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Chapitre 2 La construction argumentative du discours environnemental d’Obama

1. Les arguments majeurs invoqués

1.1. L’indépendance énergétique

Pour justifier la nécessité de la transition énergétique, Barack Obama fait régulièrement allusion à la notion d’indépendance énergétique. La lexie energy independence désigne cette indépendance énergétique. Se construisant autour du nom noyau independence, elle suppose une situation où la nation ne se trouve pas soumise à un quelconque pouvoir extérieur : dans le cas de la

lexie energy independence, la relation de force avec l’extérieur s’établit en raison de la consommation

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s’affranchir. Le corpus de discours présente 15 occurrences de la lexie energy independence (voir annexes p. - 413 -). Quelle réalité l’orateur inscrit-il dans son discours en recourant à l’emploi de cette lexie ? L’analyse des diverses occurrences démontre d’abord qu’il s’agit d’un concept présent dans l’histoire politique américaine depuis longtemps déjà :

Nous avons entendu des promesses concernant l'indépendance énergétique de la part de chaque président depuis Richard Nixon. Nous avons entendu parler de freiner l'utilisation des combustibles fossiles dans les discours sur l'État de l'Union depuis l'embargo sur le pétrole de 1973.73 (Obama, 4 août 2008)

En faisant référence à l’indépendance énergétique, l’orateur revient sur l’histoire politique du pays en matière d’énergie, cette problématique ayant émergé au cours des années 70 à l’occasion du premier choc pétrolier. La structure de ce passage fonctionne avec la répétition anaphorique de

« nous avons entendu » mettant en évidence le caractère itératif du traitement discursif de la

question de l’indépendance énergétique : l’orateur prend soin de préciser que cette thématique constitue un sujet récurrent des différents discours sur l’État de l’Union depuis 1973 pour souligner la constance de cette préoccupation énergétique au cours des différents mandats présidentiels précédents. Si l’usage de la lexie indépendance énergétique, soit energy independence, n’est pas récent, il témoigne d’une certaine précaution oratoire perpétuée par les divers présidents en discours et reconduite par Barack Obama : bien que l’idée convoyée par energy independence soit clairement celle d’une réduction puis d’une suppression de la consommation de pétrole, l’orateur n’utilise qu’une fois dans tout le corpus de discours la lexie plus explicite oil independence (Obama, 4 août 2008). Préférer l’usage en discours d’energy independence à celui d’oil independence permet aux hommes politiques de mettre en valeur le but à atteindre plutôt que la nature des actions à mettre en œuvre. L’orateur n’évoque d’ailleurs pas directement le pétrole dans l’explication qu’il développe, mais évoque les « combustibles fossiles » en général.

Energy independence suppose à première vue le simple passage à un état d’indépendance

énergétique car la lexie ne porte pas en elle-même l’idée de la nécessaire réduction de la consommation de pétrole que le passage à cet état implique. Pour cette raison, Barack Obama rappelle fréquemment les efforts à fournir pour accéder à cet état d’indépendance en évoquant la durée :

73 Notre traduction de : "We've heard promises about energy independence from every single President since Richard Nixon. We've heard talk about curbing the use of fossil fuels in State of the Union addresses since the oil embargo of 1973."

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[...] le défi à long terme de l'indépendance énergétique74 (Obama, 4

août 2008)

[...] les premières étapes de notre voyage vers l'indépendance énergétique75 (Obama, 26 janvier 2009)

[...] j'ai mis en avant un ensemble de principes qui amèneraient notre pays vers l'indépendance énergétique76 (Obama, 15 juin 2010)

L’usage de cette lexie se trouve associé au processus de transition énergétique de réduction de la consommation de pétrole à effectuer pour accéder à l’état d’indépendance énergétique sous divers angles. Le premier exemple souligne la durée avec long-term, le second évoque la nécessité de procéder par étapes et assimile le processus de transition à une forme de voyage alors que le troisième exemple lie l’impact des décisions politiques à mettre en œuvre à la notion de durée avec le verbe move. Le processus de conversion des États-Unis à une nouvelle forme de consommation énergétique est donc envisagé dans une durée organisée et planifiée, résultant d’une action collective guidée par l’état.

La lexie energy independence n’apparaît qu’en 15 occasions dans le corpus de discours, mais cet argument s’appuie également sur l’emploi de dependence. La « dépendance » pose la notion d’inféodation à la consommation énergétique : l’état de dépendance des États-Unis envers le pétrole et les pays fournisseurs de cette source d’énergie est quant à lui souligné grâce aux 48 occurrences du nom dependence (voir annexes p. - 414 -). La lexie energy dependence présente 4 occurrences parmi celles-ci. Le corpus comporte également 6 occurrences de la lexie oil dependence. L’état de dépendance actuel du pays est donc mis en avant par l’orateur qui l’oppose à l’objectif fixé d’indépendance énergétique. Dans les discours des 4 et 6 août 2008, Barack Obama qualifie cette dépendance au pétrole de dangerous dependence. Si cette dangerosité de la dépendance énergétique actuelle est perceptible à travers les choix de qualification et de définition de l’orateur, celui-ci n’hésite pas à l’accentuer au cours du discours produit devant la Convention Démocrate le 5 février 2009 en la qualifiant de crippling dependence, soit de dépendance handicapante. Cette qualification de la dépendance confère une dimension pathologique au problème énergétique. Mettre un terme à cette dépendance revient alors à effectuer un acte thérapeutique pour le pays.

Les 7 occurrences de dependent (voir annexes p. - 416 -) présentes dans le corpus sont associées à des évaluations quantitatives de la dépendance des États-Unis au pétrole de par l’utilisation de formes de comparatifs de supériorité ou d’infériorité. Le corpus compte 2 occurrences

74 Notre traduction de : "[...] the long-term challenge of energy independence"

75 Notre traduction de : "[...] the first steps on our journey toward energy independence"

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de more dependent, soit « plus dépendant », et 3 occurrences de less dependent, soit « moins

dépendant ». La trop grande importance de la dépendance au pétrole du pays se trouve soulignée en

une occasion dans le corpus avec too dependent, soit « trop dépendant ». Si l’orateur quantifie ainsi la dépendance au pétrole, il souligne également à deux reprises la durée de cette dépendance avec les formes still more dependent (Obama, 4 août 2008) et still dependent (Obama, 30 mars 2011). Préciser que le pays est encore plus dépendant ou toujours dépendant équivaut à rappeler qu’aucune mesure n’a véritablement été mise en œuvre jusqu’alors pour solutionner ce problème. Bien que l’adjectif

independent soit utilisé à 9 reprises dans le corpus, les différentes occurrences ne concernent pas

particulièrement le problème de la dépendance au pétrole (voir annexes p. - 416 -), ce qui confirme bien le fait que l’indépendance énergétique constitue encore une quête à mener par le pays afin d’atteindre son objectif.

Barack Obama utilise régulièrement addiction pour faire allusion à cette dépendance au pétrole. La définition d’addiction fournie par le Merriam Webster dictionary est « besoin compulsif et

utilisation d'une substance formant une habitude (comme l'héroïne, la nicotine ou l'alcool) caractérisée par une tolérance et par des symptômes physiologiques bien définis lors du retrait ; en général : l'utilisation compulsive persistante d'une substance connue par l'utilisateur pour être nocif »77. Employer ce nom pour qualifier la dépendance au pétrole consiste donc à assimiler la

consommation de pétrole à celle d’une drogue. Sur les 14 occurrences d’addiction dans le corpus, 5 sont d’ailleurs directement associées à oil (voir annexes p. - 418 -). Utiliser addiction ou la lexie composée oil addiction consiste à affirmer le caractère nocif de la consommation de pétrole pour les Américains, mais aussi la difficulté éprouvée à se retirer de cet usage, le terme addiction faisant allusion aux symptômes du manque ressenti en cas de sevrage. L’emploi de ce mot particulièrement fort, qui accorde une dimension pathologique au problème énergétique des États-Unis, vient recouvrir la réalité des réticences exprimées quant à la diminution de la consommation de pétrole, le mode de vie des Américains se fondant historiquement sur le développement et l’utilisation de l’automobile, et par conséquent la consommation de pétrole.

Bien que la nocivité de cette dépendance soit relative à la source énergétique que constitue le pétrole, elle induit également une dépendance à des pays fournisseurs que l’orateur désigne par des mots connotés négativement tels que tyrants (Obama, 4 août 2008) en une occasion, dictators à 7 reprises (voir annexes p. - 419 -), adversaries (Obama, 20 janvier 2009) ou encore the world’s most

unstable and hostile nations (Obama, 4 août 2008) et hostile regimes (Obama, 26 janvier 2009), soit

77 Notre traduction de : "compulsive need for and use of a habit-forming substance (such as heroin, nicotine, or alcohol) characterized by tolerance and by well-defined physiological symptoms upon withdrawal; broadly : persistent compulsive use of a substance known by the user to be harmful"

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des « tyrants », des « dictateurs », des « adversaires » ou les « nations les plus instables et hostiles du

monde » ainsi que les « régimes hostiles ». Qualifier ainsi les pays fournisseurs de pétrole consiste à

révéler à l’auditoire l’impact géopolitique de la consommation de pétrole, mais aussi à mettre en évidence la dépendance tacite des États-Unis à des pays relevant de l’ennemi. Ainsi, Barack Obama fait appel au sentiment patriotique des Américains lorsqu’il oppose les notions de dépendance et d’indépendance énergétique.

La présentation discursive du problème énergétique proposée par Barack Obama impose la transition énergétique comme un acte patriotique à mener qui rappelle en quelque sorte les valeurs promues par la Déclaration d’Indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776, la sécurisation des droits américains passant désormais par une rupture de la dépendance au pétrole. Ce rapprochement historique de la situation de dépendance énergétique à celle vécue par les colonies d’Amérique envers la Grande-Bretagne du XVIIIe siècle est d’autant plus perceptible que l’orateur construit l’image de dépendance énergétique comme celle d’une forme de soumission ou d’asservissement du pays aux fournisseurs de pétrole à plusieurs reprises. Ainsi, l’orateur fait référence à la tyrannie avec

the tyranny of oil (Obama, 5 février 2009) et inscrit les États-Unis dans la position de quémandeur

avec l’emploi de différentes formes du verbe beg :

Maintenant, nous sommes obligés de mendier auprès de l'Arabie Saoudite pour obtenir plus de pétrole.78 (Obama, 24 juin 2008)

et :

[...] voulez-vous voir une Amérique qui implore les dictateurs pour obtenir plus d’un pétrole que nous ne pouvons nous permettre ?79

(Obama, 24 juin 2008)

Représenter les États-Unis dans une position de mendiant vis-à-vis d’autres pays permet à l’orateur de faire appel à la fierté américaine tout en s’appuyant sur l’histoire de la fondation du pays. D’une manière plus moderne, le lien affaiblissant l’autonomie et l’indépendance américaine est encore représentée par l’orateur à travers l’idée que les États-Unis se retrouvent dans une position de prise d’otage avec to be held hostage à l’occasion des discours des 4 août 2008 et 26 janvier 2009. En expliquant la problématique énergétique sous cet angle, la consommation de pétrole du pays ne peut plus trouver une pleine justification dans l’impossibilité de négocier un mode de vie historique car l’orateur se réfère aux valeurs fondatrices de la nation américaine pour argumenter et soutenir le

78 Notre traduction de :" Now we're forced to beg Saudi Arabia for more oil."

79 Notre traduction de : "[...]do you want to see an America that's begging dictators for more oil that we can't afford ?"

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besoin de transition énergétique. Cet appel au sentiment patriotique insuffle quelques accents reaganiens au discours de Barack Obama, les pays fournisseurs de pétrole étant présentés sous une forme rappelant sans le nommer en tant que tel l’axe du mal institué par le président républicain.

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