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Chapitre 1 Les particularités du discours sur l’environnement d’Obama

1. Le positionnement du discours d’Obama sur l’environnement

1.1. La singularisation du discours d’Obama sur l’environnement

Le choix de traiter la question environnementale dans son discours est clairement déclaré et annoncé par Barack Obama. L’homme politique assume non seulement sa prise de position, mais il choisit également de l’intégrer à sa rhétorique d’une manière prononcée afin de se démarquer de la prise de position de Georges W. Bush sur le sujet. Comment parvient-il à instiller l’idée que son discours est radicalement différent de celui tenu par son prédécesseur républicain ? Tout d’abord, il laisse entendre que ses propos se trouvent en rupture avec ceux de son prédécesseur sans même le nommer ou reprendre ses propos. Marquer une telle différence revient à conférer au discours ainsi produit une vocation de réhabilitation de la question environnementale, mais cela singularise également le discours de l’orateur grâce à la suggestion implicite d’une idée de rupture discursive vis-à-vis de son prédécesseur et de ses rivaux politiques.

Pour parvenir à ses fins, Barack Obama développe son discours sur le traitement de la question environnementale en insistant sur la notion de temps et de moment. Ainsi, l’homme politique fraichement élu, mais encore non investi dans ses fonctions présidentielles, annonce la nomination à venir de scientifiques reconnus à quelques postes clefs de son futur gouvernement le 20 décembre 2008 et déclare alors :

Il est temps que nous remettions la science au sommet de notre agenda et que nous travaillions à restaurer la place de l’Amérique en

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tant que leader mondial en science et en technologie.29 (Obama, 20

décembre 2008)

Cette assertion de l’orateur joue sur le sous-entendu que la science et la technologie ont été délaissées par le gouvernement américain pendant un certain temps. L’implicitation telle qu’elle est exprimée met en valeur différents aspects du sous-entendu à comprendre par l’auditoire. L’emploi de l’expression « il est temps de » positionne le discours de l’orateur comme un point de repère dans l’histoire politique du pays : les nominations effectuées constituent un temps fort à retenir et suggèrent un tournant politique. Au niveau sémantique, « il est temps de » situe le moment de l’énonciation sur un axe chronologique : il pose l’actualité d’un « temps », c’est-à-dire d’un instant t, avec un avant et un après. Il pose par là, de manière implicite, l’existence d’un passé révolu et décrit par implication négative : si en effet « il est temps » de « remettre la science au sommet » de l’agenda présidentiel et de « restaurer la place de l’Amérique en tant que leader mondial », c’est que, sous le précédent mandat, la science avait perdu ce statut et l’Amérique avait perdu sa place. Le préfixe re- des verbes remettre et restaurer dénote un retour à un état antérieur : en l’occurrence, il indique que la science a déjà eu l’occasion d’être considérée comme une priorité au cours de l’histoire américaine, mais qu’elle a été depuis délaissée et reléguée au second plan des préoccupations politiques. L’alternance présidentielle laisse à penser que c’est donc son prédécesseur républicain, George Walker Bush, qui est considéré par Obama comme le responsable de l’abandon de cette priorité politique.

Au niveau discursif, « il est temps de » suggère également une notion d’urgence relative dans le changement de positionnement à adopter. Selon le TLFi, « il est temps de + inf » suppose qu’il est opportun de faire quelque chose30. Cette expression marque l’instant t choisi et défini comme tel par l’énonciateur pour basculer d’un état à un autre : comme le locuteur estime qu’il est temps de faire quelque chose, c’est donc que la continuité de l’état actuel ne constitue pas une option envisageable dans sa conception des choses. C’est la subjectivité de l’énonciateur qui détermine cet instant t qui ne se trouve matérialisé qu’à travers le hic et nunc de l’énonciateur lui-même.

Barack Obama emploie assez régulièrement it’s time, soit « il est temps de » (voir annexes p.- 371 -), dans son discours afin de démarquer ses positions de celles de ses concurrents politiques. Si ce marquage temporel ne se limite pas au traitement de la question environnementale et se trouve utilisé pour différentes thématiques abordées en discours, qu’elles soient en lien ou non avec la

29 Notre traduction de : "It’s time we once again put science at the top of our agenda and work to restore America’s place as the world leader in science and technology."

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thématique environnementale, son emploi se retrouve souvent dérivé sous une forme encore plus forte lorsque les thématiques énergétiques sont abordées :

Il est maintenant temps de mettre fin à cette dépendance, et de comprendre que le forage est une mesure bouche-trou, pas une solution à long terme.31 (Obama, 28 août 2008)

L’orateur renforce le marquage temporel par l’emploi de maintenant, soit now dans le discours originel. L’adjonction de cet adverbe permet d’insister sur la notion de moment constituant un tournant politique et historique. Au niveau discursif, l’ajout de « maintenant » à « il est temps de » vient préciser le hic et nunc de l’énonciateur politique. « Maintenant » signale cet instant t qui se trouve dès lors partagé par l’orateur avec son auditoire au moment de l’énonciation.

Dans ce discours produit à la Convention Démocrate, l’emploi de cette forme now is the time

to ou « il est maintenant temps de » se trouve d’autant plus renforcée que l’orateur en fait usage à 17

reprises (voir annexes p. - 372 -) pour introduire les divers points de renouvellement que la politique américaine doit à son sens entreprendre. Cette anaphore ponctuant le discours permet de constater que la thématique énergétique est mise sur le même plan que les autres thématiques évoquées par l’orateur. Dans l’exemple choisi, le marquage temporel sert à indiquer la nécessité d’une nouvelle approche en matière de politique énergétique. Au niveau sémantique, le prédicat « mettre fin à » précise l’action de poser une limite terminale. Dans ce cas, précis, il s’agit de poser un terme à la dépendance énergétique du pétrole.

Ici, l’orateur ne se distingue pas uniquement d’une politique individuelle, mais de la politique menée depuis le développement de l’exploitation du pétrole et des forages. L’orateur propose sa perception du forage en opposant la définition de ce qu’il est, à savoir une « mesure bouche-trou », à ce qu’il n’est pas, soit une « solution à long terme ». La mise en apposition de ces deux formes définitives du forage constitue une répétition visant à renforcer le point de vue de l’orateur. Au niveau sémantique, qualifier le forage de « mesure bouche-trou » revient à signaler qu’il s’agit d’une mesure venant combler un vide et qui vient dissimuler une lacune. Cela consiste à discréditer la validité et la qualité de la mesure prise. Préciser que ce n’est pas « une solution à long terme » renie l’accession de la mesure au statut de réponse juste ou satisfaisante aux problèmes complexes posés par la dépendance énergétique du pays. De plus, « à long terme » met en évidence la dimension temporelle de la solution à apporter pour résoudre efficacement le problème. Bien que « mesure

bouche-trou » ne signale pas d’espace temporel particulier clairement balisé, cette lexie implique

31 Notre traduction de : "Now is the time to end this addiction, and to understand that drilling is a stop-gap measure, not a long-term solution."

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l’idée d’un temps limité et suggère une certaine vacuité qui s’oppose à « mesure à long-terme » en ce qui concerne la notion d’efficacité. C’est donc encore le temps qui est mis en valeur à travers les mots et les oppositions effectuées par l’orateur.

Alors candidat démocrate à la présidentielle, Barack Obama invite ses pairs et l’ensemble de son auditoire à travers cette déclaration à réfléchir au changement de politique énergétique qui s’impose en raison du caractère fossile de cette énergie pétrolière amenée à se raréfier et à s’épuiser. Cette assertion met en avant la posture réflexive politique de l’orateur vis-à-vis de la problématique énergétique et de la raréfaction des ressources actuellement utilisées par la communauté américaine, mais elle tend également à le distinguer de l’ensemble de la classe politique en positionnant son discours dans une démarche visionnaire et novatrice.

Parallèlement, le discours de Barack Obama définit régulièrement les habitudes énergétiques du pays installées par les politiques précédemment menées comme désuètes et relevant du passé. Pour remédier aux problèmes environnementaux et énergétiques, l’orateur propose une vision prospectiviste du développement des énergies renouvelables capables selon lui d’assurer l’avenir énergétique du pays. Il utilise donc régulièrement les notions de passé, présent et futur dans son discours pour susciter l’adhésion de l’auditoire aux idées qu’il développe, mais aussi pour se démarquer de ses adversaires politiques, voire même parfois pour dénigrer les idées proposées par ceux-ci. Comment Barack Obama procède-t-il donc pour parvenir à ses fins en jouant sur le marquage temporel des idées qu’il développe dans ses discours ?

Dans les discours prononcés à l’occasion de la campagne électorale de 2008, Barack Obama se distingue de son rival républicain John McCain en rappelant régulièrement la politique menée par celui-ci par le passé :

Pendant des décennies, John McCain a participé à cet échec à

Washington. Oui, il est allé plus loin que certains dans son parti pour parler du changement climatique. Et c'est louable. Mais à maintes

reprises, il s'est opposé à investir dans les sources alternatives

d'énergie qui ont contribué à alimenter certains des mêmes projets et entreprises qu'il met en évidence dans cette campagne. Il a voté contre les biocarburants. Contre l'énergie solaire. Contre l'énergie éolienne. Contre un projet de loi sur l'énergie de 2005 qui représentait l'investissement le plus important dans les sources d'énergie renouvelables [...32]. (Obama, 24 juin 2008)

32 Notre traduction de : "For decades, John McCain has been a part of this failure in Washington. Yes, he has gone further than some in his party in speaking out on climate change. And that is commendable. But time and time again, he has opposed investing in the alternative sources of energy that have helped fuel some of the very

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Bien que Barack Obama semble à première vue concéder à John McCain sa prise en considération de la problématique environnementale au cours de la campagne, le rappel de la politique menée par celui-ci permet à l’orateur de décrédibiliser l’engagement de son concurrent républicain. Le marquage temporel employé avec « pendant des décennies » et « à maintes reprises » contribue à accentuer le dénigrement de son adversaire. La préposition « pendant » marque la durée. Lorsqu’elle est suivie d’un quantificateur vague, tel que « des décennies », dont les limites ne sont pas bornées dans le temps, elle exprime l’idée d’une durée continue. En l’occurrence, l’emploi de

« pendant des décennies » incite à penser que John McCain a adhéré à une politique peu soucieuse de

l’environnement pendant un nombre d’années considérables avant de changer sa position à l’occasion de la campagne électorale. Le sémantisme de « à maintes reprises » met en évidence le caractère itératif d’une action, « maintes » accentuant particulièrement l’intensité de la répétitivité induite par « reprises ». Dans cet extrait, « à maintes reprises » suggère donc un engagement marqué de son rival républicain à l’encontre des mesures en faveur de l’environnement. Accentuer ainsi les incohérences entre le dire et les actes menés par son concurrent constitue une occasion pour l’orateur de valoriser la validité de son propre dire. Si Barack Obama opère le même dénigrement de l’engagement de John McCain en faveur de l’environnement dans les autres discours de campagne de notre corpus, le procédé employé diffère néanmoins quelque peu :

Vous ne m'entendrez pas dire cela trop souvent, mais je ne pourrais me trouver plus en accord avec l'explication que le sénateur McCain a proposée il y a quelques semaines. Il a déclaré : « Notre dangereuse dépendance à l'égard du pétrole étranger a duré trente ans et a été causée par l'échec des politiciens de Washington à réfléchir sur l'avenir du pays à long terme ».

Ce que le sénateur McCain a négligé de mentionner, c'est que pendant

ces trente ans, il était à Washington durant vingt-six d'entre eux. Et pendant tout ce temps, il a fait peu pour réduire notre dépendance à

l'égard du pétrole étranger. Il a voté contre l'augmentation des normes d'efficacité énergétique et s'est opposé à la législation qui comprenait des crédits d'impôt pour des voitures plus efficaces. Il a voté contre les sources d'énergie renouvelables. Contre les biocarburants propres. Contre l'énergie solaire. Contre l'énergie éolienne. Contre un projet de loi sur l'énergie qui, bien que loin d’être parfait, représentait le plus gros investissement dans les sources

same projects and businesses he's highlighting in this campaign. He's voted against biofuels. Against solar power. Against wind power. Against a 2005 energy bill that represented the largest ever investment in renewable sources of energy [...]"

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d'énergie renouvelables dans l'histoire de ce pays. Donc, lorsque le sénateur McCain parle de l'échec des politiciens à Washington à faire quelque chose au sujet de notre crise énergétique, il est important de se rappeler qu'il a fait partie de cet échec. Maintenant, après des

années d'inaction, et face à la frustration publique due à la hausse

des prix du pétrole, la seule proposition énergétique qu'il promet vraiment est plus de forage en mer – une position qu'il a récemment adoptée qui est devenue la pièce maîtresse de son plan [...]33 (Obama,

4 août 2008)

Dans cet extrait, le discrédit de John McCain s’organise autour de différentes utilisations particulières des marqueurs temporels. Le passage se trouve structuré par 8 formes de marquage temporel différentes : « il y a quelques semaines », « trente ans », « pendant ces trente ans »,

« durant vingt-six d’entre eux », « pendant tout ce temps », « maintenant », « après des années d’inaction » et « récemment ». L’analyse de leur emploi permet de comprendre le fonctionnement

argumentatif de cet extrait de discours.

Le premier marqueur « il y a quelques semaines » replace l’action dont il est question dans un temps antérieur relativement indéfini. Ce marqueur suggère une action passée, mais il n’indique pas de date précise et suggère simplement que l’action a eu lieu depuis un certain temps déjà. En fait, l’adjectif « quelques » marque une indétermination du nombre de semaines que l’énonciateur ne peut pas ou ne souhaite pas préciser. En l’occurrence, Barack Obama rappelle des propos tenus par son rival républicain « il y a quelques semaines », auxquels il dit adhérer.

Le second marqueur temporel, « trente ans » est inclus dans la citation que l’orateur fait des propos de son adversaire républicain. Il suggère une durée quantifiée en nombre d’années, soit une durée plutôt longue énoncée par John McCain et citée en discours direct par Barack Obama. La présence de ce marqueur temporel dans le discours rapporté revêt une certaine importance car il est ensuite repris par Barack Obama sous la forme « pendant ces trente ans ». Ainsi, Barack Obama

33 Notre traduction de : "You won't hear me say this too often, but I couldn't agree more with the explanation that Senator McCain offered a few weeks ago. He said, "Our dangerous dependence on foreign oil has been thirty years in the making, and was caused by the failure of politicians in Washington to think long-term about the future of the country.

What Senator McCain neglected to mention was that during those thirty years, he was in Washington for twenty-six of them. And in all that time, he did little to reduce our dependence on foreign oil. He voted against increased fuel efficiency standards and opposed legislation that included tax credits for more efficient cars. He voted against renewable sources of energy. Against clean biofuels. Against solar power. Against wind power. Against an energy bill that – while far from perfect – represented the largest investment in renewable sources of energy in the history of this country. So when Senator McCain talks about the failure of politicians in Washington to do anything about our energy crisis, it's important to remember that he's been a part of that failure. Now, after years of inaction, and in the face of public frustration over rising gas prices, the only energy proposal he's really promoting is more offshore drilling – a position he recently adopted that has become the centerpiece of his plan [...]"

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reprend à son compte le marqueur temporel employé par John McCain pour désigner cette durée de trente ans : la préposition « pendant » est suivie d’un nombre d’années définies et désignées comme étant celles précisées par l’homme politique républicain grâce à l’emploi de l’adjectif démonstratif

« ces ». Le marqueur temporel suivant « durant vingt-six d’entre eux » vient prélever une partie du

temps balisé par les trente ans du marqueur employé par l’homme politique républicain. Pourquoi donc Barack Obama choisit-il d’organiser son propre discours autour du marquage temporel employé dans le discours de son rival politique ?

Bien que le candidat démocrate concède dans un premier temps avoir un point commun avec son adversaire en rapportant son dire et en l’agréant, il souligne directement l’inadéquation des déclarations effectuées par John McCain avec sa ligne de conduite antérieure en prenant appui sur le marquage temporel utilisé par le républicain dans son discours. Ainsi, Barack Obama exploite les

« trente ans » auxquels John McCain fait référence pour évoquer la durée de la dépendance au

pétrole afin de mettre en avant la longévité durant laquelle son rival n’a pas cherché à résoudre ce problème de dépendance énergétique du pays en signalant que « pendant ces trente ans » de vie politique John McCain était présent durant « vingt-six d’entre eux ». La focalisation sur les trente ans de vie politique dont le sénateur républicain fait état ainsi que le prélèvement de « vingt-six d’entre

eux » sert la stratégie discursive de Barack Obama pour discréditer la validité du dire de son

adversaire. Dans cette première partie de l’extrait, l’orateur structure son argumentation autour du marquage temporel de John McCain. En procédant ainsi, il met en évidence sa passivité politique, mais aussi son illégitimité à s’inscrire en tant qu’homme politique capable de mettre un terme à la dépendance énergétique du pays.

En ce qui concerne les marqueurs employés dans la seconde partie de cet extrait de discours, l’adverbe « maintenant » pose le moment où l’on parle, à savoir le présent plus ou moins étendu de l’énonciation du discours. Ce moment présent ne concerne pas exclusivement le jour même de l’énonciation, mais peut désigner une époque présente. Son emploi tend donc à marquer une rupture avec un temps considéré comme passé et révolu par l’énonciateur. En l’occurrence, Barack Obama l’emploie pour expliquer en une phrase le virage politique que son concurrent vient d’opérer

« maintenant ». Ce « maintenant » concerne donc le présent de la campagne électorale pour les

présidentielles américaines de 2008. Le marqueur « après des années d’inaction » qui lui est apposé contribue à définir ce « maintenant » dans la perception de l’orateur. Si la préposition « après » situe le procès dans le passé, son complément précise la durée et la nature de la postériorité exprimée : ainsi, ce « maintenant » survient « après des années d’inaction ». Alors qu’il signale l’évolution du discours politique de son adversaire républicain, Barack Obama souligne de nouveau la passivité vis-à-vis de la problématique énergétique dont le sénateur républicain a fait preuve jusqu’à présent. Enfin,

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l’adverbe « récemment » indique la proximité de l’actualité d’une action. Comme Barack Obama remarque que son rival républicain s’est « récemment » prononcé en faveur des forages en mer afin