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La création d’une problématique environnementale compatible avec l’esprit américain

Chapitre 2 La construction argumentative du discours environnemental d’Obama

3. La création d’une problématique environnementale compatible avec l’esprit américain

Alors que les États-Unis sont considérés comme un des deux plus gros pollueurs de la planète, le problème auquel se retrouve confronté tout orateur souhaitant s’exprimer sur la question environnementale résulte d’une part de l’ambiance climatosceptique cultivée par certains et d’autre part des réticences exprimées vis-à-vis des restrictions que pourrait subir le mode de vie américain. Comment un homme politique peut-il faire accepter ce type de discours auprès d’un auditoire relativement réfractaire au traitement de la question environnementale ? Si Barack Obama met en œuvre divers outils rhétoriques pour convaincre son auditoire, il parvient surtout à ancrer son discours en faveur de l’environnement et de la promotion des énergies renouvelables dans l’esprit américain. Pour y parvenir, il s’appuie sur les déclarations émises par d’autres hommes politiques, utilisant la citation et le discours dialogique à la manière d’outils rhétoriques, et il propose une présentation novatrice particulière de la question environnementale en transférant des concepts historiques à la situation présente. L’analyse de ces deux points permettra de montrer comment l’argumentation d’une question contemporaine telle que celle posée par l’environnement peut puiser une certaine force dans le passé discursif et historique du pays.

3.1. Les références dialogiques

Barack Obama cite régulièrement d’autres hommes politiques, qu’il s’agisse de pairs ou même d’adversaires politiques, pour étayer son argumentation. L’homme politique auquel il fait le plus référence est certainement John Fitzgerald Kennedy dont il renouvelle les convictions en les adaptant aux problématiques actuelles et dont il reprend parfois les propos pour servir ses propres fins discursives. En janvier 2009, Barack Obama interpelle son auditoire en postulant :

C'est pourquoi je demande à tous les Américains - démocrates et républicains - de faire passer les bonnes idées avant les vieilles batailles idéologiques ; un sens commun au-dessus de la même partisanerie étroite ; et d’insister sur le fait que la première question que chacun de nous demande n'est pas « Qu’est-ce qui est bon pour moi ? » mais « Qu'est-ce qui est bon pour le pays dont mes enfants hériteront ? »95 (Obama, 8 janvier 2009)

95 Notre traduction de : "That's why I'm calling on all Americans – Democrats and Republicans – to put good ideas ahead of the old ideological battles; a sense of common purpose above the same narrow partisanship;

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Sans même citer John Fitzgerald Kennedy, Barack Obama parvient à faire appel à l’univers culturel de connaissances de son auditoire dans la mesure où cette déclaration entre en résonnance avec les propos tenus par son prédécesseur démocrate à l’occasion de son discours d’investiture du 20 janvier 1961 :

Ainsi, mes chers compatriotes américains : ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais bien ce que vous pouvez faire pour votre pays. (Kennedy, 20 janvier 1961)96

Cet appel fort lancé par le président Kennedy à chaque citoyen pour l'inviter à vivre pour sa patrie appartient au patrimoine discursif présidentiel resté dans les mémoires. Si Barack Obama reprend le procédé rhétorique consistant à contrebalancer par l’intermédiaire d’un « mais » la question que les citoyens américains sont amenés à se poser avec celle qu’ils devraient se poser, sa reformulation ouvre de nouvelles perspectives relatives à la question contemporaine abordée. Ainsi, Barack Obama invite les Américains à ne pas agir égoïstement, mais à prendre en compte les intérêts de leurs enfants. La notion de devoir moral se trouve actualisée et renouvelée par l’opposition de l’égocentrisme induit par un « moi » opposé à un « mes enfants » élargissant l’intérêt à une sphère familiale symbolique à entendre dans la perspective communautaire. Cette adaptation des propos de John Fitzgerald Kennedy par Barack Obama produit un double effet : alors que le propos lui-même ne vise pas à susciter un engouement purement patriotique, il agit au moins sur le registre moral familial. La vocation patriotique du message initial se trouve également retransmise et dynamisée par le jeu d’écho mis en place par l’orateur.

Faire résonner la voix d’un président bien souvent élevé au rang de figure mythique consiste à adopter une véritable posture présidentielle avant l’heure, l’homme politique n’étant pas encore investi dans ses fonctions lorsqu’il prononce ces mots. La production de paroles faisant écho à un autre président installe l’argumentation dans un système d’argumentation d’autorité sans même représenter la figure d’autorité elle-même. Comment cela est-il possible ? Tout d’abord, les paroles prononcées rappellent une citation pour le moins célèbre pour la communauté américaine. L’orateur exploite donc le cadre prédiscursif pour servir ses propres finalités discursives. Ensuite, les deux orateurs d’origine politique démocrate ont tous les deux été élus à la présidence des États-Unis si bien que le système de raisonnement rhétorique emprunté par Obama à Kennedy gagne d’autant

and insist that the first question each of us asks isn't ‘What's good for me?’ ‘but ‘What's good for the country my children will inherit?’ "

96 Voir : https://www.jfklibrary.org/JFK/Historic-Speeches/Multilingual-Inaugural-Address/Multilingual-Inaugural-Address-in-French.aspx

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plus de force de conviction que le point de vue peut être considéré comme provenant de deux figures d’autorité.

En d’autres occasions, Barack Obama cite nommément la parole de John Fitzgerald Kennedy pour soutenir la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique qu’il souhaite mettre en place :

Cela demandera un nouveau sens de la responsabilité de la part de chacun de nous pour récupérer ce que John F. Kennedy appelait notre «force intellectuelle et morale». Oui, le gouvernement doit mener à l'indépendance énergétique, mais chacun de nous doit faire notre part pour rendre nos maisons et nos entreprises plus efficaces.97 (Obama,

28 août 2008)

Si Barack Obama rappelle les valeurs américaines soulignées par Kennedy afin de stimuler un auditoire démocrate et américain, il se réfère également aux propos de celui-ci au cours d’un sommet sur le climat :

John F. Kennedy observa une fois que « nos problèmes sont fabriqués par l'homme ; par conséquent, ils peuvent être résolus par l'homme ». Il est vrai que depuis trop longtemps, l'humanité a tardé à répondre ou même à reconnaître l'ampleur de la menace climatique.98 (Obama, 22

septembre 2009)

Les paroles rapportées par Obama furent prononcées par Kennedy à l’occasion du discours du 10 juin 1963 devant un auditoire d’universitaires. Bien que Barack Obama utilise la portée générale de ces paroles et leur adaptabilité à soutenir l’engagement des États-Unis et de la communauté internationale dans la lutte contre le réchauffement climatique, elles furent initialement prononcées dans un tout autre but, celui de s’engager dans une démarche politique de paix. Si le dialogisme observable altère et déforme le sens premier de cet énoncé, il en élargit aussi la portée. La transférabilité de ces paroles et leur exploitation trouve une justification dans le rôle joué par l’homme dans le réchauffement climatique. Citer les paroles de Kennedy dans ce contexte revient à assimiler l’engagement dans la lutte contre le réchauffement climatique à une démarche de préservation de la paix. L’inclusion des paroles de Kennedy dans le discours de Barack Obama ne se

97 Notre traduction de : "It will require a renewed sense of responsibility from each of us to recover what John F. Kennedy called our “ intellectual and moral strength. ” Yes, government must lead on energy independence, but each of us must do our part to make our homes and businesses more efficient."

98 Notre traduction de : "John F. Kennedy once observed that " our problems are manmade; therefore, they may be solved by man. " It is true that for too many years, mankind has been slow to respond or even recognize the magnitude of the climate threat."

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limite pas à un objectif de renforcement de l’argumentation de l’orateur, mais lui confère une dimension supplémentaire, à savoir une valeur d’inscription dans une tradition de pensée américaine. Pour soutenir son orientation en faveur de la transition énergétique, Barack Obama a également recours à la citation de personnages plus surprenants, tels que Boone Pickens dont il rapporte les propos à deux reprises :

Même le pétrolier du Texas Boone Pickens, qui appelle à de nouveaux investissements majeurs dans des énergies alternatives, a déclaré : "ceci est une urgence dont nous ne pouvons pas nous sortir en forant."99 (Obama, 4 août 2008)

Et ils ont même été rejoints par T. Boone Pickens, un homme d'affaires qui a bâti sa fortune sur le pétrole, mais qui est là-bas effectuant le simple constat que nous ne pouvons simplement pas nous forer un chemin pour sortir de nos problèmes d'énergie.100 (Obama, 30 mars 2011)

Ainsi, Barack Obama signale à l’auditoire qu’un magnat du pétrole reconnu pense qu’il faut que les États-Unis s’intéressent au développement d’autres sources d’énergie. L’emploi de l’adverbe

even, ou « même » en français, souligne le caractère paradoxal de ce constat en posant la réalité d’un

fait particulièrement improbable. Dans les faits, T. Boone Pickens n’a rien d’un protecteur de l’environnement : le pétrolier est avant tout une célébrité du monde des affaires qui incarne la réussite promue par le rêve américain (Nora, 2009 : 269). Néanmoins, rapporter son dire sert les finalités argumentatives de l’orateur : mentionner les propos du pétrolier contribue à faire adhérer les esprits réfractaires de l’auditoire à la volonté affichée de Barack Obama d’entraîner le pays sur la voie de la transition énergétique. Le choix de cette citation pour soutenir la promotion des énergies renouvelables vise à prouver que même les pétroliers songent sérieusement à s’orienter dans cette exploitation. Cela accorde du crédit à l’urgence de pallier à l’épuisement de la ressource fossile qu’est le pétrole. Bien qu’il s’agisse d’un cas particulier parmi les pétroliers, relayer son dire constitue l’occasion pour Barack Obama d’amener son auditoire à envisager la transition énergétique sous un autre angle.

99 Notre traduction de : "Even Texas oilman Boone Pickens, who's calling for major new investments in alternative energy, has said, ‘this is one emergency we can't drill our way out of’."

100 Notre traduction de : "And they were even joined by T. Boone Pickens, a businessman who made his fortune on oil, but who is out there making the simple point that we can’ t simply drill our way out of our energy problems."

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3.2. Une présentation novatrice particulière de la question environnementale

Bien que les notions d’environnement et de réchauffement climatique soient globalement peu nommées dans le discours de Barack Obama, la thématique se trouve régulièrement abordée sous l’angle énergétique. L’homme politique présente sa vision politique en ce qui concerne le futur énergétique du pays en s’appuyant sur l’histoire et en développant des concepts nouveaux soutenus par cette histoire. Ainsi, il renouvelle le concept du rêve américain sous la forme d’une promesse de l’Amérique. Le corpus de discours comporte 77 occurrences de promise (voir annexes p.- 427 -). Ce concept ne concerne pas exclusivement le traitement de la question environnementale, mais la transition énergétique se trouve incluse dedans ainsi que la volonté de léguer une planète sûre aux futures générations. Le calcul des cooccurrences de promise témoigne d’un concept qui reste flou en discours :

Figure 10. Cooccurrences de promise dans le corpus de discours de Barack Obama

Ce graphique montre que l’emploi du mot promise se trouve résolument tourné vers l’Amérique et les Américains. Cependant, la moindre représentativité de cooccurrences fortes montre qu’il s’agit là d’un concept diffus, le mot promise se trouvant régulièrement associé de manière éparse à une notion ou à une autre à l’occasion des divers discours prononcés par l’homme politique. Le repérage de divers passages discursifs permet de reconstituer une définition parcellée de ce que la notion induite par l’orateur recouvre dans l’ensemble de son discours.

Si au niveau sémantique, la « promesse » véhicule traditionnellement la notion d’engagement moral, l’homme politique développe et définit ce que recouvre pour lui ce mot promise au cours du discours produit à l’occasion de la Convention démocrate à Denver. Dans sa conception, la promesse de l’Amérique assure certains fondements à tout citoyen américain, parmi lesquels il évoque la

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préservation de la liberté du pays ainsi que l’assurance d’une croissance économique et d’un emploi pour les Américains. À l’issue de sa définition de la promesse américaine, l’orateur explique ce qu’il entend faire pour la pérenniser :

Et pour le bien de notre économie, de notre sécurité et de l'avenir de notre planète, je fixerai un objectif clair en tant que président : en dix ans, nous finirons par mettre fin à notre dépendance au pétrole du Moyen-Orient.101 (Obama, 28 août 2008)

Pour Barack Obama, mettre un terme à la dépendance constitue la condition sine qua non pour assurer le maintien de la promesse américaine. Présentée comme un véritable enjeu sociétal, la transition énergétique s’impose comme un préalable requis pour perpétuer cet esprit. Mettre fin à la dépendance contribue à la préservation et même à l’accession du pays à une certaine forme de liberté. Les objectifs sécuritaires et économiques des États-Unis dépendent aussi du développement de sources d’énergies alternatives au pétrole dans la conception donnée à voir par l’orateur.

Si promise semble n’inclure qu’un ensemble de garanties de vie pour les citoyens américains dans le discours de Barack Obama, ce nom se trouve intimement relié à l’usage de l’énergie que l’orateur institue en tant que levier économique et moteur du maintien de cette promesse. Pour l’homme politique les deux notions sont tellement dépendantes l’une de l’autre qu’il en arrive à les fusionner en un groupe nominal :

Il nous appartient de choisir entre risquer le péril qui accompagne notre orientation actuelle ou de saisir la promesse de l’indépendance énergétique.102 (Obama, 26 janvier 2009)

Dans ce passage discursif, Barack Obama transfère le concept de la promesse américaine au domaine de l’énergie. Ainsi, le sens porté par promise vient à la rencontre du sens de l’indépendance énergétique. Alors que l’accession à l’indépendance énergétique suppose la réduction de la consommation de pétrole et l’engagement du pays dans la voie des énergies renouvelables, le processus entrepris participe également du renouvellement et de la modernisation de la promesse américaine. L’association qu’effectue Barack Obama en constituant un groupe nominal avec complément du nom illustre bien sa conception de l’idée d’une promesse conditionnée par les choix politiques en matière d’énergie.

101 Notre traduction de : "And for the sake of our economy, our security, and the future of our planet, I will set a clear goal as President: in ten years, we will finally end our dependence on oil from the Middle East."

102 Notre traduction de : "It falls on us to choose whether to risk the peril that comes with our current course or to seize the promise of energy independence."