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L’institutionnalisation progressive de la « lutte contre les discriminations »

II – ENTRE L’IMPENSE ET L’IMPENSABLE : UN ETAT DE LA RECONNAISSANCE DE LA DISCRIMINATION ETHNICO-

II. 1.1 « Lorsque la discrimination se cachait derrière l’intégration »

II.1.2. De la reconnaissance formelle à l’embryon d’une politique

II.1.2.2. L’institutionnalisation progressive de la « lutte contre les discriminations »

Par la suite, diverses mesures et dispositifs spécifiques vont être initiés. Si, d’un côté, ils vont constituer progressivement le socle de ce qu’il est convenu d’appeler la « politique publique de lutte contre les discriminations », ils vont d’un autre côté assez rapidement biaiser la question. Sur le plan normatif, sont élaborées, entre autres : la circulaire du 20 octobre 1998 engageant directement le service public de l’emploi ; la circulaire du 2 avril 1999 fixant les orientations et actions prioritaires de l’inspection du travail pour 1999, etc. En 1999, l’Etat incite les “partenaires sociaux” à un engagement formel en matière de lutte contre les discriminations. C’est la Déclaration de Grenelle sur les discriminations raciales dans le

monde du travail, adoptée par consensus, le mardi 11 mai 1999, par l’Etat et les partenaires sociaux. De là va découler une politique de conventionnement spécifique, via le FAS devenu FASILD en 2001 (Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations), pour faire en sorte que ce problème public soit reconnu dans les différentes institutions, et si possible, soit inscrit dans les programmes de travail. Cela s’accompagne,

416 Cf. notamment : BERNARD P., « la France ne parvient pas à endiguer les discriminations raciales », Le Monde,

18 janvier 1995.

417 En 2010 encore, certains responsables nationaux reconnaissent, en cercle restreint, que le faible développement

de la politique antidiscriminatoire dans le champ éducatif tient notamment à une résistance du service éducation de l’ACSE, qui reste orienté vers « l’intégration » et « l’interculturel ».

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 145 progressivement d’une logique de formation, de conventionnement, et la promotion de modèles d’action : développement des formations à l’attention des agents des ANPE, DDTEFP, AFPA, missions locales ; développement du parrainage ; etc. La loi du 16 novembre 2001 marque une étape importante, en particulier dans l’adaptation de l’arsenal juridique (transposition des directives européennes) : aménagement de la charge de la preuve au civil pour l’emploi ; élargissement des compétences de l’Inspection du travail ; etc. Elle est prolongée par la loi dite « de modernisation sociale » (17 janvier 2002) qui étend la question au logement et introduit juridiquement la notion de « harcèlement moral » dans les cas discriminatoires.

Sont mises en place à partir de 1999 les Commissions départementale d’accès à la citoyenneté (CODAC). Ce qui sera complété en 2001 par le dispositif « 114 », numéro vert destiné à recueillir et orienter les signalements de discriminations raciales. Notons cependant, que le référentiel est instable, puisque la question des discriminations est recouverte par celle de la « citoyenneté » - j’y reviendrai. La Loi de 2001 transforme également le FAS en FASILD, affichant explicitement l’objectif de « lutte contre les discriminations ».

Sur le plan de la stratégie de connaissance, on assiste à un déplacement dans le temps. D’une logique de recherche et d’étude, qui avait commencé dès 1997-98, on passe à une hybridation entre recherche et action. Le passage du Groupe d’étude sur les discriminations (GED, en 1999), qui devient GELD (groupe d’étude et de lutte contre les discriminations, en 2001), est indicatif de cette mobilisation de la recherche au service de l’action antidiscriminatoire, à mesure que l’on passe de la compréhension à l’expérimentation. Le FASILD, mais aussi la DPM, et progressivement la Délégation interministérielle à la ville (DIV) notamment, alimentent de leur côté un programme d’études et de recherches, qui sera de plus en plus marqué par l’idée de « capitalisation de bonnes pratiques » (logique que poursuivra la HALDE, à partir de son installation en 2004). C’est ainsi que sont produits des travaux sur les intermédiaires à l’emploi, et sur l’apprentissage418, puis progressivement sur les champs du

logement et autres. Parallèlement à cet investissement d’orientation praxéologique, le FAS (dès 1999) puis le FASILD (2001), mettent en place un dispositif de sensibilisation et de formation des intermédiaires publics et privés de l’emploi, des acteurs de l’entreprise et des syndicats, co-financé par le Fonds social européen (FSE). Ce dispositif s’élargit

418 Voir sur ce point la synthèse : BOUBAKER N. (coord.), Construire une politique d’égal accès à l’apprentissage

Entre l’école et l’entreprise : la discrimination ethnico-raciale dans les stages Page 146 progressivement, et à partir de 2008, avec l’ACSE, il concerne les champs de l’emploi, du logement, de l’éducation, et aussi des approches transversales (« projets territoriaux », « double discrimination »). Dans la même logique sont mobilisés les fonds européens du programme EQUAL pour initier des expérimentations et développer des outils et stratégies. C’est par exemple le cas du programme ESPERE (Engagement du Service Public de l’Emploi pour Restaurer l’Egalité), ou encore de projets avec des « partenaires » du monde économique et de l’entreprise : Adecco-Adia419, l’Assemblée permanente des chambres de métiers420, la

FACE ou les programmes ASPECT421, PRISME… En parallèle, les institutions publiques

tentent de valoriser des expérimentations locales, par exemple à travers le guide intitulé « Lutter contre les discriminations raciales sur le marché du travail » (juillet 2000). En 2001, l’ISCRA organise, avec l’appui du FASILD, le premier séminaire national de lutte contre les discriminations, qui réunit chercheurs, acteurs publics et associatifs422. Cette phase a généré,

dans le temps de sa mise en œuvre et rétrospectivement, une abondante littérature administrative recensant les mesures et les actions (guides, synthèses, notes de présentation, etc.). La communication est également fortement investie, le thème étant inscrit « dans le cadre de la “grande cause nationale” choisie par les pouvoirs publics pour l’année 2002 »423.

En reprenant ici quelques-unes des mesures et des initiatives significatives, il s’agit seulement de montrer un effet d’accélération et de démultiplication lié à l’institutionnalisation de la question. Mais ce foisonnement apparent ne suffit pas à cacher la fragilité de la politique publique.

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