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Chapitre 1 Les particularités du discours sur l’environnement d’Obama

2. Les fondements du discours environnemental d’Obama

2.1. Le recours à la science

Le corpus de discours compte 39 occurrences de science (voir annexes p. - 406 -). Si Barack Obama évoque l’importance à accorder à la science au cours de sa campagne électorale, c’est surtout à partir de son discours du 20 décembre 2008 annonçant la nomination de divers scientifiques à des postes clefs du gouvernement que la science se trouve véritablement consacrée en tant que moteur de renouvellement du pays :

Aujourd'hui, je suis heureux d'annoncer des membres de mon équipe scientifique et technologique dont le travail sera essentiel à ces efforts.

Qu'il s'agisse de la science pour ralentir le réchauffement climatique ; la technologie pour protéger nos troupes et faire face au bioterrorisme et aux armes de destruction massive ; la recherche pour trouver des remèdes vitaux ; ou les innovations pour refaire nos industries et créer des emplois du XXIe siècle - aujourd'hui, plus que jamais, la science détient la clé de notre survie en tant que planète ainsi que de notre sécurité et de notre prospérité en tant que nation. Il est temps de remettre la science au sommet de notre agenda et de travailler à restaurer la place de l'Amérique en tant que leader mondial de la science et de la technologie.44 (Obama, 20 décembre 2008)

Ainsi, l’orateur estime « essentiel » le travail de son équipe scientifique et technologique à venir. L’adjectif critical employé dans le discours américain suggère la notion de nécessité, mais

44 Notre traduction de : "Today, I am pleased to announce members of my science and technology team whose work will be critical to these efforts.

Whether it's the science to slow global warming; the technology to protect our troops and confront bioterror and weapons of mass destruction; the research to find life-saving cures; or the innovations to remake our industries and create twenty-first century jobs – today, more than ever before, science holds the key to our survival as a planet and our security and prosperity as a nation. It's time we once again put science at the top of our agenda and worked to restore America's place as the world leader in science and technology."

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indique également le caractère critique d’un enjeu qui implique des conséquences importantes. En quoi les nominations de scientifiques peuvent-elles constituer un tel enjeu politique ? Le rôle à jouer par cette équipe touche à divers domaines parmi lesquels se trouve mentionnée la lutte contre le réchauffement climatique. L’appel à la science vise à réaliser les trois objectifs que constituent « la

survie en tant que planète », la « sécurité » et la « prospérité ». Au niveau sémantique, la science se

définit, selon le TLFi, comme un « ensemble structuré de connaissances qui se rapportent à des faits

obéissant à des lois objectives (ou considérés comme tels) et dont la mise au point exige systématisation et méthode. »45 : invoquer la science consiste donc à se fier à un savoir construit et rationnel pour mener à bien des mesures politiques. Les scientifiques étant des représentants de cette communauté de savoir, ils présentent la garantie de la connaissance à l’action politique.

Dans le discours de Barack Obama, la science est considérée comme l’outil à utiliser pour retrouver la place de leader qu’occupaient les États-Unis sur la scène mondiale auparavant. La technologie qui rassemble l’étude systématique des techniques, procédés et outils propres à divers domaines s’impose également comme gage de fiabilité. La recherche suppose une activité intellectuelle visant le développement des connaissances par la découverte ou l’invention. Ainsi, les trois grands domaines que constituent la science, la technologie et la recherche symbolisent chacun un aspect particulier de la connaissance. Se fonder sur de tels domaines consiste à prendre appui sur des figures censées faire autorité en matière de savoir tant au niveau politique que discursif. Au niveau rhétorique, le recours à la science vient renforcer le logos du discours, la vérité scientifique faisant foi.

Dans la conception de Barack Obama, la science reste étroitement liée à la question environnementale :

Parce qu’en vérité la promotion de la science ne consiste pas seulement à une fourniture des ressources - il s'agit de protéger l’investigation libre et ouverte. Il s'agit de veiller à ce que les faits et les preuves ne soient jamais distordus ou obscurcis par la politique ou l'idéologie. Il s'agit d'écouter ce que nos scientifiques ont à dire, même lorsque c’est dérangeant, surtout lorsque c'est dérangeant. Parce que le but le plus élevé de la science est la recherche de la connaissance, de la vérité et d’une meilleure compréhension du monde qui nous entoure. Ce sera mon objectif en tant que président des États-Unis - et

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je ne pourrais pas avoir une meilleure équipe pour me guider dans ce travail46. (Obama, 20 décembre 2008)

Avant d’annoncer les divers membres qu’il entend nommer pour composer cette équipe scientifique, Barack Obama rappelle l’essence de la mission de la science et des scientifiques. Dans son discours, Barack Obama met en évidence la validité du dire scientifique : le sémantisme de

« faits » pose la notion de réalité, un fait désignant quelque chose qui existe réellement. « Preuves »

fait état de raisonnements qui ne peuvent être remis en question en raison de leur irréfutabilité. Quand il déclare qu’il est important de « veiller à ce que les faits et les preuves ne soient jamais

distordus ou obscurcis par la politique ou l’idéologie », Barack Obama fait allusion aux politiques

climatosceptiques qui ont pu remettre en cause les évidences scientifiques du changement climatique. Le sémantisme de « distordus » et de « obscurcis » s’impose comme un regard critique du traitement que les climatosceptiques infligent à la science, « distordu » impliquant une déformation de la vérité scientifique et « obscurci » sous-entendant un effort de brouillage volontaire du dire scientifique. De plus, l’orateur insiste sur l’importance d’écouter les scientifiques « même lorsque

c’est dérangeant, surtout lorsque c’est dérangeant ». Dans ce passage où il ne mentionne pas le

changement climatique, Barack Obama fait clairement référence aux réactions réfractaires vis-à-vis de ce problème à régler, impliquant certaines concessions ou quelques sacrifices au niveau du mode de vie de tout un chacun.

L’orateur précise que l’un des buts poursuivis par la science est une « meilleure

compréhension du monde qui nous entoure ». C’est donc la valeur à accorder à la recherche

scientifique qui permet à l’orateur de poser les fondements de son argumentation quant à cette problématique environnementale régulièrement remise en cause. Lorsqu’il évoque la vocation de

« recherche de la connaissance, de la vérité » de la science, l’orateur souligne la crédibilité du discours

scientifique fonctionnant sur le principe de la modalité aléthique47. La fin de cet extrait précise que l’objectif de Barack Obama sera de promouvoir cette science. Affirmer cela ainsi fait rejaillir la valeur de vérité sur le discours de l’homme politique : cela valorise son image de président éthique et cela accroît la crédibilité de son dire qui puise ses fondements dans un discours faisant autorité dans le domaine du savoir et de la connaissance.

46 Notre traduction de : "Because the truth is that promoting science isn't just about providing resources – it's about protecting free and open inquiry. It's about ensuring that facts and evidence are never twisted or obscured by politics or ideology. It's about listening to what our scientists have to say, even when it's inconvenient – especially when it's inconvenient. Because the highest purpose of science is the search for knowledge, truth and a greater understanding of the world around us. That will be my goal as President of the United States – and I could not have a better team to guide me in this work."

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L’introduction de chaque nomination met en avant les qualités scientifiques des personnalités choisies. Par exemple :

Le Dr John Holdren a accepté de servir en tant qu’adjoint au président pour la science et la technologie et directeur du bureau de la Maison-Maison de la politique scientifique et technologique. John est professeur et directeur du programme sur la science, la technologie et les politiques publiques à la Kennedy School of Government de Harvard, ainsi que président et directeur du Centre de recherche Woods Hole. Physicien reconnu pour son travail sur le climat et l'énergie, il a reçu de nombreux prix et distinctions pour ses contributions et a été l'une des voix les plus passionnantes et persistantes de notre époque sur la menace croissante du changement climatique. J'attends avec impatience ses sages conseils dans les années à venir.48 (Obama, 20 décembre 2008)

Barack Obama indique le curriculum vitae de John Holdren afin de justifier son choix. Indiquer les références prestigieuses telles que Harvard ou le centre de recherche Woods Hole du physicien choisi revient à certifier la valeur et les qualités de ce scientifique. Signaler que cet homme a constitué « l’une des voix les plus passionnantes et persistantes de notre époque sur la menace

croissante du changement climatique » fournit un indice clair de l’orientation politique que Barack

Obama entend choisir en ce qui concerne la question environnementale, d’autant plus que l’orateur déclare attendre « avec impatience ses sages conseils dans les années à venir ». Si Barack Obama prend soin de bien souligner les qualités de John Holdren en tant que scientifique, c’est pour garantir la fiabilité de son choix d’une part, mais aussi pour rassurer l’auditoire quant aux décisions qui seront prises à l’avenir. Attester des compétences du scientifique permet à l’orateur d’apporter des garanties par avance sur les décisions qui seront prises par la suite.

Barack Obama s’appuie également sur la science pour introduire son raisonnement quant au développement d’énergies alternatives au pétrole dans divers autres discours :

Année après année, décennie après décennie, nous avons choisi de retarder l'action décisive. L'idéologie rigide a rejeté une science solide ; les intérêts particuliers ont éclipsé le bon sens ; la rhétorique n'a pas

48 Notre traduction de : "Dr. John Holdren has agreed to serve as Assistant to the President for Science and Technology and Director of the White House Office of Science and Technology Policy. John is a professor and Director of the Program on Science, Technology, and Public Policy at Harvard's Kennedy School of Government, as well as President and Director of the Woods Hole Research Center. A physicist renowned for his work on climate and energy, he's received numerous honors and awards for his contributions and has been one of the most passionate and persistent voices of our time about the growing threat of climate change. I look forward to his wise counsel in the years ahead."

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conduit au dur labeur nécessaire pour obtenir des résultats. Et nos dirigeants élèvent la voix à chaque fois qu'il y a une flambée des prix du pétrole pour se calmer quand le prix retombe à la pompe. Maintenant, l'Amérique est arrivée à un carrefour. Incorporés dans le sol américain et le vent et le soleil, nous avons les ressources nécessaires pour changer. Nos scientifiques, nos entreprises et nos travailleurs ont la capacité de nous faire avancer. Il nous appartient de choisir entre courir le risque du péril qui accompagne notre orientation actuelle ou bien saisir la promesse de l'indépendance énergétique. Et pour notre sécurité, notre économie et notre planète, nous devons avoir le courage et l'engagement requis pour changer.49 (Obama, 26

janvier 2009)

Dans un premier temps, Barack Obama regrette la passivité politique qui a conduit à la situation actuelle. Dans la seconde phrase de cet extrait, il dénonce à mots couverts la politique menée par son prédécesseur. Selon le TLFi, « idéologie » se définit comme étant une « théorie vague

et nébuleuse, portant sur des idées creuses et abstraites, sans rapport avec les faits réels ». En ce sens,

l’idéologie s’érige en exact opposé de la science qui se fonde sur des faits concrets. Dans le discours de Barack Obama, l’« idéologie rigide » désigne la philosophie proche du créationisme50 suivie par George W. Bush ainsi que le climatoscepticisme ambiant au cours de sa présidence : cette lexie est opposée à « science solide » afin de discréditer les choix républicains. L’opposition de la politique démocrate à la politique républicaine passe donc par un choix radicalement opposé des fondements argumentatifs. Barack Obama signale sa position tout en critiquant la validité du choix effectué par son prédécesseur.

49 Notre traduction de : "Year after year, decade after decade, we've chosen delay over decisive action. Rigid ideology has overruled sound science; special interests have overshadowed common sense; rhetoric has not led to the hard work needed to achieve results. And our leaders raise their voices each time there's a spike in gas prices only to grow quiet when the price falls at the pump.

Now America has arrived at a crossroads. Embedded in American soil and the wind and the sun, we have the resources to change. Our scientists, businesses, and workers have the capacity to move us forward. It falls on us to choose whether to risk the peril that comes with our current course or to seize the promise of energy independence. And for the sake of our security, our economy, and our planet, we must have the courage and commitment to change."

50 Selon le TLFi, le création(n)isme est une doctrine qui admet que l'univers (et, en particulier, les êtres vivants) a été créé ex nihilo par Dieu. (voir : http://www.cnrtl.fr/definition/cr%C3%A9ationisme). Cette doctrine trouve son fondement dans la Genèse, notamment en ce qui concerne le commencement du Monde, et réfute les théories scientifiques expliquant la création de l’univers. La conception créationniste du monde se décline en divers courants de pensée plus ou moins radicaux. Il doit être noté que, paradoxalement, quelques scientifiques adhèrent et participent à la promotion de cette théorie, lui conférant par là-même un caractère pseudo-scientifique. On remarquera particulièrement à ce sujet l’émergence de la théorie du Dessein Intelligent : alors que le créationnisme avait été retiré officiellement des manuels scolaires en 1987 aux États-Unis, divers états américains ont cherché à réintroduire le créationnisme dans les manuels scolaires en instillant l’idée qu’il s’agissait de présenter les différentes théories sur la création du monde comme de simples théories concurrentes. Cette initiative a reçu le soutien de George W. Bush.

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Les « intérêts particuliers » font référence au fait que nombre de pétroliers font partie des républicains, notamment la famille du président Bush : il s’agit là d’une seconde étape de disqualification des choix républicains effectuée à mots couverts sans citer les personnes visées. Les

« intérêts particuliers » sont mis en perspective avec « le bon sens » : ainsi, les « intérêts particuliers »

altèrent la capacité à juger sainement des meilleures orientations à prendre pour le pays. Cela pose une critique particulièrement cinglante envers la politique républicaine et valorise les fondements argumentatifs de l’orateur démocrate. Renouer avec la science constitue donc un facteur de progrès pour les États-Unis selon Barack Obama.

Par la suite, le président américain constate que seule l’augmentation des prix du pétrole suscite une réaction amenée à s’éteindre dès lors que les prix rechutent. Puis, il détaille les atouts dont disposent les États-Unis pour effectuer une transition énergétique en mettant en avant les ressources naturelles du pays. On remarquera l’emploi de « maintenant » ou now pour marquer une rupture dans le traitement discursif opéré par Barack Obama. Après avoir déploré la situation antérieure et les choix qui l’ont créée, l’orateur oriente son discours vers le présent. Il propose une option d’orientation possible, ou du moins de réorientation en ce qui concerne la politique énergétique. Son raisonnement met en avant les capacités des scientifiques à faire avancer le pays dans la bonne voie avec le concours des entreprises et des travailleurs. Dans ce passage, Barack Obama met également en valeur la science après avoir évoqué les échecs économiques qui ont été entraînés par le manque de considération des républicains envers les progrès que la démarche scientifique permet d’engendrer. On remarque que cette seconde partie de l’extrait abonde d’adjectifs possessifs à la 1ère personne du pluriel, soit our dans le discours d’origine. De même, l’orateur utilise le pronom personnel nous, soit we, dans ce passage. Ce recours à l’idée d’un nous collectif démontre que l’orateur associe la population américaine à sa démarche. Cet extrait se clôt sur l’expression d’une modalité déontique indiquant à l’auditoire l’orientation que la communauté américaine se doit de choisir.

Dans son discours qu’il prononce à Copenhague, Barack Obama déclare :

Nous venons ici à Copenhague parce que le changement climatique pose un danger grave et croissant pour notre peuple. Aucun d’entre vous ne serait ici à moins que vous, comme moi, ne soyez convaincus que ce danger est réel. Ce n'est pas de la fiction, c'est de la science.51

(Obama, 18 décembre 2009)

51 Notre traduction de : "We come here in Copenhagen because climate change poses a grave and growing danger to our people. All of you would not be here unless you-- like me-- were convinced that this danger is real. This is not fiction, it is science."

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L’orateur relie aborde directement la notion de changement climatique car il participe à un sommet dédié à cette thématique. Lorsqu’il évoque ce sujet, il précise qu’il ne s’agit pas de « fiction », mais de « science ». L’opposition sémantique de « fiction » à « science » reprend et approfondit en quelque sorte l’opposition que l’orateur avait précédemment établie entre « idéologie » et

« science » : l’orateur oppose désormais formellement l’imaginaire au concret. Rétablir la

problématique climatique dans son cadre scientifique vise à convaincre les représentants de certains pays plutôt réfractaires à l’idée de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre que le phénomène climatique correspond à une donnée réelle qui doit être traitée. Le recours au fondement scientifique du problème confère une légitimité à l’urgence de son traitement à l’échelle mondiale. Le caractère fictionnel que certains attribuent au changement climatique est, à cette fin, également mis en perspective avec la réalité scientifique par l’orateur.

Si la science est ensuite principalement placée au cœur des préoccupations éducatives, Barack Obama ré-établit un lien étroit entre la science et la thématique environnementale dans les discours qu’il prononce en 2013 :

Certains peuvent encore nier le jugement accablant de la science, mais aucun ne peut éviter l'impact dévastateur des feux ardents, de sécheresse paralysante et de tempêtes plus puissantes.52 (Obama, 21

janvier 2013)

Ici, le pronom indéfini certains pose la quantité partielle. Il réfère aux climatosceptiques et la première proposition paraît leur concéder la liberté de refuser la thèse du réchauffement climatique ; cependant cette concession comporte en elle-même une forme d’autodestruction : par l’adjectif

« accablant », le complément pose une contradiction entre le verbe et son complément, puisque si le

jugement est accablant, il ne peut être nié.

L’apparente concession est elle-même réduite à néant par la réorientation argumentative introduite par mais : dans une structuration antithétique, le pronom indéfini aucun est mis en parallèle avec le pronom aucun qui pose une quantité absolument nulle. À la concession partielle – et apparente – s’oppose une assertion négative universelle. L’énumération des faits concrets feux

ardents, de sécheresse paralysante et de tempêtes plus puissantes renvoie la posture théorique des

climatosceptiques à son inanité.

Le mois suivant, Barack Obama reprend ce point de vue :

52 Notre traduction de : "Some may still deny the overwhelming judgment of science, but none can avoid the