orages et des inondations plus puissants menacent tous les continents. Des sécheresses et de mauvaises récoltes plus fréquentes engendrent de la faim et des conflits dans des endroits où la faim et le conflit prospèrent déjà. Sur des îles qui se rétrécissent, des familles sont déjà forcées de fuir leurs maisons en tant que réfugiés climatiques26. (Obama, 22 septembre

2009)

Dans cet extrait de discours, Barack Obama met en scène les effets du changement climatique à travers une hypotypose animée par de multiples catastrophes et conséquences négatives. Le lexique utilisé témoigne d’un sémantisme global du passage orienté sur diverses formes de

26 Notre traduction de : "No nation, however large or small, wealthy or poor, can escape the impact of climate change. Rising sea levels threaten every coastline. More powerful storms and floods threaten every continent. More frequent droughts and crop failures breed hunger and conflict in places where hunger and conflict already thrive. On shrinking islands, families are already being forced to flee their homes as climate refugees."

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cataclysmes à subir à l’échelle planétaire. L’emploi de l’adverbe already, soit déjà, ancre ce tableau dans le présent, posant ainsi la certitude de l’impact du changement climatique.

Selon Dryzek, cette approche survivaliste de l’environnement trouve rapidement une réponse inscrite dans un courant de pensée opposé où les rapports entre l’homme et la nature ne sont pas considérés selon la dépendance de l’homme à un environnement borné par des ressources épuisables, mais selon la maîtrise de l’homme sur la nature et son environnement en général. Ainsi, ce contre-discours reprend le mythe de Prométhée dérobant le feu sacré dans la mythologie romaine et gagnant un pouvoir sur le monde. Dans ce type de discours dit prométhéen, l’homme est doté de la capacité à maîtriser son environnement par le progrès. Il n’y est plus question d’épuisement des ressources. Bien au contraire, l’environnement est traité comme un outil ou une machine d’approvisionnement constant pour l’homme qui doit effectuer les progrès nécessaires afin de trouver de nouvelles sources pour assurer sa subsistance. Ce courant de pensée affirme que tous les problèmes environnementaux suggérés par le discours survivaliste peuvent être mécaniquement résolus par l’homme. Le discours prométhéen ne se préoccupe donc guère des problématiques environnementales liées à la préservation. Toutefois, cette approche participe de par son existence à l’élaboration de tous les discours actuels sur l’environnement. Par exemple, le discours de Barack Obama prend parfois le contrepied de cette perception de l’environnement en affirmant l’importance pour l’homme de trouver une solution aux problèmes créés par l’homme ou en soulignant le caractère fossile des carburants.

Si l’approche survivaliste et la vision prométhéenne de l’environnement s’affrontent et s’imposent en totale contradiction, John Dryzek distingue également des discours sur l’environnement qui sont moins teintés par la force de leur conviction, reconnaissant les problèmes environnementaux tout en les présentant comme solvables par la société. Ainsi, le rationalisme administratif se veut rassurant en consacrant la juste attention nécessaire aux problèmes environnementaux. De la même manière, le pragmatisme démocratique développé par certains discours met en avant l’esprit de citoyenneté requis pour résoudre les problématiques environnementales. Dryzek signale aussi un courant idéologique et discursif fondé sur le rationalisme économique, instituant l’environnement comme une entité privatisable et donc économiquement gérable par la taxation. Bien que ces trois approches s’avèrent extrêmement spécialisées par leur angle d’approche, elles constituent un véritable vivier argumentatif pour tout discours politique sur l’environnement. La distinction établie peut permettre de mieux comprendre les axes choisis pour étayer la rhétorique environnementale développée dans notre corpus en fonction des événements et de l’auditoire.

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Alors que la typologie établie par Dryzek propose encore plusieurs grands types de discours, les discours écologiques et verts radicaux apparaissent trop marqués idéologiquement pour contribuer à l’analyse de notre corpus. Néanmoins, ces discours imposent une réflexion sur le lien social que l’homme se doit d’entretenir avec la nature qui ne peut être conçue comme une entité mécanique ou mercantile, mais au contraire dans sa qualité organique. C’est cette qualité organique qui est mise à l’honneur avec la naissance du discours sur la durabilité suite à la publication du rapport Bruntland en 1987. En effet, la commission Bruntland reconnaît que les ressources sont écologiquement limitées, mais elle affirme aussi que leur durabilité peut être allongée en prenant les mesures qui conviennent. Pour cette raison, Dryzek souligne le fait que la différence entre le discours prométhéen et le discours sur le développement durable se fonde essentiellement sur le rôle attribué à l’homme. Ainsi, pour définir le discours sur le développement durable, il postule que :

il exige des efforts collectifs coordonnés pour atteindre des objectifs, plutôt que de compter sur la spontanéité et l'ingéniosité humaines.27

(Dryzek, 2005 : 147)

Si la différence entre les points de vue adoptés semble évidente, il reste difficile pour un homme politique américain de promouvoir un discours en faveur du développement durable. L’adjectif sustainable est globalement peu présent dans le corpus de discours de Barack Obama qui en compte seulement 10 occurrences, ainsi que 7 occurrences du verbe sustain consacrées à la thématique environnementale. Cette faible représentation du concept de soutenabilité est également marquée par l’absence de son association au concept de développement dans le corpus de discours. Mettre en avant la notion d’efforts collectifs dans un pays connu pour faire primer le droit à la liberté d’entreprise individuelle et la réussite individuelle reste compliqué et nécessite une certaine vigilance quant aux mots et aux arguments employés ainsi qu’aux procédés rhétoriques à utiliser. Il en est de même pour l’approche globale de ce type de discours. Analyser cette mise en œuvre peut contribuer à la compréhension du traitement de la question environnementale dans les discours de Barack Obama, mais cela peut également aider à cerner certaines différences entre le mode de pensée américain et le mode de pensée européen francophone.

Alors qu’il existe une différence de sens originelle entre les concepts de « sustainable

development » et de « développement durable » impliquée par la formulation elle-même du concept

dans les deux langues, la lexie américaine insistant sur la soutenabilité du développement tandis que la lexie francophone met en avant le caractère de durabilité, cette expression d’une même réalité par

27 Notre traduction de : "it requires coordinated collective efforts to achieve goals, rather than relying on human spontaneity and ingenuity."

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des lexies qui ne sont qu’approximativement équivalentes trahit linguistiquement la différence d’approche environnementale inhérente aux deux communautés de culture. L’emploi de sustain et de

sustainable dans le corpus de discours de Barack Obama dévoile une subtilité langagière différente,

ces deux mots étant régulièrement associés à la notion de futur, d’énergie avec la notion de carburant (fuel) ou d’économie avec l’idée de croissance (growth). Le calcul des cooccurrences de

sustain et sustainable permet d’établir un panorama général de l’usage d’un mot dans un corpus de

discours, la cooccurrence pouvant être considérée comme une « forme minimale du contexte » (Mayaffre, 2008 : 61). Ce calcul aboutit à la représentation graphique suivante :

Figure 7. Cooccurrences de sustain et sustainable dans le corpus de discours de Barack Obama

Ainsi, le développement qui semble être privilégié par le discours de l’homme politique est axé sur les thématiques énergétiques et économiques. Alors que l’association de sustain ou

sustainable à development témoigne d’un processus en mouvement, le rapprochement de ces

notions à l’idée de futur repose sur l’établissement d’un objectif à long terme. Le discours de l’homme politique est résolument tourné vers l’avenir. La présence de faith et de sacrifice parmi les cooccurrences les plus fréquentes de sustain et sustainable peut interroger, mais elle témoigne de l’inscription de l’orateur du concept de soutenabilité dans la dimension religieuse culturelle des États-Unis. De même, la présence de neighbours implique l’idée d’un autrui proche dont on doit être solidaire, rappelant la notion de collectivité de la nation américaine déjà signalée par la présence de

we en cooccurrence. En ce sens, l’emploi de sustain et sustainable dans le discours de Barack Obama

semble correspondre à la définition de John Dryzek qui met en avant l’idée d’efforts collectifs à fournir.

Enfin, l’environnement peut être discuté sous l’angle de la modernisation écologique qui est un type de discours apparu en Allemagne dans les années 1980. Cette approche ressemble fortement

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CoFréq

CoFréq

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à celle développée par le développement durable, car elle prend en compte la complexité des différents systèmes en jeu et parce qu’elle met en avant la nécessité de la préservation des ressources. Toutefois, elle construit son argumentaire sur la restructuration complète de l’économie selon une ligne de conduite respectueuse de l’environnement. La modernisation écologique est un discours qui se veut rassurant en établissant un lien entre environnement, économie et progrès social, bien qu’elle ne s’intéresse pas à la répartition des richesses à travers le monde. Dryzek relève un point très amusant au sujet du lien effectué par la modernisation écologique entre l’économie et l’écologie :

Les mots 'économie' et 'écologie' proviennent tous les deux du grec oikos, signifiant ménage.28 (Dryzek, 2005 : 171)

Relier les mots économie et écologie à la notion de ménage, revient à affirmer l’importance de les accorder pour bénéficier du confort généralement attendu d’un foyer domestique. Il s’agit donc de restructurer l’économie selon une ligne de conduite bénéfique pour l’environnement, tout en profitant également au bien-être de la population. Le discours repose sur des concepts et des assertions qui prônent le changement et la restructuration avec un ton rassurant, l’objectif étant que la modernisation écologique bénéficie à tous. Un lien est établi entre prospérité économique et souci de préservation de l’environnement. Lorsqu’il évoque les bienfaits de la transition énergétique et ses retombées économiques, Barack Obama inscrit son discours dans cette perception du traitement de l’environnement.

28 Notre traduction de : "The words 'economics' and 'ecology' both derive from the Greek oikos, meaning household."

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