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Une tardive et problématique (re)connaissance de la discrimination en stages

II – ENTRE L’IMPENSE ET L’IMPENSABLE : UN ETAT DE LA RECONNAISSANCE DE LA DISCRIMINATION ETHNICO-

II. 1.3 « Diversité » et « égalité des chances » : la déviation néolibérale et entrepreneuriale du référentiel

II.3. Etat de la recherche sur l’ethnicité et la discrimination à l’école

II.3.5. Une tardive et problématique (re)connaissance de la discrimination en stages

La question de la discrimination ethnico-raciale (mais aussi sexuelle614) aux stages apparaît

avec quelques travaux pionniers, principalement des rapports publics, entre 1999 et 2000. Dans une étude réalisée sur le pays de Montbéliard, nous avons relevé de nombreuses demandes discriminatoires lors des recherches de placement en stages d’élèves du « dispositif de formation intégré »615 d’un collège. Dans les documents recueillis, sur un panel de 201

entreprises du bassin sollicitées pour des stages, « 42 mentions discriminatoires directes apparaissent, formulées par 40 employeurs différents. Cela signifie que dans l’échantillon,

613 DHUME-SONZOGNI F., Racisme, antisémitisme et « communautarisme » ?, op. cit., p.197.

614 Dans leur étude par questionnaire auprès d’étudiants en gestion sur la discrimination sexuelle en stages, Sophie

Landrieux-Kartochian et Chloé Guillot-Soulez montrent que les étudiantes connaissent un différentiel de traitement à l’égard de leurs homologues masculins sur plusieurs plans : plus longue durée de recherche pour trouver un stage, plus fort taux de réponse négative, concentration dans certains secteurs d’activités, moindres indemnités de stages. Elles avancent des explications complémentaires : une moindre négociation des conditions de stage par les filles que les garçons ; un réseau relationnel différent, et une moindre aide des filles par leurs familles. LANDRIEUX- KARTOCHIAN S., GUILLOT-SOULEZ C. (2005), « Les stages, une des formes de la discrimination sexuelle dans le monde du travail ? », Les cahiers du CERGORS, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, n°3.

615 Géré par la mission insertion de l’Education nationale, le dispositif de formation intégré vise à accompagner des

jeunes sortis du système scolaire sans orientation, dans une démarche de formation et de stages en entreprises. L’analyse, ici, porte sur des indications relevées lors des contacts avec des entreprises effectués entre 1996 et 2000.

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 188 20% des employeurs expriment ouvertement par téléphone des critères discriminatoires »616.

6/10 des cas explicites concernent le critère « d’origine » (et 3/10 le critère de sexe, 1/20 le public des « jeunes de SEGPA). Ce relevé n’étant toutefois pas exhaustif, et d’autres formes indirectes de sélection n’étant pas prises en compte (demandes de « présentation par les parents », etc.), ces données sous-estiment très certainement la discrimination.

De tels phénomènes ont été confirmés, quasiment dans le même temps, par un rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), se fondant sur une enquête du secrétariat d’Etat à l’enseignement professionnel. L’IGEN a estimé que la discrimination touchait entre 30% et 50% des élèves d'origine étrangère lors des recherches de stage. Le rapport ne sera pas diffusé, mais son contenu sera relayé par quelques quotidiens nationaux.617

L’effet de ce rapport est pourtant sensible, puisque l’Etat va renforcer le cadre normatif : circulaire ministérielle incitant les enseignants à la vigilance618, et introduction dans la loi du

16 novembre 2001 de la pénalisation des discriminations dans les stages. Mais au début 2000, aucune commande publique ni recherche spécifique ne vient approfondir cette question ; les études du ministère de l’Education nationale qui évoquent le problème ne le font que par allusion. En prenant pour objet les « difficultés d’accès aux stages », ces études minorent le thème619 voire ne prononcent pas même le nom de « discrimination ». Elles l’insèrent dans de

longues listes de « freins » évoqués par les enseignants, donnant priorité à l’inadaptation supposée des élèves et aux contraintes des entreprises. Exemple :

« Les autres raisons évoquées par les enseignants révèlent que les entreprises ne jouent pas toujours le jeu de la citoyenneté : leur origine ethnique ou la consonance de leur nom sembleraient les raisons pour lesquelles des élèves ont des difficultés à trouver des entreprises. Ce constat rejoint celui de l’Inspection Générale de l’Education Nationale dans sa note sur “La discrimination raciale dont sont sujets les élèves dans le cadre des périodes de formation en entreprise“ (mai 2000). »620

616 DHUME F., VOLPONI A.-F., MOULIADE R., NOËL O., Les discriminations dans le Pays de Montbéliard,

op. cit.

617 Cf. notamment : GUIBERT N., «L'Inspection Générale de l'Education Nationale révèle une discrimination dans

l'accès aux stages», Le Monde, 2 juin 2000 ; ROTMAN C., « Bac pro : les patrons préfèrent les stagiaires bleu blanc rouge. Le racisme reconnu par le Ministère de l'Education , Libération, lundi 5 juin 2000.

618 MEN, Circulaire n°2000-095 du 26-6-2000, « Encadrement des périodes de formation en entreprise ».

619 Cela est parfois volontaire, dans la méthode : au motif de « ne pas influencer les répondants en insistant sur le

seul thème des discriminations », « le questionnaire a été intitulé “Difficultés à l’accès au stage” pour ne pas

insister d’emblée sur les mécanismes discriminatoires ». FARVAQUE N., Difficultés d’accès et discriminations

dans l'accès aux stages. Le ressenti des lycéens de l’enseignement professionnel, le point de vue des enseignants et des employeurs, Lille, ORSEU/ Programme EQUAL-TRANSFERT, 2008.

620 BRAXMEYER N., GENTIL R., « Les spécificités de l'enseignement professionnel : les périodes de formation

en milieu professionnelle et le contrôle en cours de formation », in Les Dossiers éducation et formation, n°146, 2002, p.27.

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 189 On voit en outre, dans cet extrait – unique mention dans un rapport de 112 pages -, que l’on se borne à rappeler l’étude de l’IGEN, comme si tout était dit dans le « constat » brut. Cette tendance – avec les mêmes procédés narratifs marginalisant le thème621 - se poursuit dans la

plupart des rapports publics des années suivantes. Par exemple, la discrimination y est réduite à des « comportements peu appropriés » trouvant en partie leur justification dans le fait qu’il s’agit d’un public « adolescent »622. Par ailleurs, en se cantonnant à enregistrer les discours

enseignants sur les « problèmes de placement », certaines études réduisent le problème des discriminations aux outils et aux modèles permettant de « traiter » sans avoir à ouvrir la question623. Ainsi, en déconnectant finalement le problème de la compréhension de son

fonctionnement et de ses mécanismes, on se concentre sur la réponse à « la demande : “comment réagir ?” »624. Dans d’autres cas, l’analyse est affaiblie par un défaut de stabilité et

de maîtrise du référent en matière de discrimination et d’ethnicisation : confusions entre racisme, discrimination, sélection, etc., ou encore entre traitement inégalitaire, injures, préjugés, etc.625. Tout cela concourt à une émergence biaisée et imprécise de la problématique,

qui n’est pas sans lien avec la façon dont l’action publique s’en saisira.

Du côté de la sociologie, la reconnaissance de la question est également entravée par une hésitation à nommer. Le sociologue Aziz Jellab, à la marge de sa Sociologie des lycées

professionnels, indique le problème mais parle d’une « frilosité » des enseignants les conduisant à entériner les demandes discriminatoires, « en en faisant un élément explicatif des pratiques différenciées dans la gestion de la carrière scolaire et professionnelle de leur

621 DHUME F., « L’école face à la discrimination ethnoraciale : les logiques d’une inaction publique », in

Migrations-Société, vol.22, n°131, septembre-octobre 2010, pp.171-184.

622 Le rapport Fauroux pose, comme par principe, la question de l’accès aux stages des « jeunes issus de

l’immigration » sur le mode du « handicap » : « Pour les jeunes issus de l’immigration, sur-représentés dans les filières d’enseignement professionnel, ce premier accès au monde du travail est l’occasion de mesurer ce qui les en sépare. Il n’est pas besoin de revenir sur les différentes situations de handicap mais d’insister sur deux points : les comportements peu appropriés sont d’autant plus fréquents que les stagiaires sont adolescents, la discrimination joue de la même façon pour les stages que pour les recrutements ». FAUROUX R., La lutte contre les

discriminations ethniques dans le domaine de l'emploi, Paris, Ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, 2005.

623 RIVARD T., THALINEAU A. et alii, Etude sur les difficultés d’accès des jeunes scolaires et universitaires aux

stages en entreprises, LERFAS, Rapport pour le SGAR-Préfecture de la région Centre et du Loiret, 2006.

624 GIP FCIP/Equal (Alsace), « Discrimination et accès aux stages et périodes de formation en entreprise. Analyse

des besoins », 2004.

625 GAUCCI A., VITEAU J., Comment se rencontrent les discriminations dans l'école ? Rapport final du

diagnostic réalisé en Haute-Normandie dans des collèges et lycées de Forges-les-Eaux, du Havre & du Val de Reuil, Programme EQUAL-LUCIDE, 2007.

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 190 public. »626. Nous sommes loin des formulations en termes de coproduction, pourtant

sensiblement diffusées dans le domaine de l’emploi627. Plusieurs études conduites dans le

cadre de programmes européens Equal ont toutefois directement contribué à objectiver et analyser le phénomène628. Plutôt que de les présenter ici de façon détaillée, je les mobiliserai

au cours de l’analyse.

II.3.6. La discrimination dans la sociologie de l’école : entre paradoxe sectoriel et

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